Château Climens 2014,une 
« petite » merveille

Issu d’une année marquée par des conditions climatiques excessives et contradictoires, le premier millésime certifié en biodynamie du domaine* s’avère « aussi limité en quantité que grand en qualité. » Explications dans le journal des vendanges reproduit ci-dessous, signé Bérénice Lurton et Frédéric Nivelle, la propriétaire et le directeur technique de Climens (Barsac).

« Après une année humide et perturbante pour la vigne, l’hiver 2013-2014 s’avère également peu favorable à la constitution de réserves. Particulièrement doux, il bat aussi des records de pluie. Avec le printemps commence la valse des températures. Tandis qu’un anticyclone accompagné de chaleur précoce hâte le débourrement de la vigne début mars, le froid tente une percée tardive entre les 22 et 25 mars. Ces gelées printanières n’auront heureusement pas de conséquences, le premier virage est passé. Après deux millésimes tardifs, 2014 se présente dès lors comme plutôt précoce. Bénéficiant d’une importante humidité dans le sol et de températures supérieures aux normales saisonnières, la vigne se développe assez rapidement au point de présenter – comme en 2011 – une dizaine de jours d’avance. »


Un printemps en montagnes russes

« Comme chacun sait, en avril, ne te découvre pas d’un fil. Le retour de conditions pluvieuses et froides perturbe la pousse et provoque, çà et là quelques symptômes de stress sous forme de décolorations jaunâtres sur le feuillage. Heureusement, Zorro est arrivé à Climens sous la forme d’un tracteur enjambeur à chenilles, commandé et attendu depuis deux ans, qui n’a pas tardé à faire ses preuves. Le 25 avril, après 22 millimètres de pluie dans la nuit, le traitement contre le mildiou est possible dès la fin de matinée. Une révolution pour qui a connu les glissades et embourbages d’enjambeurs, voire les traitements à pied, pulvérisateur sur le dos. Le beau temps revient début mai accompagné d’un vent glacial qui n’épargne pas les travailleurs de la vigne lancés dans les travaux d’épamprage. Mais foin des demis-mesures, la chaleur s’impose ensuite subitement à partir de la mi-mai, dépassant les 27°C. Bien évidemment, l’orage ne tarde pas à gronder, mais nous restons heureusement à l’écart de cette perturbation qui, le 19 mai, déverse une bonne cargaison de pluie sur le Nord-Médoc. Début juin, l’anticyclone des Açores s’installe durablement avec un temps chaud et ensoleillé en journée et des nuits plutôt fraîches avec le retour du vent du Nord. La floraison jusque-là timidement amorcée se déroule alors rapidement, profitant enfin de conditions climatiques favorables. Cela n’évitera pas, hélas, les dégâts dus à la coulure sur les parcelles les plus âgées. Autour du 20 mai, il faisait relativement frais au stade dit des “boutons floraux séparés”, lequel est déterminant pour une bonne fécondation de la fleur. En dehors de cela, les conditions ensoleillées et sèches autour de la floraison nous ont aidés à obtenir un état sanitaire assez exceptionnel au vignoble. Mildiou et vers de grappe sont aux abonnés absents. »

L’automne en été

« A ce mois de juin estival succède une première quinzaine de juillet caractérisée par des pluies et des températures maximales de 22°C. Bien frustrant pour les vacanciers comme les vignerons. Au vignoble, les traitements se succèdent, tant en fonction des précipitations enregistrées que de la croissance de la vigne. Un traitement est déclenché après 20 mm cumulés et ou après 20 cm de pousse. Le soufre et la bouillie bordelaise, utilisés respectivement contre l’oïdium et le mildiou, sont renforcés en tisanes, ortie, ou encore prêle à la période du périgée, qui accentue l’influence de la lune notamment sur les remontées d’humidité. L’osier, riche en salicine (“cousine” de l’acide salicylique), est utilisé comme régulateur en cas de blocage de sève par le froid. Enfin, pour faciliter le bon déroulement de la fleur, nous l’encadrons par des traitements à base de silice et de millepertuis, une tisane maison qui convient bien à Climens. La pression parasitaire est modérée mais nous restons vigilants car la biodynamie repose exclusivement sur une approche préventive. »


« Le développement végétatif de la vigne est cette année particulièrement erratique du fait des intenses variations de température et d’humidité ; les travaux de levage et de tricotage des rameaux se chevauchant, l’équipe de saisonniers atteint jusqu’à 30 personnes (pour 30 hectares) en juillet. Après un week-end du 14 juillet presque digne de la Toussaint, le retour de l’anticyclone des Açores renverse la situation et les températures atteignent rapidement les 35°C dès le 17 juillet. Mais il est dit que l’été ne sera plus en été, le mois d’août particulièrement maussade nous renvoie 10 ans en arrière, en 2004. Les rares journées ensoleillées provoquent de façon cyclique des dégradations orageuses accompagnées de chutes des températures, notamment nocturnes (moins de 12°C, adieu la terrasse, vive la cheminée).
Au plan parasitaire, le risque « mildiou » est toujours jugé très fort par les professionnels. Mais si Climens n’échappe pas au développement de mildiou mosaïque sur l’une des parcelles les plus vigoureuses, notre ténacité a été payante. Aucun symptôme sur grappe, et toujours pas de vers de la grappe, contrairement à 2004. Sans doute n’apprécient-ils guère la fraîcheur nocturne… »

L’été à l’automne

« En septembre, si temps ne change, Climens ne vendange !, (proverbe maison).
Comme il est à la mode ces dernières années, l’été revient à la rentrée des classes. Le vent d’Est maintient de belles conditions anticycloniques, leur lot de nuits fraîches et de belles journées chaudes et ensoleillées avec près de 30°C. Malgré la présence de quelques foyers de pourriture grise dans certaines parcelles, nous gardons espoir de faire une belle récolte. A l’euphorie de la rentrée ne tarde pourtant pas à succéder dans le sauternais le souci de ne pas voir revenir la pluie. Notre ami botrytis est un champignon, tout de même. Un long été indien s’installe, sans aucune précipitation chez nous à l’exception de 9 petits millimètres le 17 septembre. Les 50 qui nous auraient été nécessaires sont allés s’égarer du côté de Montagne-St Emilion. Nous ne pouvons guère nous plaindre, ayant au moins échappé à la grêle qui a encore une fois sévi, notamment sur Grézillac. Pourtant, la situation devient préoccupante. Dès le 15 septembre, nous observons des phénomènes de blocage de maturité (relatés également ailleurs). Sur nombre de grappes, les grains commencent à flétrir. Les vendanges dans le sauternais semblent encore loin, même si on observe les prémices de la pourriture noble sur nos plus jeunes vignes de 2011. Pour un peu, nous ferions la danse de la pluie (après tout, on prête tant d’excentricités aux biodynamistes). »

Ça tourne au vinaigre

« De telles conditions de sécheresse ont limité le développement de la pourriture noble à quelques baies isolées, mais une autre forme de pourriture, redoutable celle-ci, fait son apparition. La pourriture acide (ou bouïroc, en jargon local), qui a le très mauvais goût de transformer les raisins sur pied… en vinaigre. Cette caractéristique du millésime, que l’on retrouve dans de nombreuses régions françaises, serait due à la prolifération d’une nouvelle venue, la drosophile Suzukki. Pourtant les piégeages effectués dans le vignoble de Climens n’en révèlent pas la présence significative. Ce phénomène est plus probablement lié à des moucherons bien de chez nous, dont le développement a été favorisé par les conditions climatiques. Une première trie sanitaire est donc engagée le 22 septembre dans les parcelles les plus atteintes afin d’éliminer les grappes touchées, dans l’espoir d’éviter la prolifération du fléau et de faciliter la future vendange (mais quel arrache-coeur de voir évacuer du vignoble des remorques de raisins sacrifiés). Nous passons ensuite récolter les quelques baies botrytisées tout en continuant à nettoyer. Quinze jours de travail méticuleux, fastidieux, frustrant, mais ô combien indispensable, accompli par notre petite équipe de quinze vendangeurs aguerris. Heureusement, les quelques lots vendangés au cours de cette première trie sont sans défaut, et s’avèreront même magnifiques. La pourriture noble n’étant toujours pas montée au créneau, nous remisons temporairement épinettes et paniers le 6 octobre. Quelques jours après, la pluie daigne enfin nous rendre une visite sérieuse, près de 40 millimètres entre le 08 et le 16 octobre. Tandis que le botrytis se met enfin au travail, l’attente se poursuit, mais elle est fébrile. Nous devrons comme ces dernières années nous montrer réactifs, sachant que le soleil et la chaleur persistants rendront la reprise soudaine. »

Enfin du bon

« Le 20 octobre, c’est reparti, et pour de bon. A notre première équipe vient se greffer celle de vingt-cinq vendangeurs portugais. Le tempo tranche singulièrement avec celui de la première trie. La coupe se fait « à tire » tant le confit abonde maintenant. Le changement est aussi radical au niveau de la météo. Dès le lendemain, le vent se lève avec force en fin de journée. Chassant une petite perturbation, il laisse place à des conditions anticycloniques venant du nord, et fait chuter nettement les températures, 8°C, puis 5°C les 22 et 23 octobre au petit matin. Ces vendanges de deuxième trie réclament au moins autant de rigueur, de patience et de nez que la première car la pourriture aigre a hélas continué à se développer en coeur de grappe. Chacune doit être examinée avec attention par le vendangeur, soigneusement reniflée (les vendangeurs enrhumés sont invités à porter les paniers), coupée au minimum en deux voire disséquée si nécessaire. Heureusement, outre l’équipe de vendangeurs, nous sommes plusieurs à veiller au grain sans relâche : Danièle, notre chef d’équipe maison, ainsi que Vitor, l’intransigeant responsable de la troupe portugaise, arpentent les rangs en vérifiant le travail de chacun, organisant les changements de rang et de parcelles. »


« Tandis que Frédéric se partage entre le chai et les vignes, je navigue sans cesse entre les vendangeurs et la remorque, pour donner un coup de main à Flora et Gaëlle quand les paniers affluent. Les deux jeunes femmes accomplissent un travail fabuleux, examinant sur le plateau de tri le contenu de chaque panier. Elles n’en lèvent le nez, qu’elles ont noir à force de sentir les grappes, que pour indiquer aux chefs d’équipe le numéro d’un panier déficient. Rappelons au passage qu’à Climens, nous ne respectons pas les directives du Ministre de l’Education. Nous attribuons quotidiennement à chacun des vendangeurs une note correspondant à la qualité de leur travail (avec prime à la clé, bien sûr). En somme et plus que jamais, un millésime réclamant des vendangeurs expérimentés et une équipe dirigeante ultra exigeante. Le rythme ne doit pas se relâcher, il s’agit de ne pas traîner et de ne pas se tromper dans le programme des parcelles à ramasser – que Frédéric et moi inspectons quand les vendangeurs sont en pause – afin de ne pas laisser les degrés potentiels trop augmenter. Les barriques enfin se remplissent, entre 10 et 13 par jour, et l’anticyclone nous accompagne jusqu’au bout.
En une semaine, cette récolte soumise à de rudes épreuves est enfin à l’abri. Certes, entre la coulure, la pourriture grise, le flétrissement, et la pourriture aigre, les rendements sont réduits comme peau de chagrin (8 hl/ha). Mais, après tout, nous avons craint, et aussi connu, bien pire. »

De pied en cave

« Les dégustations des moûts puis des vins après fermentation nous rassurent, voire nous enchantent. Notre travail de tri implacable a encore une fois porté ses fruits. Tous les lots sont parfaitement nets et francs. Les vins sont tous très aromatiques, les lots de première trie présentant un profil fruité et particulièrement vif, tandis que la deuxième trie offre des vins complexes, élégants, voire puissants. Les assemblages en cours nous donnent à penser qu’une proportion importante de cette petite récolte passera dans le grand vin, tant la qualité est homogène et remarquable. »

* L’intégralité de ce vignoble de 30 hectares a été convertie en biodynamie en 2010. « Après une période d’adaptation logiquement un peu délicate, les différentes parcelles répondent merveilleusement à cette approche, plus respectueuse et individualisée. » Château Climens est l’un des rares grands crus de Bordeaux à avoir mis en pratique la biodynamie. C’est à ce jour le seul premier cru classé en 1855 à être certifié.

Photo ci-dessus : Matteo Conti/Les Editions d’Autils – Frédéric Nivelle.

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