Une stratégie qui ne s’improvise pas

Quand elle a annoncé la mise en place d’une première sculpture dans ses vignes, Florence Cathiard se souvient que certains de ses voisins voyaient déjà « des concours de belote et de pétanque dans un grand cru ». Philippe Raoux a préféré attendre un an avant de récidiver en 1990, le temps que le public digère. « Depuis, une nouvelle génération de vignerons est arrivée, plus ouverte sur le monde. ». En Champagne, les actions de Pommery et de Roederer sont bien accueillies, mais comme le constate Michel Jeanneau, « les Champenois chassent en meute pour défendre leur appellation, mais sont indifférents aux gestes des uns ou des autres pour promouvoir l’image
du terroir.
 » Les acteurs de la culture n’intentent pas de procès en légitimité aux vignerons. À condition que les rôles soient bien définis. « L’Expérience Pommery est une initiative personnelle, sincère et passionnée menée à côté
de la marque. Il n’est pas question de mélanger les genres. Nous offrons une plage de liberté à des artistes sans contrepartie. Pour que tout le monde soit gagnant, il faut absolument que la frontière reste étanche
 », insiste Nathalie Vranken. Pas question non plus de se substituer à un musée ou à une galerie sans s’associer
à un professionnel qui, accessoirement, saura éviter quelques froissements d’ego dûs au voisinage d’artistes à la renommée inégale. De plus, l’art coûte très cher. Florence Cathiard a d’abord financé sa passion « avec la vente
de son très grand appartement parisien
 », avant de compter sur les bénéfices des bons millésimes. Pas question de bourse délier si les vendanges sont moyennes. Au risque de rater des affaires comme cette araignée de Louise Bourgeois. « Daniel a dit non, car nous devions changer le cuvier. Tant pis, sa cote s’est envolée après sa mort. » Philippe Raoux confirme qu’une partie de la vente du château de Viaud, en 2011, lui a permis de faire des acquisitions. « Nous sommes sans doute arrivé un peu trop tôt sur ce créneau. Mais, dès l’origine, nous avions décidé que nos cent mille pieds de vignes produirait de quoi acheter au moins une œuvre par an. »

Château d’Arsac a ouvert la voie à Bordeaux
« Je l’adore. Philippe Raoux est le seul d’entre nous à aller jusqu’au bout de sa passion. Il veut faire partager une vraie vision de l’art » s’exclame Florence Cathiard au sujet du propriétaire de Château d’Arsac, un cru bourgeois supérieur de Margaux littéralement ressuscité depuis sa reprise en 1986. À l’époque, il n’y avait plus un seul pied de vigne. Depuis, ce vignoble a regagné son appellation d’origine tout en devenant l’un des points névralgiques de la création contemporaine en Aquitaine. Car ce domaine est aussi planté d’œuvres monumentales de César,
Jean-Pierre Raynaud, Mark Di Suvero, Folon et surtout d’une gigantesque diagonale de Bernar Venet qui, à en croire Céline Lis, la maîtresse les lieux, symbolise un château en vie. « Nous sommes incessamment en travaux. Nous ne sommes pas une pièce du sacro-saint et intouchable patrimoine, mais une réalité
en construction, en recherche, en évolution
 ».

Vincent Bussière

À lire aussi