La dernière tentative de renouvellement du classement des vins de Saint-Emilion a donné à nouveau naissance à une procédure d’annulation pour manquement aux règles fixées, sans parler d’une plainte contre X pour prise illégale d’intérêt, déposée par trois châteaux déclassés, Croque-Michotte, Corbin-Michotte et La Tour du Pin-Figeac (Bélivier). Une plainte contre X, par définition, ne vise personne en particulier, mais très vite l’avocat des plaignants a laissé entendre que deux personnalités du vignoble, membres de l’I.N.A.O et propriétaires de crus soumis à ce classement, Hubert de Boüard (Château Angélus) et Philippe Castéja (Château Trottevieille) seraient au cœur de ce recours contre X. Leurs crus et d’autres crus, relevant de leurs activités de conseil ou de négoce, auraient été privilégiés lors du reclassement avec tous les gains financiers imaginables, inversement proportionnels aux pertes financières des trois crus déclassés. Bien entendu, des journalistes sont allés de leurs commentaires mêlant, hélas, l’allusion, la délation et l’idéologie aux faits.
Pour ma part, je tiens à séparer les deux actions.
Un recours contre le non-respect du règlement lié à la révision du classement est possible dans un état de droit et c’est à la justice de vérifier si ce règlement a été respecté à la lettre, conformément aux engagements pris par la commission de révision à la suite des déboires nés de la précédente révision et pour les mêmes raisons.
Une procédure contre X, c’est bien différent et bien plus grave. La première raison invoquée par les trois propriétés, à savoir la défense de leur patrimoine, ne tient absolument pas. Je rappelle ici qu’aucun centimètre carré de leur propriété ne leur a été ôté et que la qualité de leur terroir n’a été altérée par aucune action malveillante. Un classement révisable, même officialisé par la nation, n’est rien d’autre qu’un jugement provisoire sur une qualité et certainement pas une atteinte à la pérennité des crus relevant de ce classement. Il ne diminue en rien la qualité agronomique des terres et le potentiel de qualité du vin de ces trois crus. La seule motivation véritable est l’appât du gain lié à une spéculation possible sur le prix de vente de leur vignoble à condition de prouver que ce prix serait en baisse par rapport au cours d’avant la révision. Ou de dire ouvertement qu’il ne pourrait pas augmenter en cas de revente. Arrêtons net l’hypocrisie en la matière. Un cru non classé, qui n’a pas demandé à l’être, comme Tertre-Roteboeuf, mais dont la qualité et la réputation ont fait le tour de la planète, vaudrait à l’hectare largement celui de ces trois crus réunis même s’ils conservaient leur classement.
La meilleure manière de défendre la valeur d’un patrimoine viticole est de faire de la qualité et de la faire connaître. Des trois propriétés en question, l’une (Croque-Michotte) a soigneusement évité de présenter à la presse ses vingt derniers millésimes, ne les mettant pas en confrontation avec ses pairs du classement. J’ai beau consulter mes notes de dégustation depuis 1985, je n’ai aucune note concernant ce cru. La seconde (La Tour-du-Pin-Figeac) ne les pas souvent présentés, mais à chaque fois les vins ne brillaient pas par une personnalité ou un style digne de l’attente d’un vin produit sur un terroir aussi bien situé. Enfin, la troisième (Corbin-Michotte), de petite taille, mais d’une viticulture et d’une vinification suivies attentivement par une famille compétente peut montrer des vins de vingt ans d’âge au moins aussi bons que des crus ayant conservé leur classement, malgré quelques vins marqués par des goûts de réduction peu aimables, et qui ont d’ailleurs disparu dans les tout derniers millésimes. Je gage que la dégustation plus fréquente de ces derniers millésimes fera plus de bien à la réputation du cru que la procédure intentée.
Enfin, la seconde cause qui porte sur le soupçon de prise illégale d’intérêt de quelques voisins plus connus (je devrais dire plus « reconnus ») me semble indigne d’une communauté de vignerons civilisée. Deux des personnalités soupçonnables et, en tout cas, assez vite identifiées par les avocats et les journalistes, ne sont coupables que d’avoir donné de leur temps et de leur énergie au service de la réputation des crus de l’appellation. Cette procédure vraiment excessive va certainement décourager tous les bons viticulteurs de s’intéresser à leurs appellations et de prendre part à la gestion et à la défense de celles-ci.
Si j’étais le large sous-ensemble des crus ayant conservé leur classement ou conscients de l’avoir obtenu par leur travail, je porterai plainte nominalement contre les crus cherchant à faire croire au public que ce classement est l’œuvre d’un grand complot destiné à enrichir quelques notables du secteur.
Maintenant et sur le fond, faut-il classer des marques (un « château » n’est rien d’autre qu’une marque) ou des terroirs pour que ce classement ait valeur d’exemple ? La réponse est moins simple qu’on ne le croit. Aucun modèle théorique de définition agronomique d’un grand terroir n’existe. Les terroirs reconnus « grands crus » en Bourgogne ou en Alsace ont été l’objet de querelles constantes, relevant souvent des tribunaux et auxquelles seule a mis fin la puissance publique en officialisant des états de faits commerciaux. Et les géologues qui travaillent à la création de crus à la demande de l’I.N.A.O en ce moment dans la vallée du Rhône ou ailleurs sont en train de faire plus de mal que de bien, mais c’est une autre histoire. Je crois fermement que dans l’état de nos connaissances actuelles, c’est le vin qui prouve le grand terroir et non l’inverse.
Voyant des commentaires issus d’informations partielles ou fausses virer à l’aigre, je renouvelle ma cordiale invitation aux amateurs et aux journalistes à venir, ainsi que plusieurs l’ont déjà fait, visiter Croque-Michotte et lire nos dossiers. Il pourront constater sur pièces les fautes de droit (non respect des procédures de l’INAO, choix des paramètres de classement et de leurs coefficients bien après la remise des dossiers par la candidats, non respect des délais légaux, absence de base juridique de l’arrêté de classement, etc.) et les fautes scientifiques et techniques, les plus graves car elles tentent de remettre en cause notre terroir classé dès 1955, (lecture erronée de la carte géologique que son auteur avait interdit d’utiliser à des fins hiérarchisation des crus, négation des cinq sondages de sol que nous avions joints au dossier, pas de vérification sur le terrain, invention illégale de critères sur le nombre de parcelles, erreurs sur nos équipements, affirmation que Croque-Michotte n’a effectué « aucune démarche de gestion durable » alors que Croque-Michotte est certifié bio par Ecocert depuis 1999, élimination arbitraire de nombre de publications où Croque-Michotte est mentionné, dont Parker, etc.).
Il a même été reproché à Croque-Michotte d’avoir des prix insuffisants, prix insuffisants qui conviennent très bien à nos fidèles clients, mais qui sont la conséquence directe d’un classement qui nous avait éliminé et qui a été condamné successivement par le Tribunal Administratif de Bordeaux, puis par la Cour d’Appel Administrative de Bordeaux et enfin, dernier round, par le Conseil d’État ! Comme vous le voyez, les erreurs et les fautes sont si nombreuses qu’on ne voit pas par quel tour de passe-passe le classement pourrait en réchapper. Ceci est d’autant plus regrettable que j’avais produit depuis 2001 plusieurs études relevant les défauts du classement et proposant des solutions, que j’avais demandé que soit établi un règlement intérieur de travail de la Commission de classement, règlement qui n’existe toujours pas à ce jour, que j’avais demandé que les critères de classement et leurs coefficients soient connus avant le lancement du classement. Et surtout j’avais demandé que le classement soit défini : quel est son but ? classe-t-on des vins ou des terroirs ? ou l’ensemble des deux ? tâches qui peuvent être confiées à l’INAO. Ou classe-t-on des beaux châteaux, des beaux chais, des prospectus, des publicités coûteuses (qu’on vous fera payer dans les bouteilles), des hôtesses, des normes sans intérêt, du marketing, auquel cas ces tâches ne rentrent pas dans les compétences de l’INAO ?
Avec nos amis de La Tour du Pin-Figeac et de Corbin-Michotte, tous situés sur l’un des meilleurs terroirs de Saint-Emilion selon le livre qui accompagne la carte géologique susmentionnée et que la Commission de classement a, pour le moins, oublié de lire, nous avons été conduits à demander aux juges de la République de nous défendre via le Tribunal administratif. Avant d’en arriver là, Croque-Michotte a envoyé neuf lettres recommandées à l’INAO (le Maître d’œuvre), cinq lettres recommandées au Conseil des Vins de Saint-Emilion (le Maître de l’Ouvrage) et trois lettres recommandées au Ministère de l’Agriculture, organisme de tutelle de l’INAO. Nous avons reçu… zéro réponses. Le plus bizarre est que la Commission de classement avait commencé à corriger les erreurs, reconnaissant par là qu’elle était loin d’être infaillible, et qu’elle n’est pas allée au bout de son travail. Toutes nos lettres contenaient toutes les preuves nécessaires et indiquait nos intentions de nous défendre. Silence radio. Pas de conciliation, pas d’appel, pas de débat contradictoire. Rien. C’est alors que, travaillant à notre défense après toutes ces attaques injustes et illégales, nous avons petit à petit découvert que la situation était bien pire que nous l’imaginions.
En effet les grands chapitres, à défaut des critères détaillés, de l’arrêté de lancement du classement n’ont pas été respectés. En effet certains critères ont été « oubliés » ou mentionnés mais annulés dans le grille de classement et d’autres critères imprévus et improbables ont été ajoutés dans cette grille, dont nous avons découvert l’existence huit mois après la remise des dossiers, soit dit en passant. Nous avons découvert que ces méthodes ont profité à plusieurs candidats. Lorsque l’on examine la liste de ces candidats, leurs conseillers, les responsables à tous les niveaux de la procédure de classement depuis le Conseil des Vins de Saint-Emilion, jusqu’au Comité National de l’INAO, en passant par le Comité Régional de l’INAO, certains apparaissent plusieurs fois et certains ont pu tirer profit de procédures et de décisions auxquelles ils ont participé, ce qui est illégal dans le cadre d’organismes de service public. C’est la raison pour laquelle nous avons porté plainte contre X afin que les juges enquêtent et mettent fin aux méthodes féodales de Saint-Emilion.
J’invite à nouveau les journalistes d’investigation à nous rendre une petite visite : ils pourront déguster non pas des vins sur une période réduite de vingt ans, mais sur plus de soixante ans. Seuls les grand terroirs sont aptes à produire des vins aussi vieux ; j’avais proposé à la Commission de classement de déguster de telles bouteilles. Elle n’a pas donné suite car, en effet, l’examen du système de notation montre que la dégustation est bafouée (dégustateurs « spécialement formés » (à quels types de vins?), alors qu’on aurait préféré des gens à l’expérience de dix à vingt ans, et dont ne sait toujours pas à ce jour s’il ont la qualification Quali-Bordeaux) et que si l’on peut obtenir assez facilement 20 sur 20 aux critères de classement plus ou moins pertinents, cela permet de rattraper une note de dégustation de 8 sur 20 pour devenir grand cru classé et une note de 6,67 sur 20 pour devenir premier grand cru classé ! A quoi pensaient les concepteurs du classement 2012 ?
A bientôt à Croque-Michotte.
Je prends acte de la réponse de Monsieur Carle et je l’en remercie. Je vois qu’il a changé de philosophie dans ses rapports avec la presse et c’est avec plaisir que lors d’un prochain séjour à Saint Emilion je viendrai à la propriété déguster quelques millésimes récents de la décennie concernée par la révision du classement et aussi quelques plus vieux. Il lui aurait certainement été utile de s’y etre pris depuis vingt ans et d’avoir présenté ses vins à toutes les dégustations collectives habituelles, ce qui aurait nourri son presse-book! La justice en revanche dira aussi si la plainte contre X pour prise illégale d’intérêt, dont je continue à mal voir l’intérêt d’ailleurs, est calomnieuse ou non. Et sur le fond la qualité de son terroir n’est en rien remise en question puisque c’est sa marque qui est jugée. La principale faute réglementaire de cette révision me semble d’ordre général et c’est le retard de la communication de la grille de notation aux propriétés soumises à cette révision, ce qui hélas n’est pas rien.
Nous n’avons jamais fermé la porte à quiconque à Croque-Michotte et nos vins sont régulièrement présents dans une ou plusieurs dégustations primeurs chaque année (en quatre lieux différents sur la commune de Saint-Emilion cette année). De plus nous transmettons des échantillons au Conseil des Vins de Saint-Emilion quand nous avons des demandes pour tel ou tel millésime. Nous nous présentons aussi dans plusieurs concours agréés et ces dix dernières années nous avons obtenu plus de médailles dans ces concours que tous les crus classés réunis.
Nous sommes surtout furieux de voir notre terroir critiqué pour la disposition de ses parcelles et surtout pour les énormes fautes géologiques commises par Veritas et la Commission de classement. Bref les procédures étaient truquées. Les documents sont consultables à Croque-Michotte : accablants. Nos parcelles se situent à environ 350 m de celles de Cheval Blanc et de Petrus et sont cernées par La Dominique, Jean-Faure, Ripeau, Corbin, Corbin-Michotte, Grand Corbin Despagne et Gazin et à deux pas du Château du Bon Pasteur, tous grands crus classés ou équivalents ou premiers grands crus classés ou équivalents ; ceux qui connaissent les graves de Saint-Emilion et Pomerol reconnaîtront.
A bientôt donc.
donc si je comprends tout, de bouard et castéja prise illégale d’intérêt, bettane conflit d’intérêt ou pour faire simple amitié marquée pour de bouard
Si j’avais en vue l’acquisition de propriétés dont la notoriété est faible mais le terroir prometteur, je ferai tout pour les déclasser et donc en diminuer la cotation. C’est ce qu’on fait leurs grands voisins…c’est d’un classique absolu!
Si j’étais un “grand” voisin (très connu et influent) soucieux de rester impartial, je ne participerai pas aux actions où mon influence peut être interprétée comme un “conflit d’intérêt”…c’est assez simple!
Nous payons suffisamment de fonctionnaires “compétents” pour réaliser l’ensemble de ces actions.
Mais c’est vrai que de Paris et dans les apparats des “Primeurs” c’est difficile à percevoir!
Merci Serge et pourquoi ne pas m’ajouter comme des dizaines d’autres experts aux personnes soupçonnées de prise illégale d’intéret? Mais si Veritas se trompe sur le parcellaire de Croque Michotte c’est effectivement grandiose, même moi je sais où les vignes se trouvent et qui sont ses voisins!
rassurez vous l’amitié n’est pas un délit, loin de là!
Bien d’accord avec tes commentaires sur cette triste affaire Michel. Mais la question fondamentale qui doit être posée est : a quoi sert réellement les classements en tous genres ? Ne serait-il pas préférable de laisser faire le jugement des marchés sur les qualités respectives des vins, année après année, plutôt que d’essayer de systématiser la valeur reconnue par des chiffres et des lettres engoncés dans un système toujours contestable.
Polemique inutile? J’aurais investi dans un chateau qui vient de se faire declasser, je ne penserais pas cela. De plus c’est vrai il est vraiment foireux ce classement.
Intéressants échanges, belle analyse de Michel sur cette polémique mais, complémentent d.accord avec David…. Cette énième polémique sur la légitimité des classements ne devrait-elle pas amener toutes les personnes concernées à laisser parler le vin, sa qualité, les marches en supprimant purement et simplement les classements?