Olivier Jullien, le sud illuminé

Il n’y a pas de train sans une locomotive puissante, brillante, innovante. Sans le vouloir vraiment, Olivier Jullien a endossé ce costume


Article paru dans Le Nouveau Bettane+Desseauve 2023, pages 226-227


Réunion d’une vingtaine de vignerons de l’appellation terrasses-du-larzac, avant la crise sanitaire. Il y a de l’ambiance, le millésime s’annonce bon, les discussions sont animées, bruyantes, la cacophonie s’installe. Au bout de cette tablée joyeuse, un vigneron commence à parler. Olivier Jullien expose sa vision du vin. Sa voix ne porte pas particulièrement, mais tout le monde se tait. Le maître parle. L’homme est celui par qui tout a commencé, quand tout le monde était encore persuadé que les vins du Languedoc ne servaient qu’à faire des sauces, quand personne ne savait situer les terrasses du Larzac. On le respecte pour ses vins, ses savoirs, son intelligence et surtout pour un humanisme presque d’un autre temps, pourtant si moderne tant il est nécessaire.
Tout commence au début des années 1980. Jullien n’a pas de vignes, juste un BTS viti-oeno en poche. Il loue quelques parcelles pour faire son vin, qu’il réussit à vendre en installant des panneaux publicitaires pour attirer les touristes de passage ou en posant des flyers photocopiés sur les pare-brises des voitures. Les premiers professionnels à acheter sont les Belges. Eux n’ont pas de préjugés sur les vins du Languedoc. Devant la flambée des prix des grands bordeaux, ils cherchent d’autres sources d’approvisionnement pour leur clientèle. Quelques restaurateurs, comme les patrons du Mimosa à Saint-Guiraud, envoient beaucoup de leurs clients chez Olivier. Lui reprend ses études afin de mieux comprendre ce qui se passe dans un raisin et dans un chai et obtient le diplôme d’œnologue. Curieusement, la tradition est allée ici de fils en père. Dix ans après le démarrage du mas Jullien, le père d’Olivier, viticulteur coopérateur de son état a créé son domaine, le mas Cal Demoura, dont l’aventure est aujourd’hui brillamment poursuivie par les Goumard.

Tout commence à Jonquières
Le terroir des débuts est celui de Jonquières, dont Olivier aime passionnément les calcaires. La terre se loue à qui veut bien la prendre, les prétendants sont rares. Ce terroir donne aux vins des arômes complexes, au-delà du seul fruit, avec des matières longues en goût, soutenues par des tannins plein de reliefs qui étirent la densité du vin. Assez vite, face au réchauffement climatique que les gens de la vigne constatent à chaque millésime, l’idée d’aller cultiver plus haut dans les terrasses devient une évidence. Abandonner une grande partie de ses vignes de Jonquières n’a pas été un crève-cœur. Il a l’impression d’avoir fait ce qu’il avait à faire, ne se sent plus utile au lieu. Tombé amoureux des terroirs d’altitude de Saint-Privat lors d’une balade à VTT, il décide d’y acheter des vignes puis d’y vivre.
Ces terroirs situés entre 300 et 450 mètres donnent des vins aux arômes précis avec des équilibres fluides, longs en saveurs, légers et aux tannins doux. Carlan est la première implantation avant d’autres comme Lous Rougeos, dont les vieux vignerons disaient que chaque famille de la commune voulait autrefois en posséder un lopin. La dégustation du millésime 2020 confirme les propos des anciens. Par acquisitions successives, Jullien réussit à constituer un vignoble largement en friche. Avec la régression du monde rural, le vigneron devient un fournisseur d’accès pour des citadins qui expriment un besoin vital pour l’énergie de la nature.
Olivier Jullien a toujours voulu faire du vin pour donner de la joie, du plaisir. C’est sa lutte épicurienne. Sans l’envie de faire un vin en particulier, sans idées précises et plutôt avec la somme de ses questions, il revisite régulièrement ses propres dogmes. Certifié bio, il pratique la biodynamie sans certification. Elle est pour lui une démarche intime, amoureuse, que l’on ne peut pas faire tamponner par un quelconque organisme étranger.

Accessible malgré la demande
Nous voyons régulièrement émerger de nouvelles cuvées, en Languedoc ou ailleurs, dont le prix est arbitrairement fixé cinq fois plus cher que le standard local, parfois dix fois, parfois plus. La loi de l’offre et de la demande aurait voulu que Mas Jullien domine par ses prix la production du Languedoc. Olivier souhaite un prix qui lui permette de bien vivre et d’investir malgré les faibles volumes produits, sans couper le lien avec l’amateur. Ce qui l’amène à relever le défi compliqué de se faire respecter, d’avoir une image hyper qualitative sans entrer dans le jeu de la spéculation.
Pour lui, tenir cette ligne est fondamental en termes de cohérence et de confiance avec sa clientèle sur la durée. En fonction des volumes disponibles, hélas faibles sur les derniers millésimes, les amateurs intéressés peuvent acheter les vins en répondant à ses offres de réservation chaque mois de mars. Longtemps inconnus, les terroirs de l’AOC terrasses-du-larzac doivent beaucoup à Olivier. La plupart des grands amateurs situent aujourd’hui l’appellation à la pointe qualitative d’un Languedoc qui ne traîne plus ses casseroles des années anciennes. « Ce qui manque le plus ici comme ailleurs est de trouver des personnes qui ont le sens de la vigne », explique Olivier. Peut-être ne se rend-il pas compte que le vignoble des Terrasses en est plutôt bien pourvu par rapport à d’autres zones du Languedoc. Nombre de néo-vignerons peuvent le remercier de ses conseils avisés. Il aide ceux qui s’installent dès lors qu’ils ont une ambition qualitative.

Nous vous recommandons la lecture de La Mécanique des vins (Grasset) de Laure Gasparotto et Olivier Jullien.

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