Bourgogne, les espoirs de la famille Drouhin

Les Drouhin sont les témoins des changements en Bourgogne. Pas question de rester les bras croisés face aux défis qui viennent. ils attendent le futur et préparent leur avenir


Cet article est à retrouver en intégralité dans Le Nouveau Bettane+Desseauve 2024 (pages 128-129). Vous pouvez l’acheter sur notre site ici ou en librairie.


Qu’est-ce qu’une famille ? Avec les années, le lien solide qui unit celle des Drouhin depuis cinq générations aurait pu se défaire peu à peu. Après tout, combien de grandes familles, centenaires et travailleuses comme celle-ci, se sont détournées doucement de la voie exigeante du grand vin. Pas celle-là. Les Drouhin de Beaune se sont lancés à la poursuite d’un rêve dont il ne se sont jamais éloignés, ne cédant à aucune mode, portés par une vision de la qualité presque immuable. Celle-ci s’exprime aujourd’hui sur un peu plus de cent hectares et le domaine de la famille est l’un des plus importants de la région, réparti entre les cinq sous-ensembles bourguignons (Chablisien, côte de Nuits, côte de Beaune, Chalonnais et Mâconnais). Il continue d’ailleurs à grandir avec de récentes acquisitions à Saint-Véran (château de Chasselas) et à Saint-Romain (domaine Rapet). De Joseph Drouhin le fondateur, la génération actuelle – Philippe, Véronique, Frédéric et Laurent – a hérité cette envie de toujours faire mieux. Une attitude pas si fréquente dans un contexte où les vins de Bourgogne sont toujours plus demandés dans le monde. Mais voilà, le bonheur éphémère d’un marché en pleine forme ne donne aucune garantie quant à la suite de cette histoire dans le siècle qui vient. Sans doute l’aventure américaine de la famille, propriétaire d’un beau vignoble en Oregon, a contribué à lui donner la large ouverture d’esprit dont elle fait preuve aujourd’hui. Au même titre d’ailleurs que son implication dans la vie du vignoble bourguignon et son rôle au sein des Primum Familiæ Vini, association prestigieuse dont elle est membre et qui réunit douze familles influentes du monde du vin. Avenir oblige, il restait à la génération actuelle un combat à mener pour donner du sens aux actes d’une famille qui en nourrit le moindre geste.

Pionnière hier
Engagé dès le début des année 1990 sur le chemin d’une agriculture vertueuse, biologique et biodynamique, le vignoble est l’objet de toutes les attentions. Il suffit de constater la tenue impeccable du Clos des Mouches, climat historique de l’appellation beaune et fief éternel de la famille, pour réaliser à quel point les questions environnementales, et surtout la pérennité des territoires, est au cœur du travail des Drouhin. Défi de taille, pour réduire l’impact de son activité, la maison s’est lancée dans un vaste programme de refonte de ses pratiques, traquant la moindre dépense énergétique superflue, des bureaux de son siège jusqu’à la distribution de ses vins. Elle a confié à Laurène, la fille de Véronique, la plus difficile des missions d’une entreprise : avancer. Il lui faudra commencer – cette opération en est à ses balbutiements – par changer les mentalités, recourir sans doute toujours plus à la technologie et à l’information et faire des choix difficiles, pour ses fournisseurs, pour ses équipes, pour le marché qu’il faut priver parfois d’une commande afin d’éviter une livraison gourmande en énergie. Déterminée à mettre en place ce cas unique d’engagement vertueux en Bourgogne, en tout cas pour une maison de taille comparable, Laurène sait que beaucoup de travail et de nombreux obstacles la séparent d’une réussite incertaine.

Engagée aujourd’hui
Au fond, qu’a-t-elle à y gagner et la maison avec elle ? Un peu de bonne conscience ? Un peu comme celles de Joseph, Maurice et Robert avant elles, les deux générations actuelles des Drouhin semblent avoir compris (en avance) que le monde pouvait bien continuer à tourner sans la Bourgogne. Certes, la région est aujourd’hui l’épicentre des vins fins. Mais elle n’a pas encore assez multiplié les projets innovants et ambitieux, comme c’est le cas ailleurs en France, pour continuer à être encore longtemps ce qu’elle est aujourd’hui. On sait déjà tous les nombreux problèmes liés à la vie des sols, les réflexions plus ou moins abouties concernant les porte-greffes, etc. Concrètement, la Bourgogne, comme tant d’autres vignobles plus ou moins prestigieux dans le monde, coûte à la planète, y pioche ses ressources et l’épuise. « L’idée, c’est d’être à l’équilibre », concède Laurène. De nombreuses réflexions agronomiques vertueuses ont pris corps dans le vignoble mondial cette dernière décennie. En Bourgogne, c’est la première fois qu’une maison d’une taille aussi significative interroge ses pratiques avec autant d’intransigeance. Il lui faudra sans doute tout remettre à plat, repartir de zéro, essayer, échouer, abandonner, recommencer.
Nous parlions d’un fil invisible à laquelle cette famille se tenait : il ressemble étrangement à celui de l’abnégation et du courage. Deux qualités au service des grands vins, et un héritage bien partagé entre les générations et dans le large répertoire de la maison beaunoise.

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