Jean-Claude Carrière, le scénariste de Buñuel, de Haneke, adaptateur de Peter Brook ou de Cyrano de Bergerac, auteur de La Controverse de Valladolid, du Vin bourru et des Conversations avec Jean-Jacques Rousseau nous a reçu chez lui en compagnie de François Mitjavile, vigneron aux trente-huit millésimes dont les saint-émilion font briller les yeux des amateurs du monde entier.
C’est mon cher ami Jean-Luc Barde qui a provoqué cette rencontre insolite et passionnante et qui a animé cette conversation hors-normes. Voici l’intégrale de leurs échanges. Bien sûr, c’est long. La culture est comme ça, elle requiert un peu plus d’attention qu’un tweet.
Comment le paysan est-il devenu un intellectuel et l’intellectuel, un paysan ?
Jean-Claude Carrière : Est-ce qu’un intellectuel peut devenir paysan sans cesser d’être un intellectuel ? Un paysan ne peut pas, lui, devenir un intellectuel sans cesser d’être un paysan. J’étais l’enfant unique d’une très modeste famille du Languedoc. On cultivait la vigne, les légumes, on récoltait les châtaignes. Pendant les onze premières années de ma vie, j’ai appris le métier de paysan. Je sais toujours greffer un arbre, dresser un mur en pierres sèches, labourer avec un cheval. Je dois être l’un des seuls intellectuels à savoir le faire. Les instituteurs avaient convaincu mes parents de me présenter à l’examen pour l’obtention d’une bourse. J’ai été reçu premier du département, ce fut un grand honneur. Dans mon enfance, il n’y avait pas un livre à la maison, pas une image sur les murs, sinon les photos des grands-parents. Les premiers livres qui sont entrés chez nous étaient les miens, ceux de l’école, des prix que j’avais gagnés. C’est moi qui prêtait des livres à mes parents. J’ai très vite été attiré par les récits, les textes. J’ai écrit mes premiers romans vers neuf ans, des histoires de pirates, de western.
François Mitjavile : J’ai été élevé à Paris. Mon grand-père…lire la suite