Caves coopératives, de la défense à l’attaque

Le mouvement coopératif a été conçu pour assurer la protection des vignerons étranglés par le négoce. Très vite, les pouvoirs publics se sont aperçus des multiples vertus sociales et économiques d’un tel socle. Pour l’amateur de vin, pour le consommateur, c’était moins clair. Les caves coopératives ont longtemps été le Triangle des Bermudes de la production viticole française. Un passage quasi obligé dans tous les vignobles – le secteur représente plus de la moitié de la production de vins, hors cognac (1) – qui s’est longtemps traduit pour l’amateur par une kyrielle de vins anonymes et interchangeables, fonds de rayon inépuisables de toutes les grandes surfaces de France et d’ailleurs, réservoir gigantesque de vins sans autre qualité que celle d’être là à un tarif bas et, parfois même, très bas. L’ambition n’était pas qualitative, le principe étant de rendre d’abord service au coopérateur. Cette offre, de moins en moins adaptée aux envies de consommateurs qui versent désormais dans le moins-mais-mieux, n’a pas manqué de provoquer depuis vingt ans une réflexion importante des intéressés, mais aussi du secteur bancaire (avec, en particulier, le Crédit agricole, partenaire historique du secteur) et des pouvoirs publics locaux, tant le tissu coopératif joue un rôle essentiel dans l’aménagement de territoires souvent menacés de désertification.

La plus spectaculaire conséquence de cette prise de conscience fut la saga du Val d’Orbieu, groupe coopératif languedocien agrégeant aussi des vignerons indépendants qui connut un développement exponentiel au tournant du millénaire, allant même jusqu’à posséder plusieurs crus classés bordelais, avant de voir l’ambitieuse armada réduire sérieusement la voilure cinq ans plus tard. Ce rêve d’intégration verticale, de l’humble travail de la vigne à la conquête des marchés de la planète, a vécu et Val d’Orbieu repart aujourd’hui sur d’autres bases, plus attentives aux demandes du marché qu’à la création d’un empire. Et aujourd’hui, après l’euphorie rêvée d’une coopération transformée en tycoon viticole apparaissent plusieurs modèles plus modestes, mais plus pragmatiques et surtout offrant aux amateurs de vins un gisement inédit de savoureuses pépites.

Certaines coopératives ont, souvent depuis longtemps, eu l’intelligence de comprendre que leur poids régional devait s’accompagner d’un rôle moteur en matière de qualité de production. C’est le cas par exemple de La Chablisienne dans l’Yonne, de la Cave de Tain en crozes-hermitage et en hermitage, Les Vignerons de Caractère à Vacqueyras ou leurs voisins de Beaumes-de-Venise, Buzet dans le Sud-Ouest ont su élever leur niveau d’exigence. Le précurseur en la matière fut incontestablement la cave gasconne de Saint-Mont qui sut créer dans son village gersois une étonnante dynamique autour de sa marque Plaimont et d’une promesse tenue, celle de réaliser des vins francs, savoureux, bon marché et authentiques. Cette stratégie a inspiré celle de Marrenon, marque emblème d’un groupe de coopératives du Lubéron qui, sous la précise impulsion du président Jean-Louis Piton et de son directeur général Philippe Tolleret, produit des vins conjuguant modernité dans leur conception et authenticité de ces terroirs au potentiel longtemps méconnu.

Ce grand retournement s’est souvent fait au prix d’une sérieuse mise au pas de leurs propres vignerons : « Nous avons un tarif-sanction. Le coopérateur qui n’aligne pas sa production sur le cahier des charges de la coopérative est rémunéré 10 centimes d’euro le kilo de raisin. Forcément, notre standard de discipline incite à monter en qualité. Mais rassurez-vous, nous avons très peu de volume à ce prix-là. » explique Jean-Louis Piton qui a dû, dans le même temps, reconsidérer l’encadrement et engager des « gens qui ont la passion du vin autant qu’ils ont la fibre gestionnaire », mais pas seulement. Comme tous les patrons de coopératives un tantinet visionnaires, il lui a fallu résister aux sirènes de Bruxelles et engager tout un processus d’amélioration : « Ce n’était pas simple d’expliquer aux vignerons que nous refusions les primes d’arrachage. Nous avons conservé nos vieux grenaches et, peu à peu, en maîtrisant de mieux en mieux les rendements, nous sommes parvenus à faire de bien meilleurs vins. »

Mais la coopération a aussi compris qu’elle pouvait se spécialiser dans la production, laissant la formalisation des produits et la conquête des marchés à d’autres professionnels. C’est le sens de nombreux partenariats bâtis entre des négociants puissants et des caves, notamment en Languedoc-Roussillon. Le groupe Jeanjean, par exemple, suit et commercialise la production de quelques très bonnes caves. De la même façon, le groupe Grands Chais de France, d’origine alsacienne, s’est lié avec la cave de Saint-Jean de Minervois, fameuse pour de merveilleux muscats qui méritent de séduire un nouveau public d’amateurs ou celles de Cases de Pène, au cœur du Roussillon, où le travail d’orfèvre d’une équipe de vignerons passionnés assistée par Jeff Carel, un œnologue itinérant ultra doué, donne aujourd’hui des résultats de haut niveau à des prix formidablement doux, preuve que l’impossible équation est… possible. Même si le principe de base de la coopération est d’assurer un revenu décent à des dizaines de milliers de coopérateurs, les leaders du mouvement savent bien que le chemin sera long et qu’il ne sera parcouru qu’avec l’adhésion de consommateurs séduits. Ils savent aussi que le prix est un élément majeur de la séduction, mais déjà la fourchette 5 – 8 euros est investie et il n’est plus rare de trouver dans les gammes des vins qui dépassent les 20 euros la bouteille.

Sans tambour, ni trompette, le mouvement coopérateur sort du bois. Mais pas sans marketing. Chez Marrenon, ils sortent cette année un rosé d’une belle finesse, donc baptisé Roséfine. Osez, osez…

Thierry Desseauve

(1) Source France AgriMer

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