L’énigme des blancs 1996 de Bourgogne (et d’ailleurs)


 

Tout critique commet des erreurs de jugement, le moins souvent possible naturellement. Le public peut à juste titre les lui reprocher quand il a l’habitude de lui faire confiance, mais parfois ces reproches n’ont pas d’autres fondements qu’une connaissance très partielle de la matière de ces reproches et des généralisations abusives à partir d’exemples limités. Parmi les reproches qui m’ont été le plus souvent justement faits j’accepte parfaitement celui de mon trop rapide encensement du millésime 1975 à Bordeaux. Je reviendrai une prochaine fois sur le sujet. Les plus injustes et énervants (surtout lorsqu’ils proviennent de gens du métier) concernent les blancs 1996 en Bourgogne et mon affection pour les rouges de quelques producteurs bourguignons, en particulier l’ancien domaine Pernin-Rossin. Je n’ai jamais voulu y répondre, comme ils reviennent régulièrement sur le tapis de la « toile », et que le vieillissement suffisant des bouteilles fait office de juge de paix, je le fais maintenant.

 


Le cycle végétatif du millésime 1996 fut unanimement considéré à sa naissance comme favorable à une qualité optimale des vins blancs dans tout le nord de la France. Un état sanitaire parfait des raisins (aucun départ de botrytis, aucune maladie), entretenu par un vent du nord froid et protecteur, une production d’arômes complexes dans les baies du raisin liée aux nuits froides et au soleil clair de toute la fin de la maturation, un aspect visuel du raisin exemplaire et en plus une jolie récolte. Comme je le fais toujours j’ai mangé les raisins à la veille des vendanges et leur saveur pure et nette restera à jamais marquée dans ma mémoire. Les acidités demeurant fort élevées, gage d’un grand potentiel de vieillissement, on avait tout à gagner à attendre le plus possible avant de vendanger, d’autant qu’il n’y avait aucun danger de changement de temps. Il est sûr qu’on a vendangé trop tôt en champagne et que cette erreur, après les quelques années nécessaires pour la comprendre et la digérer a complètement changé les mentalités des meilleurs viticulteurs, surtout pour les chardonnays. En côte d’or, où les maturités étaient plus précoces et plus élevées, la tentation était grande de vendanger assez vite, mais un bon tiers des vignerons ont été sages et ont rentré un raisin de haut potentiel mais d’un équilibre original avec 12°,5/13° de richesse en sucre, des acidités fort élevées (6 à 7 grammes), et une bonne proportion d’acide malique. C’est là que les ennuis pour beaucoup ont commencé. Les fermentations malo-lactiques furent très longues et bien souvent même pas commencées à la fin du printemps ! A la veille du millésime suivant les vignerons n’ayant pas assez de place en cave ont bien été obligés de mettre en bouteille des vins non finis et ont donc demandé à leurs œnologues comment s’assurer que les vins ne refermenteraient pas en bouteilles ! Je vous laisse deviner toutes les manipulations de désacidification et de stabilisation qui ont hélas fragilisés un volume non négligeable de la récolte. Au moment de rendre compte du millésime mon erreur, si s’en est une, fut de fonder mon jugement sur ce que je goûtais chez les meilleurs vinificateurs, ceux qui me servent de référence parce que j’ai toujours considéré que le vrai potentiel d’un millésime se juge quand même chez ceux qui travaillent le mieux. Naturellement leur vin restait en fût (il fut mis en bouteille entre mars et juillet 1998, parfois même début septembre),et ce que je goûtais était miraculeux, à la fois frais, complexe, fluide, (la bonne fluidité, celle qui rappelle l’eau de roche), mais riche en extrait sec et parfaitement typé des terroirs.

J’ai beaucoup acheté de vins pour moi-même et il m’en reste assez pour raconter l’histoire compliquée de leur vieillissement et le bonheur de savoir que les meilleurs ont encore un superbe avenir et répondent parfaitement aux promesses de leur naissance. Leur vieillissement fut donc compliqué, du moins pour ceux qui boivent leurs vins assez vite dans un monde où plus personne n’attend les 12 à 20 ans nécessaires pour que les grands terroirs délivrent toute leur race. Entre 2001 et 2006 beaucoup de vins, même chez les bons producteurs, se sont mis à jaunir et à prendre des goûts incompréhensibles et jurassiens de noix, de froment fort, voire de pomme blette, donnant le sentiment d’un vieillissement trop précoce. Mais ce qui était énervant était la variabilité de ces bouteilles car certaines des mêmes lots étaient parfaites ! C’est à ce moment que j’ai interrogé mes amis œnologues et que toute la filière a commencé à réfléchir à la cause de cette variabilité. Les bons vignerons, ceux qui ont vendangé mûr, cultivé correctement leurs vignes et attendu avant de mettre en bouteille ont bien sûr commencé à tout mettre sur le compte du bouchon, et non sans raison pour ceux qui avaient été traités au péroxyde, à la demande d’ailleurs des vignerons eux-mêmes, mal informés par leurs techniciens et qui stupidement préféraient pour des vins blancs des bouchons « blanchis » ! Mais cela n’expliquait pas tout, et surtout pas le fait que 24 heures ou plus après l’ouverture de la bouteille le vin redevenait plus clair et moins évolué ! Le même phénomène a été constaté pour Chablis, pour les champagnes et pour les vins de Marsanne de l’Hermitage. Il semble donc que le vin ait en bouteille vécu ce qu’en principe il doit vivre en période d’élevage en fût ou en cuve, une succession de passages oxydatifs puis réductifs, liée à l’activité autolytique du ferment. Aujourd’hui les grands terroirs donnent des vins exceptionnels, avec un arôme parfois sublime de truffe blanche né de l’acidité élevée, une vivacité et une intensité qui comme en Champagne n’ont pas été égalées depuis. On peut toujours imaginer ce que les vins auraient donné avec une maturité encore plus poussée, mais il vaut mieux ne pas mettre en concurrence avec un 1996 réussi un 1989 ou un 1999, malgré leurs grandes qualités et leur forte maturité, car ils apparaissent alors bien lourdauds. Voici quelques unes de mes références : … suivre

crédits photo d’ouverture : https://sensdeladigression.wordpress.com/2013/05/04/4-mai-1891-la-premiere-mort-de-sherlock-holmes/

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