Liban, à l’épreuve du climat

Surnommé « la Suisse du Moyen-Orient » pour ses montagnes et ses paysages contrastés, le Liban abrite aussi l’un des plus anciens vignobles méditerranéens. Malgré cette richesse, le secteur viticole évolue dans un contexte complexe, entre changement climatique et tensions géopolitiques


Retrouvez cet article dans En Magnum #40. Vous pouvez l’acheter en kiosque, sur notre site ici, ou sur cafeyn.co.


Des hauteurs de la vallée de la Bekaa aux coteaux surplombant la Méditerranée, le Liban offre une grande diversité de terroirs. Ce petit pays, traversé de montagnes et de microclimats, permet une culture de la vigne entre 400 et 1 800 mètres d’altitude. Avec ses sols argilo-calcaires et son ensoleillement idéal, la vallée de la Bekaa reste le cœur historique de la production, mais d’autres régions se distinguent comme celle de Batroun, dans le nord, avec ses influences maritimes, ou celle de Jezzine, au sud, qui offre des conditions uniques pour des vins de caractère.

La filière viticole est à l’image du pays, une mosaïque de vignerons et de terroirs qui, malgré les crises économiques, politiques et sociales persistantes, affichent une résilience remarquable. « Je connais le vignoble libanais depuis 1996, j’accompagne Ixsir depuis de nombreuses années. Le pays possède une histoire incroyable avec le vin et les domaines font un travail considérable pour porter la qualité à un niveau international. Les Libanais peuvent être fiers de leur travail », observe Hubert de Boüard, copropriétaire de château Angélus et œnologue consultant depuis plus de dix-huit ans dans le pays. Le Liban possède une histoire viticole millénaire. « Les Phéniciens cultivaient déjà la vigne. Le temple de Bacchus à Baalbek en est un témoin, la vigne y était présente bien avant qu’elle n’arrive en France », souligne-t-il. Il met ainsi en garde contre l’idée selon laquelle les savoir-faire occidentaux viendraient tout révolutionner. Pour lui, le Liban a une richesse propre.

L’équipe d’Ixsir a sillonné le Liban à la recherche des meilleurs terroirs. Ce petit bijou a été élaboré de toutes pièces à Jezzine, au sud du pays.

S’adapter aux aléas
Les principaux cépages cultivés sont le cabernet-sauvignon, la syrah, le cinsault et le merlot pour les rouges, le chardonnay, le viognier et le sauvignon pour les blancs. Ces cépages internationaux, très présents dans les assemblages, s’avèrent particulièrement sensibles aux variations climatiques. Roland Abou-Khater, propriétaire de Coteaux du Liban, indique que « les vendanges, qui se déroulaient historiquement en septembre, débutent désormais la deuxième quinzaine d’août ».

Cette précocité induit un déséquilibre entre maturité phénolique et accumulation de sucres, menaçant l’acidité naturelle et conduisant à des degrés alcooliques plus élevés. « Nous sommes souvent contraints d’intervenir tôt pour ne pas obtenir des vins trop puissants et déséquilibrés et pour conserver leur fraîcheur », explique l’œnologue Fabrice Guiberteau, directeur technique du château Kefraya. C’est aussi le cas au château Saint-Thomas, comme le constate Joe-Assaad Touma, le copropriétaire et œnologue du domaine. La diminution du volume des nappes phréatiques, conjuguée à l’absence de politiques publiques de gestion de l’eau, aggrave aussi la situation.

Dans la Bekaa ou dans le nord du pays, de petites exploitations peu équipées voient leurs rendements baisser. « Face à cette contrainte, les vignerons redécouvrent l’intérêt agronomique des cépages autochtones comme l’obeidi et le merwah, historiquement cultivés en sec et réputés pour leur bonne résistance à la chaleur et à la sécheresse », constate Fabrice Guiberteau. Ce dernier a mis en place un conservatoire de cépages locaux, aussi bien en blanc (obeidi, merwah, meksessé) qu’en rouge (assouad karech, asmi noir), qu’il est allé chercher, en partie, à l’Inra en France. La dernière vague de chaleur qu’a connue la Bekaa montre bien qu’ils sont plus adaptés au climat de la région. D’après Hubert de Boüard, « l’obeidi, souvent critiqué pour son manque de complexité, pourrait trouver une place intéressante en assemblage, à condition d’être mieux travaillé ».
L’avenir de ce jardin d’Éden est menacé par le changement climatique, qui engendre une hausse des températures et un stress hydrique important.

Longtemps considéré comme un atout, le climat, de plus en plus instable, pousse les vignerons à repenser en profondeur leurs pratiques culturales et à apporter des solutions aux différents problèmes rencontrés. Pour y faire face, il faut engager un travail de fond minutieux pour comprendre les spécificités de chaque région, lieu ou parcelle. « Il est indispensable de planter le bon cépage au bon endroit », estime Hubert de Boüard. Il a appliqué cette démarche rigoureuse au domaine Ixsir en menant des études approfondies de sols, de climats, de porte-greffes, et en adaptant chaque cépage à son environnement naturel. Il compare d’ailleurs ce travail pionnier à une véritable « conquête de l’Ouest ». Du nord au sud, de l’est à l’ouest, l’œnologue bordelais a arpenté le Liban, sans exclure les régions sous influence du Hezbollah. Il y a vu émerger des terroirs d’exception, dignes des plus grands vignobles mondiaux. « Ce pays a tout pour devenir un haut lieu de la viticulture méditerranéenne », affirme-t-il.

Certains domaines adoptent de nouvelles pratiques culturales. La limitation du travail du sol, le maintien de couverts végétaux, l’irrigation goutte-à-goutte raisonnée (par endroits) et l’utilisation de compost organique témoignent d’une prise de conscience environnementale croissante. « Si la viticulture biologique reste marginale, elle progresse lentement, notamment chez les domaines soucieux d’inscrire leur production dans une logique durable, comme c’est le cas chez Kefraya », précise Fabrice Guiberteau. Des expérimentations autour de la sélection massale ou de l’agroforesterie montrent une volonté d’explorer des alternatives plus résilientes, en s’inspirant parfois de modèles méditerranéens voisins.

Le vignoble de Vertical 33 a fait de l’altitude (environ 1400 mètres) un atout dans un pays où les températures peuvent monter très haut en été.

S’en sortir par le haut
D’autres domaines misent sur la viticulture d’altitude, une option rendue possible en raison de la géographie escarpée du pays. De plus en plus de vignobles sont aujourd’hui implantés à plus de mille mètres d’altitude, notamment dans le nord de la Bekaa ou sur les pentes du mont Liban. « Le domaine Vertical 33 se situe à 1 400 mètres d’altitude. Là, le pinot noir et les autres cépages plantés en terrasses s’épanouissent », souligne Eid Azar, son propriétaire. Ici, les amplitudes thermiques entre le jour et la nuit permettent de ralentir la maturation, de préserver l’acidité et de produire des vins plus équilibrés, dans les deux couleurs. Un exemple loin d’être isolé.

Propriétaire du domaine de Baal à Zahlé, situé à environ 1 150 mètres d’altitude, Sébastien Khoury explique que « le pays, par la richesse de ses terroirs, la diversité de ses altitudes et sa tradition viticole, pourrait devenir un laboratoire d’adaptation face au changement climatique ». Malheureusement, le climat n’est pas la seule contrainte au bon développement de la viticulture libanaise. Les problèmes et les défis auxquels le pays fait face sont nombreux. Depuis 2019, la livre libanaise s’est effondrée, affectant la rentabilité des domaines. Les tensions internes freinent le développement du secteur. Enfin, les contraintes logistiques, la fermeture de certaines routes commerciales et les sanctions régionales compliquent l’accès aux marchés étrangers, qui représentent plus de 60 % des ventes.


À savoir

Le Liban compte aujourd’hui environ cinquante domaines, caves ou embouteilleurs, contre seulement huit domaines il y a vingt-quatre ans, parmi lesquels Ksara, Musar, Kefraya, Coteaux du Liban, Tourelles et Wardy forment le noyau historique. Grâce à cet essor, le vignoble s’étend aujourd’hui sur environ 2 900 hectares, principalement dans la vallée de la Bekaa, à l’est du pays. Cette région bénéficie d’un climat méditerranéen tempéré par l’altitude (entre 900 et 1 200 mètres), propice à la culture de la vigne. « Ce n’est pas un hasard si la culture de la vigne remonte ici à plus de 5 000 ans », observe Édouard Kosremelli, directeur du château Kefraya. Les Phéniciens, navigateurs et commerçants de l’Antiquité, ont diffusé la viticulture et le vin à travers le bassin méditerranéen il y a des milliers d’années. « Les vestiges de pressoirs antiques et d’amphores retrouvés à Byblos, Tyr ou Baalbek témoignent de cet âge d’or viticole », ajoute Micheline Touma, présidente de l’Union vinicole du Liban, un organisme qui regroupe les acteurs majeurs de la filière.


Les domaines historiques

Fabrice Guiberteau, Édouard Kosremelli et Émile Majdalani, les trois piliers du château Kefraya.

Château Kefraya
Installé au cœur de la vallée de la Bekaa, ce domaine de 300 hectares allie technologie moderne et terroir d’exception. Il est considéré comme l’ambassadeur et le porte-drapeau du vin libanais à l’étranger. Sa cuvée Comte de M est l’une des plus prestigieuses du pays.

Château Ksara
Fondé en 1857 à Zahlé, Ksara est le plus ancien et le plus grand producteur de vin au Liban avec plus de 2,7 millions de bouteilles par an. Il est connu pour ses caves souterraines creusées par les Jésuites et ses cuvées accessibles, exportées dans plus de quarante pays.

Domaine des Tourelles
Créé dans les années 1860 par François-Eugène Brun, ingénieur français travaillant dans la plaine de la Bekaa, ce domaine produit du vin depuis 1868. Cette historique propriété appartient depuis 2000 à Nayla Issa el-Khoury et Elie F. Issa. Les vignes sont plantées
sur des terres graveleuses et argileuses.

Joe-Assaad Touma et sa sœur devant la chapelle construite par leur père juste avant la création de Château Saint-Thomas en 1990.

Château Saint-Thomas
Ce domaine familial, installé sur la plaine de la Bekaa, a été créé en 1990 par Saïd Touma. Il est désormais dirigé par ses enfants Joe-Assaad (qui a fait des études d’œnologie à Montpellier et Bordeaux), Nadia, Nathalie, Claudine et Micheline. Ensemble, ils signent des vins modernes fruités et équilibrés.

Gaston Hochar (à droite) propriétaire de Château Musar à côté de son œnologue.

Château Musar
Véritable icône du vin libanais, ce domaine familial fondé en 1930 près de Beyrouth est célèbre pour ses vins rouges de garde, complexes et singuliers, qui rivalisent avec les plus
grands crus mondiaux.

Le couple Abou Khater représentant de la nouvelle génération du domaine Coteaux du Liban a fait ses armes en France.

Coteaux du Liban
Bien que présent depuis un certain temps, ce domaine connaît un nouveau souffle avec l’arrivée de Roland Abou-Khater. Il présente des cuvées de plus en plus raffinées et une volonté affirmée de faire rayonner les vins auprès d’un public jeune et curieux.


Les domaines à suivre

Vertical 33
Ce projet confidentiel et haut de gamme cultive des parcelles à très haute altitude (jusqu’à
1 800 m). Le domaine se spécialise dans des micro-cuvées de caractère, à la fois élégantes
et audacieuses.

Batroun Mountains
Implanté dans la région côtière
du nord, ce domaine familial produit des vins bio dans
un environnement montagneux unique, avec une grande attention portée à la terre.

Marcher sur les traces de ses ancêtres, c’était le rêve de Maher Harb, ingénieur formé en France. Un rêve devenu réalité avec la création du domaine Sept Winery à Nehla, dans le nord du Liban.

Sept Winery
Fondé par un ingénieur devenu vigneron, ce domaine met l’accent sur les cépages indigènes et une viticulture en harmonie avec la nature. Son approche minimaliste et épurée séduit un public en quête d’authenticité.

Ixsir
Le domaine est né en 2008 grâce à la volonté de Carlos Ghosn et de son ami Étienne Debbané. Les vins sont issus d’assemblages de raisins venant de terroirs du Sud, de la Bekaa et de Batroun. Pour les aider, ils font appel à Hubert de Boüard, consultant
et copropriétaire du château Angélus à Saint-Émilion.

Karim et Sandro Saadé dans leur vignoble situé à l’ouest de la plaine de la Bekaa.

Marsyas
Dans la plaine de la Bekaa, Sandro et Karim Saadé font partie de cette nouvelle génération
de vignerons qui se battent pour continuer à produire du bon vin dans un pays où le quotidien est semé d’embûches. Le vignoble de 50 hectares est planté sur un sous-sol calcaire compact, une roche-mère couverte par une pellicule de terre de 40 à 50 centimètres.

Sébastien Khoury.

Domaine de Baal
Sébastien Khoury est à la tête de ce domaine. Franco-libanais, il a grandi à Pauillac auprès
de son père qui était médecin. Se dirigeant vers une carrière de négociant, il deviendra finalement vigneron en 2005, reprenant la propriété de son père sur les hauteurs de Zahlé.

À lire aussi