Ce sont des travailleurs de l’ombre mais leur rôle n’en demeure pas moins essentiel. Responsable de l’élaboration et de l’élevage du champagne, nous vous présentons cinq hommes, cinq personnalités, cinq chefs de caves.
Voici Jean-Pierre Mareigner, de la maison Gosset.
Comment devient-on chef de cave de la plus ancienne maison de vins de la Champagne ? En suivant parfois une voie toute tracée. Littéralement. Né à Aÿ, le siège historique de la société, Jean-Pierre Mareigner a passé son enfance à 200 mètres de l’entrée des caves. Son père, vigneron, s’occupait du vignoble de la maison, tout comme son grand-père avant lui. Les jours où il n’y avait pas école, le petit Jean-Pierre allait donc musarder chez Gosset, attiré déjà par les métiers de la vigne et de la cave. Pour perpétuer l’histoire familiale, Jean-Pierre continue d’ailleurs de livrer ses raisins chez Gosset, autant dire à lui-même. Tradition est un mot qui revient souvent lorsqu’on évoque cette discrète maison. Un effet de l’âge, bien entendu, on parle ici de plus de quatre siècles d’histoire. Et aussi une certaine vision du champagne, une constance assez peu sensible aux modes. Jean-Pierre Mareigner incarne bien cet esprit. Arrivée en 1983, il s’est fondu dans le style maison, des champagnes taillés pour la table, qui ne font pas de malolactique, ce qui leur donne une acidité plus marquée dans leur jeunesse et, donc, plus d’ampleur dans le temps. Et le temps, les vins n’en manquent pas.
Les cuvées Celebris patientent souvent sept à dix années en caves avant d’être commercialisées. Il y a bien eu quelques ajustements, notamment une réduction du dosage en sucre après dégorgement, conséquence logique d’une meilleure maturité de la vendange et d’une plus longue maturation en cave. Aujourd’hui, toute la gamme Celebris est dosée en extra-brut, c’est-à-dire à moins de six grammes par litre (c’est peu), une décision appréciée par des amateurs de plus en plus raffinés, le coeur de cible de la maison. Tradition n’étant pas synonyme d’immobilité, la nouveauté est aussi de la partie. Comme la mise au point, il y a quatre ans, d’un Celebris blanc de blancs (pur chardonnay au lieu de l’habituel assemblage des cépages noirs), un choix iconoclaste pour une institution située au cœur de la Montagne de Reims, royaume du pinot noir. « Oui, mais un blanc de blancs façon Gosset », précise Jean-Pierre Mareigner. « Riche, destiné aux repas plus qu’à l’apéritif, avec des raisins issus de la Côte des Blancs, mais aussi des approvisionnements venus de Trépail et de Villiers-Marmery, des enclaves de blancs dans la Montagne de Reims. » A quelques 57 printemps, celui qui vante les mérites du travail en équipe et souligne combien il est important de respecter ses racines pour conserver son âme, nous prépare encore quelques surprises. Nous sommes impatients de les goûter.
Photo : Mathieu Garçon