Cinq maîtres du cabernet-sauvignon

L’expertise est une affaire qui vient de loin. Ce qui explique que Michel bettane cite des dieux vivants du cabernet-sauvignon. Il en manque sûrement.

Emile Peynaud

On a trop vite oublié le créateur de l’œnologie moderne bordelaise, la France n’aimant pas reconnaître ses vrais talents. Mais les vins restent, et l’œuvre avec. J’ai eu la chance de rencontrer Emile Peynaud à mes débuts et je lui dois d’avoir été mis immédiatement sur de bons rails, à la fois dans la compréhension de ce qui définit tout bon et vrai bordeaux (la formule :« rien de trop, mais tout suffisamment ») que dans celle de la maturité finale nécessaire pour permettre aux qualités génétiques du cépage de s’exprimer avec justesse. Sa thèse de doctorat lui avait fait comparer les analyses de maturité des bordeaux et bourgognes d’avant-guerre, à l’avantage de ces derniers. D’où sa volonté de faire vendanger mûr, sans rien perdre du potentiel de longévité des vins et sans se soucier des idiots de tout bord qui eux s’en souciaient. Et son art de déguster et d’assembler des vins très jeunes a parfois été égalé, jamais surpassé et jamais avec la même modestie d’approche. Bref, un maître, un vrai.

André Tschelitschef

L’homme, vieux Russe formé en France, a donné ses lettres de noblesse aux vins californiens en s’inspirant évidemment de ce qu’il avait appris chez nous. Ses réserves légendaires Georges de Latour chez Beaulieu sont toujours des modèles de style car il avait tout compris du cabernet comme du pinot noir. La plage de saveur et de maturité d’un vin comme le 1970 est identique à celle qu’on trouve en Gironde : le cèdre mais pas l’eucalyptus, signe de stress, la chair sans l’alcool (12,5-13° et pas les 14 ou 15° descendus d’un 16 ou 17 original) et surtout la finale sur la tension du tannin sans l’édulcoration sucrée du bois. Grand ami de Peynaud, il partageait avec lui son idéal d’équilibre et de justes proportions dans le vin, devenu source d’inspiration pour tous
les jeunes winemakers de talent et de conviction en Amérique.

Eric Boissenot

C’est le plus proche et le plus authentique disciple de Peynaud, partageant les mêmes notions d’équilibre, de morale et de modestie. Avec un savoir-faire en matière de dégustation de vin jeune et d’assemblage diaboliquement précis. Artiste en plus, sensible à la nature, photographe de grand talent et plus compétent en agronomie que ses maîtres, Emile évidemment, mais aussi son père Jacques. Les Médocains ont bien de la chance de l’avoir à l’oeuvre dans la plupart des propriétés qui veulent rester fidèles au classicisme local.

Philippe Dhalluin

Les grands directeurs techniques actuels du Médoc, surtout quand ils ont l’expérience de plus de trente millésimes, n’ont pas d’équivalent dans le monde en matière de savoir (addition de la connaissance et de l’intuition de celui qui connaît). à Mouton, où le cabernet mûrit peut-être plus parfaitement que partout ailleurs, Philippe Dhalluin a pu réaliser le rêve de sa vie : donner naissance au meilleur vin imaginable du cépage qu’il aime le plus. Avec l’aide d’une brillante équipe technique, mais avec sa propre sensibilité qui n’a négligé ni le matériel végétal (il a dirigé, entre autres, une pépinière), ni la connaissance de ce qui se fait ailleurs dans le monde, ni l’adresse dans le coaching des hommes.

Denis Dubourdieu

Nul ne contestera qu’il a intelligemment modernisé l’œuvre déjà si moderne, de Peynaud en formant la plupart des œnologues qui comptent aujourd’hui, en particulier sa fidèle Valérie Lavigne. Avec comme principe de bon sens qu’un bon œno doit d’abord être un bon agro, la compréhension du raisin étant capitale pour savoir le vinifier. Son amour du cabernet, c’est bien sûr avant tout, celui de l’équilibre, de la digestibilité, de la finesse et de
la capacité à rester fin même vieux.

Denis Dubourdieu a quitté le monde des vivants, terrassé par la maladie. L’immense tristesse qui nous étreint n’a d’égale que l’énorme respect que nous lui vouons depuis longtemps.

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