Réponse à Petit Philou

Cher Monsieur,

Je réponds volontiers à votre intervention de toute évidence venue du cœur. Vous avez bien senti comme tout lecteur honnête homme que dans cet éditorial il n’y avait aucune condamnation de l’existence de fora d’opinion, comme celui qui vous est cher, la Passion du Vin. Au contraire, et je l’avais dit il y a bien longtemps à la naissance du site je trouve que leur existence est un progrès démocratique et que j’aurais bien aimé qu’ils existent au début de ma carrière de journaliste. Dans cet éditorial qui inaugure la nouvelle formule de notre site internet j’ai simplement rebondi sur des idées émises par un des fondateurs de LPV Jérôme Perez, dangereuses à mon avis pour la civilisation du vin telle que nous la concevons chez Bettane et Desseauve. Ce rebond me permettait de mieux faire connaître l’éthique de notre métier et la façon dont nous le pratiquons. Nous pensons qu’il n’y a aucune incompatibilité entre l’existence et le succès de ces fora et ceux des guides et des revues écrits par des journalistes et critiques spécialisés. La réponse de Jérôme Perez à cet édito, sur son site (il aurait pu avoir un droit de réponse chez nous, comme vous) est hélas une illustration involontaire de l’idéologie que nous combattons et qui considère que l’accumulation d’opinions individuelles, qu’elles proviennent d’amateurs ou de professionnels, cachés hypocritement sous des pseudos, possède l’autorité du nombre et surtout une indépendance dans son expression qui la rend moralement supérieure et plus fiable que celles d’experts. Pire encore, un œnologue ou un micro biologiste professionnel, maladroitement caché sous le pseudo d’ « Agitateur », à la polysémie pourtant bien révélatrice, est persuadé qu’il existe une vérité dans la production d’un vin, que seul un professionnel « qualifié » (entendez comme lui ou ses pairs) est capable de voir. Et quand un non « qualifié » se mêle de juger sur pièces il ne peut qu’être manipulé par le producteur qui ne lui livrerait que des apparences pour mieux bâtir sa communication. La notion de communication étant par ailleurs corruptrice, bien entendu, et nourricière d’un journalisme à sa botte ! Vous comprenez pourquoi il m’est impossible de laisser passer de telles inepties sans réagir. Mais pour en revenir à votre intervention permettez- moi de vous dire qu’elle est difficile à cerner du point de vue de sa cohérence. Connaissant mon goût pour la musique et voulant me faire comprendre qu’un pro peut commettre des erreurs monstrueuses (j’essaie de ne pas en faire plus de deux par jour) vous évoquez un jugement stupide de pro sur la technique d’un grand pianiste Wilhelm Kempff, à la virtuosité pourtant légendaire, comme ses sublimes Liszt des années 50 le prouvent. Mais en même temps vous faites de même à propos d’un de nos grands vins, la Coulée de Serrant, à partir de quelques expériences malheureuses qui vous font généraliser abusivement sur la compétence de son élaborateur-propriétaire Nicolas Joly. Et vous affirmez que les internautes ont été les premiers (et les seuls à avoir ce courage) à en informer le public. Sur ce point relisez nos guides et vous verrez comment nous avons géré l’information sur ces irrégularités. Et demandez à Nicolas Joly la teneur de nos échanges sur ce sujet. Contrairement à des affirmations calomnieuses, nées de l’imagination de certains producteurs ou journalistes français et étrangers amis de ces producteurs, je n’ai jamais exercé de conseil rémunéré ou non, car je considère qu’il y a incompatibilité complète entre l’éthique d’un critique responsable et toute activité de conseil. En revanche son rôle d’interface, tel que j’ai cherché à le définir dans cet éditorial, le conduit forcément à échanger avec les producteurs qui le souhaitent, de façon constructive et amicale, sur les moyens d’améliorer la qualité, quand la fréquentation de vinificateurs encore plus performants ou de techniciens de première pointure permet de les connaître. « A chacun sa place et son rôle », cette formule si aimée de Perez ou d’Agitateur, n’est pas du tout, mais pas du tout, notre tasse de thé, et je dirais même que c’est une régression culturelle, née d’une vision cloisonnée et paresseuse des talents humains. Car dans la civilisation du vin telle que nous la concevons un citoyen peut dialoguer sans tabou ni interdit avec un autre citoyen. Comme les amateurs le font entre eux sur un Forum…

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