En juillet, Maximilian Riedel est devenu le onzième de ce nom à diriger la maison qui a inventé le verre œnologique, il y a un peu plus de cinquante ans. Retour sur une longue saga verrière, cristalline et familiale dont le cœur ne bat que pour le meilleur du vin.
Un verre Riedel n’invente rien. Il ne cache rien, non plus. Cette vérité-là, celle du sol, du vignoble, du ou des cépage, du millésime, du travail effectué au chai et du temps qui a passé dans la cave, c’est celle du vin. La laisser s’exprimer, c’est tout ce que la famille Riedel demande à ses verres. Et tous ceux qui aiment le vin, amateurs ou professionnels, célèbres ou moins, l’en remercient chaque jour. Un homme a fait précéder la conception des « contenants » de travaux de dégustation d’une précision rare. Ce faisant, il a révolutionné l’œnologie. Il s’appelle Georg Riedel. D’un mot drôle, il résume toute l’affaire, il dit que sa maison propose des « hauts-parleurs ». Pour devenir le premier à mettre en place une approche aussi extrême, presque chirurgicale, la manufacture Riedel s’appuie sur une longue histoire autrichienne. Tout commence en 1756. Pendant presque deux siècles, elle améliore son art et sa manière, avant que la Seconde Guerre mondiale ne vienne interrompre avec brutalité, réquisition de l’usine par les Russes et dix ans de travaux forcés pour Walter Riedel, la perpétuation de ses savoir-faire. Pour un temps seulement.
La renaissance a lieu en 1956 quand Claus Riedel décide de relancer une petite fabrique avec l’aide de la déjà fameuse famille Swarovski. En 1958, il invente les premiers verres en cristal soufflé à la bouche adaptés aux caractéristiques de chaque cépage. Il crée ensuite la gamme Sommelier, dont la modernité est inégalée à ce jour. Le concept est poussé un pas plus loin avec Georg, qui en développe une version mécanique tout aussi précise appelée Vinum, qui sera complétée avec Vinum Extrême, conçue pour les vins plus puissants venus du Nouveau Monde. La dernière génération de ces verres si parfaitement « à vin » a été élaborée par celui qui reprend aujourd’hui les rênes de la maison familiale, Maximilian Riedel. Pensée pour les jeunes urbains, leurs contraintes de rangement comme l’usage systématique du lave-vaisselle, la gamme O propose les même calices – leur efficacité n’est plus à revoir, mais fait disparaître les pieds. Débarrassé de sa fragilité, l’outil s’adapte encore
et toujours à l’art de boire.
Le choix du verre joue un rôle déterminant sur la perception du vin. Chaque cépage, chaque région, et même, pour les très grands, chaque vin – un verre Cheval Blanc a été conçu par Georg Riedel et Pierre Lurton – nécessite une approche particulière de ses arômes, de son fruité, son acidité, son gras et ses tanins. Chez Riedel, la discussion ne porte pas d’abord sur le design ou les arts de la table, même si la dernière carafe Boa ou les verres noirs destinés aux dégustations à l’aveugle (Black Serie, version blind) sont des objets plus que désirables. La qualité première d’un verre Riedel est de n’obéir qu’à sa fonction. Seule compte la dégustation. Ainsi, lorsque Georg Riedel et Pierre Lurton ont tenté d’identifier, parmi différents modèles, celui qui conviendrait à une opération mondiale consistant à proposer “Yquem au verre”, ce n’est pas le verre “Sauternes” qui s’est imposé. C’est le “Sauvignon” qui a su le mieux exprimer la minéralité particulière et la longue et élégante finale du célèbre liquoreux. Après avoir effectué durant quarante ans ce travail de pionnier éternellement renouvelé qui consiste à étudier sans cesse chacun des cépages majeurs, dans toutes les grandes régions viticoles du monde, Georg confie aujourd’hui les rênes de son entreprise, dont il reste propriétaire et conseil, à son fils.
« Je suis fier de Maximilian, qui a su développer notre marché en Amérique du Nord avec un succès exceptionnel, et dont le talent et la créativité extraordinaires ont largement contribué au développement de la marque. Il sera secondé par ma fille Laetizia Riedel-Röthlisberger, avocate en droit des affaires et ambassadrice de la marque. » Face à cette passation de pouvoirs entre la dixième et la onzième génération de Riedel, le dégustateur reste confiant. Jusqu’à présent, pour reprendre l’expression du Time Magazine, la dynastie Riedel a plus fait pour contribuer au plaisir de l’œnophile que si elle avait possédé une étiquette. Cela ne devrait pas s’arrêter. Maximilian a d’ores et déjà annoncé qu’il souhaitait renforcer la présence de Riedel sur le marché européen, développer les filiales en Chine et ouvrir des marchés en Amérique du sud. Certes, l’avenir sera forcément fait de nouveaux amateurs et de nouveaux vins. Mais ce qui ne changera jamais, c’est que le seul moyen de contenter les premiers sera toujours de savoir leur révéler les seconds. Less is more et rien n’est plus visionnaire que la simplicité.
Amélie Couture
Cet article a été publié sous une forme différente dans le numéro de juillet 2013 de Série limitée-Les Échos.