Le Starck system au Château Carmes Haut-Brion

LE CHAI A ETE DEVOILE VENDREDi 24 JUIN. LORS DE LA POSE DE LA PREMIERE PIERRE DU CHAI, EN 2014, LE DESIGNER NOUS AVAIT DEJA TOUT DIT, EN EXCLU*.


Un chai, maintenant ?

Il faut du courage et des vieux comme nous (ndlr : Luc Arsène-Henry est l’architecte du projet) qui ont déjà beaucoup fait, pour se mettre en arrière et laisser passer l’esprit du vin. Le vin est avant tout un esprit. On a donc beaucoup travaillé pour qu’il n’y ait rien, un rien puissant, une lame à la couleur exacte de l’eau, de la terre, de l’écorce des arbres alentour. On ne sait pas si ce sont les forces telluriques qui l’ont poussé vers les éthers ou si elle est tombée ici venue d’ailleurs. C’est une magie enceinte d’un miracle. On n’a pas besoin d’être démonstratif lorsqu’il s’agit de quelque chose d’aussi extraordinaire et magique que le vin, qui est l’aboutissement d’un savoir humain empirique et, malgré tout, exact. Il faut partir du minimum, des surfaces pour abriter des cuves et des barriques.

Luc Arsène-Henry évoque un « bateau contemporain à l’étrave inversée », amarré au cœur de la pièce d’eau qui sépare les deux versants du vignoble » ?

Ce n’est pas un bateau. Le hasard, c’est que ce chai soit sur l’eau. Il l’est parce que tout alentour, il y a les vignes du domaine et nous n’avions que cette surface disponible pour le construire.

Sa silhouette évoque les nombreux bateaux que vous avez dessinés ?

Chacun y voit ce qu’il veut, mais ce n’est pas un vaisseau fendant les vignes. Le seul dessein a été d’être efficace et un minimum puissant.

Vous travaillez extrêmement rapidement, au point de « n’avoir plus qu’à imprimer », dites-vous. Et pour ce chai ?

Pareil. La lame était une évidence pour moi, partagée avec Luc. J’ai ajouté des angles de fuite pour que le regard s’échappe. Et puis il y a eu toutes ces conversations avec Guillaume Pouthier*, un homme extraordinaire que j’adore, pour que cette machine fonctionne.

Certaines cuves ont, elles aussi, des formes inédites…

Oui, des cuves tronconiques inversées sur un socle, un peu comme des « verres à pied ».

C’est important pour vous de mettre du vin dans votre art ?

Sans le vin, je serai sans doute encore plus rasant que je ne le suis.

Vos créations concernent tous les registres du quotidien, se déplacer, travailler, dormir, se laver, manger. Et boire…

Oui, mais je n’ai jamais pu dessiner un meilleur verre à vin que ce qui existe déjà. C’est l’un de mes échecs. Un verre n’est pas « dessinable », c’est un volume transparent, une machine à tromper les yeux et l’esprit. Tout ce qu’on peut rajouter est néfaste, couleurs, motifs, formes.
Vous êtes amateur de vin?
Un amateur très particulier. Autant ma femme Jasmine est dans l’académisme, autant je suis dans l’exploration. Jasmine possède de vraies connaissances et aime les bons grands vins, je suis aventureux. J’ai été le premier, il y a 25 ans, à distribuer des vins et des champagnes bio, via ma compagnie de nourriture bio OAO. Je suis le plus grand collectionneur de vins sans sulfite au monde. Quand je les ouvre, certains ont des nausées à table. Mais je continue, j’essaie de comprendre.

Vous avez revisité le fameux verre Harcourt de Baccarat, transformé un entrepôt de vins de Bilbao en complexe culturel, inventé Wahh, un spray pour avoir la sensation de l’ivresse sans l’alcool et, avec ce chai, vous participez d’une certaine manière à la création du vin. Vous rêveriez d’en produire ?

Ah oui, j’adorerais. Peut-être un jour. On a failli acheter dans le sud-est. Je sais exactement ce que je veux. J’achèterai du Carmes Haut Brion pour ma femme et je produirai pour moi un vin totalement naturel, instinctif, paysan, sourcé, de terroir, pas plus de 11°, donc un vin que je serai seul à boire.

*Guillaume Pouthier est le directeur des Carmes Haut-Brion, un remarquable vinificateur.
Propos recueillis par Béatrice Brasseur
*adapté de l’interview parue sur www.mybettanedesseauve.fr le 14 mars 2014.

© Mathieu Garçon