Les princes des caves (4/5)

Ce sont des travailleurs de l’ombre mais leur rôle n’en demeure pas moins essentiel. Responsable de l’élaboration et de l’élevage du champagne pour Charles et Piper Heidsieck, portrait de Régis Camus.

Pourquoi les grands garçons inspirent-ils forcément confiance ? Faut-il accorder du crédit au regard bienveillant de ce type-là ? Une pluie de médailles fait-elle le printemps ? Un faisceau de preuves suffit-il ? Régis Camus est l’heureux récipiendaire de toutes sortes de qualités et de mérites. Au point qu’on peut s’interroger, puisque le mieux est toujours l’ennemi du bien. Il est taillé comme un joueur de rugby, il a l’oeil doux et vif en même temps, ses champagnes – Charles Heidsieck et Piper-Heidsieck – sont mondialement réputés, voilà un chef de caves heureux. Nous, nous l’aimons pour le caractère écartelé du métier qu’il fait dans cette maison. Il y a d’un côté Charles Heidsieck, des champagnes de haute couture, raffinés, brochés, peu connus, réservés aux vrais amateurs. Une marque qui, à toutes les étapes de sa gamme, du brut réserve au blanc-des-millénaires, en passant par le millésimé et le rosé, enchante les critiques de tous les pays. Un côté champagnes-de-ceux-qui-savent, comme disait finalement la pub. Et il y a Piper-Heidsieck, un champagne plus facile, de beaucoup plus grande diffusion et notoriété, superbement snobé par les aficionados et plébiscité par le grand public, comme les films du Festival de Cannes, dont d‘ailleurs, Piper est le champagne officiel depuis des lustres. Ce vin, dont il s’occupe aujourd’hui à 98% (Thierry Roset est chef de cave “à plein temps” pour Charles Heidsieck), passa quelques années dans une approximation indigne d’une grande maison. Régis Camus l’a redressé, lui a rendu une qualité à la hauteur de son histoire. Comment peut-on faire deux champagnes si différents ? La Champagne, dans son infinie capacité à répondre à tout, a inventé le truc qui lui évite de répondre à l’impossible : quel est le meilleur champagne ? Ce truc magique, c’est ce qu’on appelle le style-maison, et qui explique qu’il n’y a pas deux champagnes vraiment semblables et que chaque cuvée trouve son public, content de retrouver le style qu’il aime, année après année. Et donc, Régis Camus applique ce saint précepte à chacune de ses marques avec le succès qu’on connaît. Mais comme on ne se refait pas, il n’a pas pu s’empêcher de doter Piper-Heidsieck d’une grande cuvée, elle s’appelle Rare et, on s’en doutait, est produite à très peu d’exemplaires et ne ressemble pas du tout aux plus belles cuvées de Charles Heidsieck. Une manière comme une autre d’occuper tous les terrains. Et de décrocher encore quelques médailles d’or dans les concours anglais. Ce Régis n’a pas fini d’imprimer sa marque sur la Champagne.

Nicolas de Rouyn. Photo, Mathieu Garçon

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