J’ai reçu récemment d’un vigneron de Chablis un petit mail m’avertissant de sa décision de ne pas présenter son vin à la dégustation comparative que nous organisons chaque année avec le bureau interprofessionnel pour le guide annuel Bettane +Desseauve et où il me donnait les raisons de sa décision. Il s’en est suivi un échange privé que je l’ai autorisé à envoyer à un blogueur de ses amis car le sujet était fort intéressant. Ce blogueur s’est révélé être Jacques Berthomeau, qui s’en est servi pour instrumentaliser ce débat au service de sa dénonciation du travail de la presse actuelle du vin et de sa volonté de creuser les oppositions entre celle-ci et le monde de la viticulture. On suivra sur son site les péripéties de la chose. Cette instrumentalisation n’est pas particulièrement sympathique, mais conforme à son droit et à sa liberté, comme les miens m’autorisent ici de revenir sur un sujet important et qui est au cœur du travail d’information, définition même de mon métier. Métier que mes collaborateurs et moi-même essayons chaque jour d’exercer dans le respect le plus strict des intérêts matériels et moraux du public. Le public comprend évidemment aussi les producteurs des vins qui sont l’objet de notre travail d’information et de critique. Or notre métier devient de plus en plus difficile à exercer avec équité, c’est-à-dire en donnant à tous une égalité de chance devant l’information et la notation.
Mes confrères, mes collaborateurs et moi-même constatons que de plus en plus de producteurs de vins célèbres ou moins célèbres, coûteux ou moins coûteux, remettent en cause le principe même de la dégustation comparative, et encore plus celle qui s’exerce à l’aveugle. Cela me rappelle le temps pas si lointain où la plupart des grandes maisons de Champagne avaient essayé à plusieurs reprises de faire taire les revues qui, à la suite des bancs d’essais agro-alimentaires inaugurés par le magazine Gault et Millau, organisaient des dégustations comparatives notées de leurs cuvées. Thierry Desseauve et moi-même en avions subi les menaces, comme les autres, à la Revue du Vin de France. L’argument de quelques patrons influents était le suivant : chaque cuvée obéissant à une philosophie d’élaboration différente ne pouvait être jugée et certainement pas notée de façon comparative. Et leur mérite évalué uniquement par le public, selon ses préférences de goût ou, bien entendu, vanté sans la moindre restriction par la communication publicitaire, dans une époque bien oubliée depuis, sans censure d’État. On peut mesurer les changements mentaux survenus en 25 ans dans les comportements de ces maisons au bénéfice de la liberté de la critique et de la prospérité du commerce.
Les motifs qui poussent aujourd’hui les viticulteurs à refuser de faire déguster leurs vins en dehors de chez eux et même parfois chez eux, sont assez divers, mais pas aussi éloignés les uns des autres qu’on pourrait le croire, ce qui est affirmé cachant bien entendu ce qui ne l’est pas…