Nos génies de l’année, tous ceux qu’on voit de loin

c’est un homme, une équipe, un endroit, une famille, une région, une vigne, un expert, une absence, même. ils se sont fait remarquer en 2020


Génie du vin


Gérard Bertrand, le pharaon du Languedoc

Les vignerons ont en commun avec les pharaons l’habitude de construire des pyramides. Certes, celles que bâtissent les premiers ne sont pas de pierre mais de vignes et de chais et s’y conservent non des momies, mais des bouteilles. Les pyramides du vin ont un sommet, une ou plusieurs cuvées rares et sévèrement contingentées, qui s’arrachent et font rêver les amateurs, un milieu, des vins de prestige dans des appellations qui ne le sont pas moins et une large base, des vins d’appellations dites génériques dont les mêmes amateurs apprécient la régularité et l’assurance de qualité. On l’a compris, ces pyramides-là, à l’inverse des égyptiennes, se bâtissent en commençant par le haut. Marcel Guigal, maitre en la matière, a construit son empire viticole en partant des quelques milliers de bouteilles de la Mouline et de la Landonne, et beaucoup d’autres, en Bourgogne, en Alsace, dans la vallée du Rhône ou à Bordeaux, ont su réaliser ce miracle architectural.
Gérard Bertrand, lui, est un cas unique – en France du moins – de vigneron ayant édifié sa pyramide en commençant par le bas. Parti du vignoble familial de Villemajou, cet enfant des Corbières élevé à la double et rude école du rugby et du travail de la vigne n’avait guère le choix quand il reprit l’affaire familiale après la disparition prématurée de son père. Le Languedoc apparaissait comme un vignoble de second ordre au début des années quatre-vingt-dix et, parmi ses terroirs, les Corbières paraissaient être le vignoble le plus sinistré de tous. Il a donc commencé par vendre du vin aux grandes surfaces, d’abord de différentes sources, puis sous sa marque. Il y a acquis une certaine assise, une compréhension immédiate des attentes des marchés et un sens quasi maniaque du détail. Beaucoup de professionnels et d’amateurs en sont restés là : un négociant – de surcroît du Languedoc – ne saurait devenir un grand vigneron. Pourtant, Gérard Bertrand a eu très tôt l’ambition de construire sa pyramide et n’a jamais perdu le cap. Une anecdote le raconte très bien. En 2000, il acquiert sept hectares merveilleusement situés sur des terrasses calcaires et argileuses face à la Montagne Noire, dans le cru de La Livinière. Il y a là de vieux carignans et syrahs. Il les complète aussitôt de grenache et de mourvèdre, il pressent que ce multi encépagement méditerranéen sera le gage d’un grand cru. Douze ans plus tard, voilà le Clos d’Ora, brillant sommet actuel de sa pyramide. Entre temps, il aura, étage après étage, édifié un impressionnant royaume des vins du Languedoc et du Roussillon, fondé sur 850 hectares cultivés en biodynamie, organisés en une quinzaine de propriétés toutes représentatives de la variété et du potentiel très largement méconnu des terroirs locaux. Son édifice, il l’a solidifié en prenant à bras le corps la vogue du rosé, en France comme aux États-Unis, pour en faire le moteur de sa croissance. Mais là où beaucoup d’autres se seraient contentés de faire pondre indéfiniment cette nouvelle poule aux œufs d’or, lui a pris le sujet du rosé au sérieux, qu’il s’agisse de sa version accessible et séduisante comme l’impeccable Côte des Roses ou de brillantes expressions de cru telle que la Villa du Château la Sauvageonne ou le très ambitieux et réussi Clos du Temple, second sommet installé dans les terroirs injustement oubliés de Saint-Saturnin. Comme Marcel Guigal avant lui, cet exigeant monarque ne se bat pas que pour lui. En faisant renaitre crus et terroirs, il redonne confiance et crédibilité au plus haut niveau à la première région viticole de France. Thierry Desseauve

Génie du vivre-ensemble


La cave de Tain

Depuis sa création en 1933, la cave coopérative de Tain possède l’un des plus prestigieux patrimoines de vignes de la vallée du Rhône. Grâce au don de son fondateur, elle est propriétaire d’un cinquième du vignoble de l’Hermitage dont une partie capitale au cœur de la partie historique du cru. Par le nombre de ses adhérents, elle est aussi et de loin le principal producteur de Crozes-Hermitage, Saint-Joseph, Cornas et Saint-Peray. Les hommes qui la dirigent aujourd’hui ont pris les bonnes décisions en matière de viticulture, de vinification et de marketing pour la moderniser intelligemment en restant fidèle aux valeurs d’authenticité nées de nos appellations d’origine. Daniel Brissot, le chef de culture vient de partir à la retraite après avoir formé Nicolas Ravel et montré à tous l’exemple de pratiques agronomiques respectueuses. Xavier Frouin, œnologue perfectionniste, se remet en question à chaque nouveau millésime. Le couple directorial formé par Jacques Alloncle et Xavier Gomart a permis à la cave les investissements nécessaires pour atteindre ses objectifs ambitieux. Développement de cuvées parcellaires, affinement et allongement des élevages, et surtout fidélisation des coopérateurs à cette recherche de la qualité. Les derniers millésimes sont tous simplement les meilleurs vins de son histoire. M.B.
Génie de l’œuvre accomplie


Philippe Dhalluin

Philippe Dhalluin peut partir à la retraite la tête haute. Depuis sa nomination en 2004 à la tête des vignobles Philippe de Rothschild et grâce à son savoir et sa détermination, il a accumulé les réussites. Évidemment, et de façon plus spectaculaire, à Mouton-Rothschild dont il a affiné viticulture et vinification, en gommant les inégalités et les lourdeurs qui avaient affecté de nombreux millésimes depuis 1973. Philippine de Rothschild lui avait fait confiance et donné tous les moyens de progresser, en construisant notamment pour Mouton puis pour Clerc-Milon de nouvelles installations techniques, et en prévoyant un nouveau chai pour Armailhac. Les ouvriers agricoles, les ouvriers des chais et les œnologues qui ont travaillé sous sa direction forment sans doute l’équipe la plus expérimentée du Médoc. Sans son concours quotidien rien n’aurait été possible. Comme nul autre, il aura su motiver et discipliner, par un discours clair, rationnel, porteur de bon sens agricole, vers la recherche de l’expression la plus harmonieuse des grands terroirs dont il avait la charge. Son successeur Jean Emmanuel Danjoy, formé par lui, lui succède aujourd’hui avec toutes les armes pour continuer dans le même sens. M.B.

Génie de l’art de vivre


Château de Ferrand à Saint-Émilion

Non contents d’avoir fait évoluer leur grand cru (classé en 2012) à tous égards et à toute vitesse, Pauline Bich et son mari Philippe Chandon-Moët ont fait du domaine acquis par le baron Bich en 1977 un modèle d’œnotourisme bien compris. C’est-à-dire la mise en scène gracieuse de la simplicité, du luxe sans ostentation, de cet accueil à la française qui fait la part belle aux visiteurs et, d’abord, aux amateurs. N.R.

Génie du parcours


Julie Cavil, chef de caves du champagne Krug

Après avoir été pendant treize ans la n°2 du grand Éric Lebel, son prédécesseur, son mentor, elle a pris en janvier 2020 les commandes de l’œnologie de la maison et des relations avec le vignoble, l’un n’allant pas sans l’autre dans les bonnes maisons. Cette nomination pour le moins prestigieuse couronne 15 ans d’exercice en Champagne et confirme, s’il le fallait, un talent jamais pris en défaut. N.R.

Génie de la famille


Famille Brunel, Château de la Gardine

Comprendre les ressorts internes d’une entreprise n’est pas chose simple, mais ce n’est rien à côté de ceux d’une famille. Alors ceux d’une entreprise familiale… Le monde du vin fournit d’innombrables exemples d’entreprises familiales se déchirant avec plus ou moins de fracas, à tel point que l’on se demande parfois si l’inverse existe. La famille Brunel fournit heureusement l’exemple d’une famille unie – deux frères, l’épouse de l’un et leurs enfants- au service de leur Château la Gardine à Châteauneuf du Pape et de plusieurs vignobles à Lirac et Rasteau. Chacun à son rôle, de la vigne au vin en passant par la commercialisation, contribue harmonieusement à la progression d’un cru modèle. T.D.

Génie du partage


Marcel Richaud

En pas loin de cinquante ans de carrière, Marcel Richaud aura incarné mieux que beaucoup d’autres le métier de vigneron, tant par sa force de conviction pour secouer les immobilismes et les habitudes que par son amour du travail bien fait à la vigne comme au chai. Cette passion discrète et attachante, il en fait quelque chose de plus fort encore : il a su la transmettre. À ses enfants d’abord, qui travaillent avec lui et reprennent peu à peu le domaine de Cairanne, à ses disciples ensuite, comme Elodie Balme qui dans son propre domaine, toujours à Cairanne, réalise des vins magnifiques dans un esprit et un style inspiré de Marcel, mais au-delà à des dizaines de vignerons, en vallée du Rhône et ailleurs, qui se sont inspirés de cet exemple formidable pour aller jusqu’au bout de leur rêve. Cette émulation est au final d’un apport inestimable pour nous amateurs : combien de bonnes bouteilles dans notre cave doit-on au talent de transmission qu’aura incité sans nécessairement chercher à l’imposer Marcel Richaud ! T.D.

Génie de l’innovation environnementale


Champagne Louis Roederer

Est attribué à la maison Louis Roederer pour son implication XXL dans l’évolution des pratiques culturales sur une part importante de son domaine viticole. En effet, décision a été prise de convertir pas moins de 115 hectares en biodynamie. C’est un geste d’une grande envergure. Si la maison rémoise fondée en 1776 n’est pas à proprement un pionnier de la biodynamie en Champagne, elle est la première à agir sur de telles superficies. N.R.

Génie du temps retrouvé


Baptiste Loiseau, Maison Rémy Martin

Le cognac est affaire de temps. Attendre aussi longtemps une eau-de-vie qu’on n’assemblera peut-être pas de son vivant relève du sacerdoce. Cela peut créer quelques frustrations. Ou bien, comme Baptiste Loiseau, maitre de chai de la maison Rémy Martin, on peut, avec la joie le plus franche et l’humilité la plus profonde, continuer de rêver aux inépuisables ressources du terroir charentais et du savoir-faire cognacais. Le sien est immense, comme son talent. L.V.C

Génie de la parole


Personne !

Dans cette crise de la Covid où l’on aura vu se succéder sur toutes les chaînes de télé à peu près tous les représentants désignés ou auto-proclamés d’à peu près toutes les professions pour clamer haut et fort leur mal être, le monde du vin aura endossé évidemment sans tambour ni trompettes le rôle de grande muette. Pourtant, les drames humains sont nombreux, les difficultés d’autant plus immenses que tous les marchés nationaux et exports ont subi de plein fouet la crise et qu’au final, tant le dynamisme de la filière que cet art de vivre du vin (et de la gastronomie) français si souvent brandi fièrement risquent d’être impactés durablement par cet épisode dont on retiendra que convivialité et partage devenaient des périls à proscrire absolument. Tout cela mérite débat bien au-delà du microcosme viticole, mais, faute d’incarnation grand public – que ne facilite pas l’éternelle guéguerre entre les grands vignobles – le vin n’existe pas dans le débat public. On a le droit de le regretter. T.D.

Génie du geste


Sylvain Nicolas

Le chef-sommelier du « meilleur restaurant du monde », celui du triple étoilé Guy Savoy à la Monnaie de Paris, est-il le meilleur sommelier du monde ? On peut nous objecter qu’il y a un concours pour ça. Toutefois, nous avons toujours été impressionné par sa discrétion et le sérieux qu’il montre en préparant très en amont les accords mets-vins en étroite collaboration avec son chef. Un grand pro qui ne se prend pas pour une star. N.R.

Génie du plaisir


Jean-Claude Mas

Croire que les années se suivent et se ressemblent pour Jean-Claude Mas réduirait la performance que lui et ses équipes sont en train de d’accomplir. C’est bien de cela dont il s’agit. Pour la deuxième année consécutive, il porte le Languedoc au sommet des vins de plaisir. 17 fois récompensé lors la dernière édition de notre Concours Prix Plaisir, nous ne pouvons qu’applaudir ses domaines et ses marques, dont la distribution maîtrisée de bout en bout permet au plus grand nombre de les déguster. C’est une chance. L.V.C.

Génie de l’effort


Ceux de la Côte-Rôtie

Qui n’a jamais vu les pentes (on devrait dire falaises) de la Côte-Rôtie n’a pas idée de ce que signifie « cultiver de la vigne dans des conditions extrêmes ». À tel point que ceux qui, en plus, pratiquent la viticulture bio sont quasiment des héros de la planète. En attendant la légion d’honneur, à eux la pioche et les idées extravagantes pour tenter de mécaniser ce qui peut l’être. Pourtant, tous ces vignerons (environ 70) produisent des vins qui affolent les amateurs du monde entier. Certains sont des stars mondiales, d’autres vont le devenir. N.R.

Génie du lieu


La Provence

Bien des circonstances ne nous auront pas permis, au cours de l’année, de sillonner la France à la rencontre de ceux qui font le vin. Ce petit pincement au cœur nous serre à l’égard de toutes les régions. L’idée de les retrouver est un rendez-vous que ne nous ne manquerons pas. Le génie de la Provence, tant il s’y passe de bonnes et heureuses choses pour la culture de la vigne et pour le rayonnement du vignoble hors de notre territoire, mérite qu’on s’y intéresse de près. C’est ce que nous ferons bientôt. L.V.C.

Génie du commerce (en ligne)


lagrandecave.fr

Nous aurions pu récompenser un caviste pour le courage dont le métier a fait preuve au cours de cette année. Plus que jamais, la vente en ligne se fait une place dans le commerce des vins. Les producteurs, comme les consommateurs, ont désormais besoin de sites d’e-commerce per-formants, bien désignés et, surtout, fiables. Ainsi de La Grande Cave, spécialisée dans la vente des vins de Bordeaux, dont le contenu d’aide à l’achat, varié et intelligemment sélectionné, offre au vignoble une vitrine réussie. (lagrandecave.fr) L.V.C.

Génie de la table


Arcane (Paris 18e)

Pour la cuisine de Laurent Magnin, pure et harmonieuse, instinctive et élaborée. L’assiette joue ici la concision, jamais démonstrative ni inutile dans ses apprêts, et autorise d’heureux accords avec les pépites que réserve la cave. L’arrivée d’un nouveau sommelier Arnaud Fâtome, le service naturel et consciencieux, offrent des conditions optimales pour partager un tel souci de la perfection et une incontestable idée du bonheur. Guide Lebey

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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