Vive le Féret

La XIXe édition du Féret vient de paraitre. Elle célèbre en sous-titre le bicentenaire de cette maison d’édition bordelaise, et il faut tirer un grand coup de chapeau à Bruno Boidron, son patron depuis quelques lustres maintenant, pour avoir non seulement repris ce monument girondin, mais aussi pour en avoir fait une maison prospère, dynamique et, surtout, fidèle à sa vocation et à ses principes.
Qu’est-ce que le Féret ? Tout simplement un dictionnaire encyclopédique des crus de Bordeaux. Il ne s’agit aucunement d’un guide : vous n’y trouverez ni notation ni commentaires critiques ; en revanche, l’exhaustivité est totale. Chaque cru, même les plus modestes de Bordeaux, y est recensé avec au minimum le nom des propriétaires, le nombre d’hectares et la production (en tonneaux, vieille unité de mesure bordelaise). « Bordeaux et ses vins », véritable nom de ce que tous les professionnels appellent « le Féret », est né en 1868 et ni son objet, ni sa tonalité générale, n’ont profondément changé. Il faut donc s’habituer au style suranné des textes, mais j’avoue que j’éprouve une certaine délectation à découvrir que tel cru que je trouvais par ailleurs banal produit un vin « renommé pour son bouquet délicat et distingué » ou que tel autre s’élève « à 38 mètres d’altitude » sur de « magnifiques croupes graveleuses ». Si l’on pense non sans discernement que chaque cru mérite, au moins une fois, son heure de gloire, c’est dans le Féret qu’elle sonnera. Mais bien sûr, la raison d’être du Féret est ailleurs, dans l’incroyable masse d’informations et de données factuelles sur le vignoble, les vinifications, les équipes et les coordonnées, la commercialisation présentée pour chaque cru. En matière d’information sur les vins de Bordeaux, le Féret renvoie Google et tout internet au rang de médiocres défricheurs…
Mais je crois que ce qui me plait le plus dans le Féret, c’est encore le portrait en creux qu’il trace des vins de Bordeaux. Son obsession, très bourgeoise avouons-le, de la classification, ici aussi discrète qu’impitoyable. Outre le classement officiel de chaque cru (classé, bourgeois, etc.), les auteurs s’autorisent depuis la première édition, à ranger chaque propriété « par ordre de mérite dans chaque commune ». Cet ordre de mérite, c’est bien sûr le poids, parfois écrasant, de la tradition et des us et coutumes du commerce local. Les exégètes et les curieux peuvent s’amuser tout au long des pages à le décrypter… Autre discours passionnant à lire, la remarquable introduction didactique qui couvre la totalité des éclairages sur le vin de Bordeaux. Écrites par les sommités girondines de chaque question (Van Leewen pour le terroir, Dubourdieu pour la vinification, Me Agostini pour le droit des marques, etc.), ces textes de présentation délivrent en quelque sorte le discours officiel des vins de Bordeaux. Avec ses grands principes et parfois ses petites manies : on n’y trouvera, par exemple, nulle part un chapitre sur la viticulture bio (ou a fortiori biodynamique), et encore moins dans les textes consacrés à « la conduite du vignoble » ou à la « fertilisation ». Le Féret n’est pas un ouvrage d’auteurs, il reflète avec une précision d’entomologiste l’univers des vins de Bordeaux, dans toutes les facettes de son génie et jusqu’aux reflets de ses quelques manques.

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