Le parcellaire chablisien joué par Derenoncourt

Une page se tourne en douceur à Chablis. Michel Laroche s’efface progressivement de la structure qui porte son nom. Après plus de quarante années à sillonner le vignoble et les routes commerciales qui parcourent le monde, à concilier produits traditionnels défendant une identité et démarche marketing adaptée aux exigences d’un consommateur désormais multiple et décomplexé, le vigneron-entrepreneur souhaite prendre un peu de recul, et permettre à d’autres de prolonger cette belle aventure en transmettant le relais le mieux possible. Lorsque les conversations ont commencé avec Antoine Leccia, du groupe Jeanjean, pour rapprocher les deux groupes, le trousseau de la mariée était séduisant. Un vaste vignoble (un trésor en Bourgogne que seul le Chablisien peut offrir), une offre répartie sur quatre zones géographiques (Chablis, Languedoc, Chili, Afrique du Sud), des innovations marketing qui ont contribué à en faire une marque forte (la capsule à vis, notamment) et, bien entendu, une qualité des vins unanimement reconnue. La fusion entre les deux structures a donné naissance à Advini, nous sommes en janvier 2010.

Qui dit nouvelle équipe dit souvent nouvelles idées, nouvelle approche. Sans renier ce qui a été accompli, mais avec la ferme intention d’imprimer sa marque. Le nouveau directeur, Thierry Bellicaud, a fait appel au consultant bordelais Stéphane Derenoncourt, qui suit également d’autres propriétés du groupe, notamment le Château Capet-Guillier à Saint-Émilion. L’homme n’est pas en terra incognita. En relevant le challenge, Derenoncourt réalise un vieux rêve, travailler un sol bourguignon. Et le contexte chablisien convient mieux à son tempérament que celui de la Côte d’Or. Moins médiatisé, moins formaté par des décennies de succès international, on peut librement y donner cours à des initiatives, des expérimentations, des essais. La multitude d’expositions et de topographies, la composition des sols permettent des interprétations très contrastées d’une même appellation.

Quelle est la méthode Derenoncourt ? Répondre à la question n’a aucun sens si l’on ne rencontre pas les hommes et les femmes qui composent son équipe. En effet, ce métier de consultant à distance n’est possible que si l’on sait s’entourer. Avec Grégory Viennois, un ancien de chez Chapoutier et Ferraton avec qui il a déjà travaillé, mais aussi Julien Lavenu, dans son team depuis longtemps déjà malgré sa trentaine à peine entamée, et la très talentueuse Sandrine Audegond, c’est une relation de complicité, indispensable pour déléguer l’essentiel des tâches du quotidien, pour mieux se concentrer sur les objectifs de long terme, et c’est le meilleur moyen pour y parvenir. On comprend mieux pourquoi l’arrivée de Derenoncourt s’est traduite par quelques départs, notamment dans l’équipe technique, c’est la vie des organisations et le monde du vin n’y échappe pas.

Tout démarre par un audit, c’est normal, c’est le célèbre « droit d’inventaire ». Tous les sites du groupe ont été scrutés à la loupe. Sans audit, point d’action, et les premières interventions ne porteront que sur les 2011, les 2010 étant déjà vinifiés et en cours d’élevage lors de son arrivée.
Le point de départ de toute activité viticole, c’est la vigne. Ces dernières années, Michel Laroche et ses équipes avaient entamé une démarche de type bio, non certifiée, si bien que les vignes ont déjà pris les bonnes habitudes. Ira-t-on vers une certification ? Vers la biodynamie ? Il est trop tôt pour répondre, l’essentiel est de ne pas griller les étapes, le climat chablisien n’est pas le plus simple à gérer, avec ses gelées tardives et son humidité importante. Là encore, l’expérience des équipes en la matière est un atout majeur.

La feuille de route de la nouvelle équipe est claire. La priorité, c’est le domaine, les quatre-vingt-huit hectares de vignoble. Une fois que le nouveau savoir-faire maison sera en place, l’activité de négoce suivra, ce qui ne signifie pas qu’elle est mise entre parenthèses.
Dans un premier temps, la nouvelle équipe va repenser le parcellaire. Attribuer à chacun sa parcelle, afin de mieux responsabiliser les vignerons, et leur permettre de suivre leur travail et ses résultats, depuis la vigne jusqu’au verre. Derenoncourt pense même plus loin, il veut l’interparcellaire, c’est-à-dire le parcellaire au sein du parcellaire.

Tout est basé sur l’observation de la vigne. Regarder les rangs de vigne qui mûrissent plus vite, les hauts de coteaux par rapport aux bas, ceux qui sont atteints par des carences, quitte à adapter les traitements et aussi la date de vendange en fonction des relevés du terrain, plutôt que de généraliser un même process à une vaste parcelle. La méthode n’est pas révolutionnaire en soi, mais la mise en place de l’organisation idoine n’est pas si répandue.

L’un de ces chantiers passera par la replantation des parcelles, une tâche herculéenne qui doit se soumettre à plusieurs contraintes. Arracher toute une parcelle signifie un arrêt total de la production durant au moins cinq années, avec, à la clef, une diminution sensible du chiffre d’affaires, à un moment où l’entreprise investit. Et il faut compter une dizaine d’années avant que la qualité de la production ne devienne régulièrement intéressante. Une solution intermédiaire consiste à arracher dix rangées par dix rangées, tous les ans, ce qui affecte peu les volumes produits, mais étend le processus d’arrachage sur plusieurs décennies.

Replanter, en évitant de reprendre les clones productifs des années 1970 et 1980, où l’on privilégiait la quantité de raisin à la qualité et à la concentration. Privilégier des plants qualitatifs, sélectionner le porte-greffe adéquat, Michel Laroche avait bien entamé cette réflexion. Stéphane veut bousculer certaines pratiques locales, notamment en réintroduisant un repos systématique des sols sur deux ou trois ans avant replantation, ce qui permet de mieux éliminer les parasites et les viroses. Pour redonner encore plus de vie aux sols, il souhaite réintroduire des semis d’hiver (des céréales comme l’orge ou le seigle, dont les racines décompactent et aèrent les sols). Sachant que le risque principal à Chablis, ce sont les gelées tardives, celles du printemps. Les semis, en accumulant l’humidité, augmentent le risque destructeur des gelées. Il faut donc tondre tôt, dès le mois de février. Du coup, pour que le système racinaire de ces semis ait le temps de pénétrer efficacement dans les sols, la plantation doit être effectuée au moment des vendanges voire juste avant. Toute une réflexion sur le calendrier qui impose de revoir l’organisation, avec le souci d’impliquer les équipes dans la globalité de la démarche.

Après le travail à la vigne, primordial, viendra celui en cave. Et là, les pistes sont tout aussi nombreuses. Moins se reposer sur des levures sélectionnées mais utiliser plus les levures indigènes, une fois que celles-ci auront retrouvé leur dynamisme. Être moins systématique avec les élevages sous bois, les allonger quand c’est nécessaire et ne pas hésiter à les raccourcir s’il le faut. Goûter, sélectionner, éliminer, essayer de proposer pour chaque cru la quintessence du terroir.

En entendant parler de cette nouvelle approche au plus proche de la parcelle, de cette sélection plus systématique encore, avec son cortège de lots éliminés ou déclassés, on se prend à imaginer que de nouvelles cuvées pourraient voir le jour. Par exemple plusieurs interprétations d’un même cru, mais à la nature de sol variable ? Est-ce envisageable ? Rien n’est exclu, mais il s’agira d’un choix a posteriori, en aucun cas d’une contrainte fixée préalablement par un plan de développement commercial. Les cuvées ne naîtront que si elles s’imposent dès la vigne, c’est le message que martèle Derenoncourt, aller de l’amont à l’aval et pas l’inverse. Peut-être n’y en aura-t-il pas. Premières dégustations dans les mois qui viennent. Les premières d’une longue série.

Guillaume Puzo

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