La Cour d’Appel de Paris, statuant sur l’appel de la société Ricard contre la décision du TGI de Paris qui avait critiqué sa campagne « un Ricard des rencontres », vient de rendre un arrêt confirmatif certes sévère dans son ensemble et sur le fond, mais néanmoins instructif.
Arrêt sévère car il rend délicate la présence des marques d’alcool sur Facebook en critiquant le mode de fonctionnement viral et automatisé du réseau social. Et il pose des questions pour les applications mobiles.
Arrêt sévère car il comporte une analyse très subjective de l’impression donnée par le visuel, analyse sur l’ambigüité et le second sens du message, qui conduit à une condamnation plus étendue qu’en première instance.
Arrêt sévère enfin car il comporte à nouveau l’affirmation que l’attractivité d’un message étant par essence incitatif à la consommation, pour rester dans les bornes de la loi Evin, le message ne peut qu’être informatif.
Mais cet arrêt est aussi instructif car contrairement à ce que demandait l’ANPAA, le juge ne condamne pas le film comme support interdit sur internet.
Il est aussi instructif car il en ressort que, sur internet, le message sanitaire doit en permanence être visible sur tout support comportant un message pour une marque d’alcool.
A / La loi Evin et le numérique
1° L’utilisation de Facebook
La Cour d’Appel réaffirme le caractère intrusif des messages s’affichant sur les murs des amis, et ajoute une critique sur le caractère automatique et non maîtrisé par l’internaute de certains des messages diffusés sur son mur.
Pour les juges d’appel ce qui pose véritablement problème, au-delà des développements des juges de première instance qu’ils ne contestent pas, c’est le mode d’affichage des messages générés par Facebook. Faisant encore une fois une description très factuelle du fonctionnement du réseau social, les juges retiennent la manière dont certains messages générés par le réseau à la demande de l’internaute, s’affichent sans choix possible pour le destinataire du message. Là il ne s’agit pas des informations apparaissant chez les amis des internautes ayant téléchargé une application, mais des modalités de rédaction et d’apparition des messages sur le mur de l’internaute qui télécharge l’application.
Ce qui est considéré comme intrusif, ou intempestif (cette notion n’ayant aucune base)
– C’est le fait que le contenu du message apparaissant sur le mur pour partager l’information du téléchargement, n’est pas soumis expressément pour accord à l’internaute.
– De même le fait que ce message apparait sur le mur de manière inopinée. L’internaute n’a aucune action possible pour maitriser le moment de son apparition. L’inopiné est intrusif.
L’internaute doit rester maître des messages qui apparaissent sur son mur ou qu’il envoie. Une marque d’alcool ne doit pas se substituer à lui.
Le problème est que ces critiques touchent le coeur du mode de fonctionnement viral des réseaux sociaux: automaticité et large diffusion. En fait l’existence d’une page Facebook gérée autour d’une marque d’alcool n’est pas critiquée en soi. Par contre c’est la circulation de l’information autour de cette page qui pose problème. Qu’elle apparaisse sur le mur de l’internaute qui volontairement est sur la page « alcool », ou bien sur le mur des amis de cet internaute.
Au détour d’un considérant, les juges dévoilent ce qui pose problème : Facebook est un « réseau social de convivialité ». Et comme on le sait, la convivialité c’est-à-dire l’échange et la communication, n’est pas conforme à la loi Evin.
2° L’utilisation des applications mobiles
La Cour d’Appel valide le principe des applications sur les marques d’alcool, mais cette validation étant par défaut, elle est fragile.
Répondant à un argument de l’ANPAA et à une expertise faite par l’ANPAA, la Cour d’Appel affirme le caractère légal de l’application sur un mobile, ce qui est plutôt satisfaisant, mais au seul motif que l’expertise fournie par l’ANPAA, qui montre que pour fonctionner l’application n’a pas besoin d’être connectée à internet, n’est pas contradictoire.
Cela signifie que si l’ANPAA fourni une expertise reconnue contradictoire, le sort des applications sur mobiles pourrait être contesté.
Le message qui ressort de cela est, qu’en tout état de cause, pour mériter le nom de « service de communication en ligne » l’application doit être et rester connectée à internet pendant son utilisation. Dans ce cas, elle rentre dans la liste des supports autorisés. Mais son fonctionnement autonome d’internet lui fait perdre la définition de « service de communication en ligne » et lui retire la qualité de support autorisé. La Cour d’Appel va donc plus loin que le TGI pour qui les applications mobiles sont des services de communication en ligne dès lors qu’il est nécessaire de se connecter à internet pour les télécharger et qu’elles ne font que permettre un accès plus efficace à un contenu interactif, alors même qu’ensuite elles fonctionneraient en autonomie sur les mobiles.
3° Les films
La Cour d’Appel ne conteste pas la possibilité de diffuser sur internet des publicités pour de l’alcool, sous forme de film.
Dans ses conclusions, l’ANPAA demandait expressément que le film sur internet soit déclaré comme étant un support non autorisé. Dans un considérant limpide, la Cour d’Appel condamne le film mais en raison de son contenu et « pour ces seuls motifs ». Une telle précision rejette donc la demande de l’ANPAA sur le caractère non autorisé du support. Il faut rappeler que sous la loi Barzach, le support audiovisuel était expressément interdit et que la loi Evin n’a pas intégré ce support dans sa liste des supports autorisés.
B/ Le contenu des publicités
1° Le message publicitaire ne doit pas être ambigu, susceptible de second sens, esthétique et ne doit pas adopter les modes d’expression des jeunes consommateurs.
Ces différents aspects du contrôle du contenu du message sont anciens et connus. Leur réaffirmation est une preuve de leur actualité.
Sur l’ambiguïté, et reprenant l’argumentation du TGI, la Cour d’Appel condamne l’utilisation du mot « rencontre » pour décrire un mode de consommation sous forme de cocktail. Pour le juge, ce terme signifie plutôt un appel à la convivialité.
Reprenant aussi une jurisprudence antérieure et régulière (affaires Marie Brizard, Vins de Loire ou Glenfiddich entre autres) la Cour d’Appel, suivant la demande de l’ANPAA, condamne l’utilisation d’un terme ayant plusieurs significations, au motif que l’une des significations n’a pas de caractère légal. En l’espèce l’idée était de définir les cocktails comme des « rencontres ».
Sur le second sens, et reprenant son habitude de procéder à une analyse subjective des visuels, la Cour d’Appel est amenée à interpréter le sens caché des messages. La vue du mélange du pastis avec divers ingrédients, « jouant sur l’évocation des ajouts au ricard, et les nuages » est considérée comme un renvoi à une « impression de légèreté ou d’évasion (?) » et non au louchissement du produit. On laissera la subjectivité du raisonnement aux juges. Mais cette instance à l’analyse subjective est pour le moins problématique s’agissant d’un texte pénal.
Sur l’esthétisme, la Cour d’Appel condamne tout ce qui pourrait être perçu comme élément de séduction, ou d’attraction, car la séduction conduit à l’incitation. S’agissant du film, la « combinaison des éléments illicites relevés pour les affiches magnifie ces éléments à travers une mise en scène, accentuée par la mobilité du message et une musique séductrice, l’ensemble aboutissant à une création esthétique destinée à donner à la boisson Ricard un caractère festif, incitatif à la consommation d’alcool. » A contrario, c’est l’affirmation de l’exigence d’un message informatif.
S’agissant de l’application mobile qui permet de visionner la bouteille, est critiquée la « présentation attractive utilisant une forme d’image très en vogue ».
Sur les modes d’expression, l’adoption de codes liés aux nouvelles technologies comme l’emploi du « sigle # qui signifie dièse dans l’esprit du consommateur français, visé par la publicité, associé à un chiffre dont le sens est incompréhensible, pour ce même consommateur, n’ont d’autre objet que d’appeler son attention, et plus particulièrement celle d’un consommateur jeune, sensible aux nouvelles technologies » ce qui là encore n’est pas autorisé. On appréciera la notion de « consommateur jeune » qui n’a aucun fondement légal. Doit-on assimiler « jeune » à « mineur » ?
2° La place du message sanitaire sur internet
Pour la première fois, il ressort du contenu du jugement, des éléments sur la manière d’apposer le message sanitaire sur internet.
L’élément essentiel est que le message doit être visible en permanence. On ne peut se contenter d’un message en tête ou en pied de page si celle-ci est défilante. Il faut donc prévoir de l’intégrer dans les éléments fixes des pages, même pour les applications mobiles.
Olivier Poulet – Avocat au Barreau de Rennes
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