Les princes des caves (1/5)

Ce sont des travailleurs de l’ombre mais leur rôle n’en demeure pas moins essentiel. Responsable de l’élaboration et de l’élevage du champagne, nous vous présentons cinq hommes, cinq personnalités, cinq chefs de caves.
Voici Benoît Gouez.

Ce Breton du pays des abers est un pur produit de la filière champenoise la plus classique. Avec un gros avantage sur d’autres : Benoît Gouez a été formé par Richard Geoffroy, grand maître des vins dans la maison et surtout connu pour être le sorcier qui élabore le fameux dom-pérignon. Avec lui, Benoît a parcouru les 28 kilomètres de galeries souterraines de la maison Moët, où dorment des millions de bouteilles, pour y apprendre-comprendre ce qui fait le style Moët. C’est parce qu’il l’a intégré que Geoffroy lui a donné les clés de la cave. Pour autant, ce garçon de 42 ans n’a pas décidé de simplement reproduire sans apporter sa touche personnelle. Avec lui, le style Moët a évolué. En très peu d’années, si l’on considère la longueur de temps nécessaire à l’élaboration des champagnes, Benoît Gouez est parvenu à transformer un champagne banal (pour dire le moins) en un bon champagne. La cuvée d’entrée de gamme, le brut-impérial, est un parfait champagne tout-terrain, l’un des moins dosés des bruts non millésimés du marché, dont le positionnement en termes de prix le rend tout à fait intéressant. Ce n’était pas le cas
il y a quelques années, quand personne d’un peu averti n’aurait eu l’idée d’arriver chez des amis avec une bouteille de moët. Ce temps est révolu, il n’y a plus de honte à boire du moët. En soi, et compte tenu des lenteurs de réaction du public, c’est déjà une victoire énnorme que Gouez peut porter la boutonnière avec fierté. Ce qu’il fait, d’ailleurs, avec ce qu’il faut de modestie. En acceptant le poste de chef de caves, il a obtenu aussi une plus grande liberté dans les assemblages comme dans la définition du style. En dégustant les moët millésimés, c’est évident.
Gouez a sorti le 2003 avant le 2002. Cette petite provocation médiatique (qui a très bien marché à l’époque) était rendue nécessaire par l’état d’avancement des vins de chacun des millésimes. 2003 était prêt avant 2002, voilà tout. Il ne cherche pas à faire un moët millésimé, mais à livrer une interprétation du millésime signée Moët. Ce n’est pas exactement la même chose. Aujourd’hui que le 2002 se déploie dans toute sa beauté de constitution, il arrive chez les cavistes et c’est un très beau champagne. Ce 2002 a bénéficié de l’exigence de Gouez. Il dit : « avec ce millésime, on retrouve les temps de maturation historiques de Moët. En 1910, les millésimes passaient sept ans en cave. Un siècle après, nous y revoilà ». Et, nous aussi, les amateurs, nous revoilà.

Nicolas de Rouyn

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