Pierre Cheval, président de l’association « Paysages du Champagne », viticulteur à Aÿ (Champagne Gatinois) et premier adjoint au maire d’Aÿ.
Dans quel état d’esprit êtes-vous avant le verdict ?
Nous sommes très satisfaits de la décision de l’Icomos évidemment. On y croyait tous, historiens, géographes, le monde du champagne, les collectivités… Cet avis nous positionne très favorablement. Reste que c’est le Comité du Patrimoine mondial qui aura le dernier mot. Vraisemblablement autour du 5 juillet. J’espère que nous pourrons retransmettre la session en direct sur internet.
Quand avez-vous commencé à penser à l’inscription ?
Dès 2002. L’idée a émergé lors d’une réunion du comité interprofessionnel des vins de Champagne. On s’est demandé ce qu’on pouvait faire de plus pour célébrer le champagne, son histoire, ses valeurs. La première étape, l’inscription sur la liste indicative des biens proposés au patrimoine mondial, n’est qu’une déclaration d’intention… On a vraiment commencé à travailler en 2005 avec la constitution de l’association Paysages du Champagne qui porte la candidature des « Coteaux, maisons et caves de Champagne ». Mais on ne savait pas où on allait ni comment il fallait y aller… Finalement, des 35 000 hectares de l’appellation, qui n’ont pas tous la valeur universelle exceptionnelle exigée, on a resserré notre périmètre à trois lieux emblématiques, Reims, Epernay et les coteaux historiques.
Comment l’idée a-t-elle été accueillie par les Champenois ?
D’abord par l’incrédulité. « Le patrimoine mondial, ça vaut pour la Grande muraille de Chine ou Angkor… » Un ministre de l’Agriculture de l’époque croyait au contraire que c’était déjà fait ! On finit par ne plus voir l’exceptionnalité de ce que l’on a, de ce que l’on est. L’idée folle est devenue progressivement envisageable, raisonnable, constituée, possible, légitime. Aujourd’hui, les Champenois dans leur majorité attendent cette inscription, y compris les convaincus de la 25e heure. 55 000 personnes ont signé leur soutien. Et même un certain François Hollande…
La Champagne jouit déjà, à travers son vin, d’une renommée mondiale. Pourquoi est-il important qu’elle soit classée au Patrimoine mondial ?
L’objet, le but initial, c’est de préserver un patrimoine agro-industriel unique au monde. Contrairement à tous les autres vignobles, dans le monde, nous ne sommes pas menacés par l’urbanisation. Au prix moyen de 1,5 million d’euros l’hectare, nous ne sommes pas concernés. Nous pouvons l’être par l’uniformisation. Cette inscription servira à ce que les générations montantes ne s’endorment pas sur les lauriers de leurs prédécesseurs. Il faut sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier des valeurs. Le seul développement possible pour les champenois, petits et grands, c’est celui de l’excellence. Il faut savoir enfin que sur la moitié de la planète, on trouve des champagnes qui n’en sont pas car le mot n’est pas protégé partout. Il sera plus aisé de se défendre au nom du patrimoine mondial dans un dossier de contrefaçon.
Les sites classés par l’Unesco connaissent une augmentation de leur fréquentation. Comment allez-vous gérer cela ?
Nous estimons une croissance d’environ 20 %. L’Unesco impose dans les dossiers de candidature un plan de gestion précis, rigoureux et déterminant, sur les volets tourisme, architecture, sensibilisation du public, etc. Le but est de faire vivre le bien inscrit. Il faut ensuite rendre des comptes car on peut être déclassé, ce qui a été le cas de la ville de Dresde.
L’inscription, c’est une sanctuarisation ?
Elle offre une bulle puissante de protection puissante mais elle ne fige pas. Au contraire, il s’agit de garantir les meilleures conditions pour que vive un patrimoine.