Jérôme Bressy, vigneron hors-norme

Ce jour-là, l’hiver est bleu, il est encore tôt, le brûloir dans les vignes, une fumée légère et blanche, c’est jour de taille au Domaine Gourt de Mautens. Jérôme Bressy, le patron, le vigneron, en est. Il travaille avec deux filles, taiseuses, concentrées. « Moi, vous savez, il me faut des gens de très bonne qualité, sinon on ne s’entend pas. » Tous les entrepreneurs, à des degrés divers, disent ça. On les comprend. Lui, en plus, il dit que c’est mieux de brûler les sarments que de les broyer. Ah bon ? « Déjà, si il y a de la maladie dans le bois, ça évite de remettre tout ça dans le sol. L’oïdium, une année de pression, si vous brûlez ça baisse d’un cran l’année d’après. Cette fumée porte quelque chose dans nos vignes. Et c’est bon pour nous, cette fumée nous met en contact avec les bois et on voit des choses, des formes. On ne se connaît pas encore, je ne peux pas tout vous expliquer. » Mais il dira qu’il tient à ce brûloir, que son grand-père l’avait bricolé, que c’est de l’attachement familial.

L’ambiance est installée. Jérôme Bressy n’est pas n’importe quel agriculteur. Il a du monde et de ses vignes une idée alternative et sensible. Il n’est pas un militant, mais il a des convictions « Je vais au monument au mort, mon grand-père y allait, la France et sa mémoire ne sont pas la propriété de quelques-uns. ». Quand il rejoint son père en 1989, il a 23 ans et lui dit à peu près ceci : « Papa, je veux faire un très, très grand vin, il faudrait qu’on commence la conversion en bio. » Son père, ce vigneron communiste dont le projet était de payer ses ouvriers plus cher, son père l’a suivi. Et sa mère soutenait son père qui le soutenait. Avec des parents comme ça, les obstacles s’estompent.

À l’époque, tout le raisin partait à la coopérative et lui, il voulait son étiquette. Elle arrivera en 1996, trois ans après la conversion en bio-dynamie. Sur le sujet, peu à peu, il parle et ce qu’il en dit est enthousiasmant, bien sûr. Comment dire le contraire, c’est la vie qui parle, c’est chaud, tonique et rassurant « C’est tellement beau de travailler comme ça, la chimie éloigne le vigneron de sa terre. Il faut avoir un regard sinon on fait de l’industrie. » Mais ces voisins ? « Je les plains, ils sont les victimes d’un système qui les terrorise. Ils reçoivent des sms dès qu’il pleut pour les pousser à traiter. C’est un système de secte. » Plus tard, on ira voir ces parcelles dans la campagne de Rasteau, la petite route qui monte et qui descend, le ciel de Provence, les bois de chênes verts et les oliviers, les vignes sur les pentes des combes mi-ombre mi-soleil. On s’attend toujours à voir débouler les sangliers, on a raison, il y en a plein.

Jérôme Bressy travaille son domaine de 13 hectares et ne veut pas s’agrandir, il veut continuer à faire ses petits rendements et son vin d’exception et pas plus. Il raconte son éviction de l’AOC sans amertume. Comme d’autres grands hommes de la région (Dürrbach, par exemple), son encépagement n’a plus convenu. Pourtant, tout ce qu’il a planté l’a été dans les règles avec toutes les autorisations et les validations requises et puis, un beau matin, ça n’allait plus, l’administration en charge a changé d’avis, pourquoi, on ne sait pas, on ne sait jamais. Comme il tient beaucoup à son portefeuille de cépages, il est sorti du jeu.

(…)

Grenache noir, blanc et gris, carignan, mourvèdre, counoise, vaccarèse, terret noir, cinsault, syrah, clairette, picardan, bourboulenc, picpoul gris et blanc, roussane, marsanne, un vrai catalogue de pépiniériste branché. Il a même un très vieux pied de muscardin, cent ans au moins, il nous montre « Je vais prendre des greffons et les mettre ici, le fait d’être sorti de l’appellation me laisse toute liberté. » Cela dit, il ne fait pas le malin, pas sûr qu’il trouve ça très drôle, il incrimine plus un système que des gens. D’ailleurs, il a de la tendresse pour quelques-uns de ses collègues de Rasteau, ils ne sont pas comme lui pourtant, mais quand même si, un peu. Il y a des souvenirs et une vie en commun, l’école d’avant, le village. Et il y a cet extraordinaire attachement au pays et à ses traditions. « Tailler en gobelet, c’est un art. J’ai vu des anciens qui venaient en 2 CV entretenir leurs ceps. Ils sont morts, les enfants ont vendu, aujourd’hui tout a été arraché. On avait le patrimoine qu’il fallait pour se défendre face au Nouveau monde. On l’a perdu pour des raisons productivistes absolument irréalistes » ou encore « Malgré la folie des contraintes, la France est encore debout, elle pousse. On se met des boulets aux pieds pour être sûr de ne pas y arriver, mais à la fin, on s’en sort. » Ici, dans les collines de Rasteau, on parle haut, on parle clair.

Et puis, on descend à la cave. En sous-sol, pour la gravité et la fraîcheur des températures dans un pays où il arrive qu’il fasse très chaud. Là, on est à la cuisine. Jérôme Bressy le dit « Les foudres, c’est comme une cocotte en fonte. » Il s’amuse, il laisse mijoter, il goûte tout le temps. Le vin passera en foudre ou en demi-muid selon le caractère de la parcelle dont il est issu, il continuera en béton pour finir dans l’inox juste avant la mise. « J’ai beaucoup évolué, je cherche tout le temps. Le premier grand moment, c’était en 2001. J’avais acheté cent barriques d’un an. En 2003, j’ai tout changé, des foudres et des demi-muids. En 2007, nouvelle évolution avec une vinification en vendange entière en cuves tronconiques en chêne. » Aujourd’hui, l’élevage dure 30 à 36 mois et, au bout du temps long, le vin est là, ce succès qu’on sait, les beaux prix, 20 000 bouteilles seulement que les grands amateurs s’arrachent. On se quittera à regret, on avait encore des choses à se dire, il y faudrait des jours. Ainsi va ce monde. Ce n’est pas le sien, mais « Je ne suis pas un arriéré, je veux juste conserver des méthodes, un mode de vie, des habitudes. Rien ne justifie qu’on se sépare de tout ça. » Normal qu’on l’aime.

Nicolas de Rouyn
Photos : Mathieu Garçon


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L'avis de Michel Bettane
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