Les princes des caves (2/5)



Ce sont des travailleurs de l’ombre mais leur rôle n’en demeure pas moins essentiel. Responsable de l’élaboration et de l’élevage du champagne, nous vous présentons cinq hommes, cinq personnalités, cinq chefs de caves.
Place à Dominique Demarville.

Voici Dominique Demarville. Il est le chef de caves des champagnes Veuve-Clicquot. C’est-à-dire que c’est lui qui fait les vins que vous buvez. Ne me dites pas que vous n’avez jamais bu du Veuve-Clicquot, ce n’est pas sérieux.
Sur la photo, prise dans le parc des Crayères à Reims, on ne voit pas toute la volonté que ce garçon dégage.
On peut d’ailleurs se demander s’il n’a pas été engagé pour ça. Avec un challenge à la clé. Remplacer l’idole des vignes, Jacques Peters. Depuis la création de la maison en 1772, ils n’ont été que dix à cette place. Ils se sont transmis la définition du style maison, l’autre façon de faire comprendre au public qu’il n’y a pas deux champagnes identiques. Et Jacques Peters a fait pareil avec Dominique Demarville. Et ni l’un ni l’autre ne diront jamais de quoi est fait, ce style Clicquot. Ils réciteront la petite chanson qui fait une réponse, jamais à l’abri d’un superlatif inutile,
ils parleront de fraîcheur, d’arômes, de longueur. La péroraison nous emmènera vers des cieux toujours bleus.
Pas de chiffres, non, c’est secret défense dans les maisons du groupe LVMH. Nous savons bien que ce sont de très gros volumes à destination de la planète toute entière. Et bravo pour ça, le genre de bonne nouvelle agréable à entendre ces jours-ci. Par exemple, parlons de Jacques Peters, c’était dur de prendre sa suite? Dominique est un garçon très arrondi, il dit tous les bonheurs du monde.
Jacques Peters a eu du mal à partir. Combien de fois a-t-on fêté son départ ! On imagine très bien la difficulté pour son successeur, le frein rongé, les bouffées d’impatience. C’est le problème avec les icônes. Mick Jagger, c’est pareil. Et puis Jacques est parti pour de vrai. Dominique préfère parler de lui-même, il a raison, c’est lui qu’on voit. Ce côté concentré, précis, travailleur, sérieux.
Vite, il est convainquant, crédible. Touchant, même. Il n’est pas un chef de caves mondain, on n’en connaît pas beaucoup, cela dit. Depuis l’époque où il faisait la même chose chez Mumm, il n’a pas changé, pas vraiment,
un peu d’épaisseur dans le regard, le geste, les épaules, pas plus. L’homme est le même. Nous, forcément, on adore ce genre d’authenticité, les journalistes sont comme ça, les petits malins nous ennuient. Demarville ne nous dira pas la V.O., il parlera de lui, simplement, sans jouer à la grenouille et au boeuf.
« Je m’applique à faire vivre le mot de Madame Clicquot, “une seule qualité, la première” , en adaptant le style de la maison, et cette exigence, aux attentes nouvelles du consommateur ». Alors, Dominique des nouveauté ? « C’est secret, mais nous préparons des choses ». Allons voir ailleurs. Le vin que vous pouvez boire à genoux sur une règle en fer? «Le sauternes». Pas drôle, nous aussi. Au fil de la conversation, nous conviendrons que nous sommes d’accord sur à peu près tout, le bourgogne, la curiosité, les grands rhônes, la pêche au lancer. Son goût pour le groupe Abba et Jean-Jacques Goldman est tout ce qui nous sépare. Il fallait quelque chose.

Nicolas de Rouyn. Photo, Mathieu Garçon

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