André Lurton, l’homme de fer

André Lurton, propriétaire des châteaux bordelais Couhins-Lurton, La Louvière, Bonnet, Cruzeau, Rochemorin, Barbe-Blanche, Coucheroy, Guibon, Quantin, nous a quittés cette semaine, à l’âge de 94 ans.

Cet empereur des vignes – il totalisait dans son portefeuille de crus 630 hectares, dont plus du tiers dans la seule appellation pessac-léognan – était depuis les années cinquante celui qui avait fait de son nom de famille, Lurton, une incontournable signature du vin de Bordeaux. C’était son grand-père, Léonce Recapet, qui en s’installant au Château Bonnet, au cœur de l’Entre-deux-mers, lui transmit cette passion dévorante pour la vigne. Il ne fut pas le seul de cette dynastie à devenir vigneron : son frère Lucien a transmis à ses dix enfants un patrimoine non moins conséquent de crus prestigieux. Avec son autre frère Dominique, père de Pierre, aujourd’hui président d’Yquem et de Cheval Blanc, ils menèrent longtemps une propriété commune, Clos-Fourtet, où Pierre, précisément, fit ses premières armes. André, lui, eut sept enfants et parmi eux quatre au moins sont devenus vignerons.

Dès les années cinquante, lorsqu’il reprit la propriété familiale de Bonnet, André Lurton s’engagea tout entier dans les combats d’un monde viticole d’abord à reconstruire, puis à moderniser, enfin à raffiner. Formé par le syndicalisme agricole et l’engagement citoyen (il cumula les fonctions à la Chambre d’Agriculture, dans de nombreux syndicats viticoles dont ceux de l’entre-deux-mers et de pessac-léognan, et fut maire de sa commune natale de Grézillac), il n’avait pourtant rien du notable bourgeois. L’homme était né combattant, il construira l’ensemble de sa longue vie comme un combattant. D’abord pour créer cette immense entreprise, à partir de presque rien, Bonnet, dont il avait hérité en 1953 et qui fut presqu’entièrement détruit par le gel trois ans plus tard. La Louvière et Couhins-Lurton, deux splendides crus, ont couronné cet œuvre de bâtisseur. Ensuite en ne cessant, avec une volonté de fer, de tracer la route des appellations d’origine contrôlée, lui qui savait bien la fragilité du travail des vignerons. Après l’Entre-deux-mers, qu’il contribua à lui permettre d’affronter les bouleversements du marché des vins de Bordeaux dans le dernier tiers du vingtième siècle, sa bataille la plus homérique fut la reconnaissance de l’appellation pessac-léognan, séparée définitivement des graves en 1987. Il présidera le syndicat de l’appellation jusqu’en 2005.

De ses sept enfants, on l’a dit, quatre sont devenus vignerons. Une seule, Christine Bazin de Caix, travaille aujourd’hui dans l’entreprise familiale. Jacques, raffiné winemaker, et François, bouillant vigneron entrepreneur, ont créé et construit à leur tour leur propre aventure viticole. Notre consœur et amie Mathilde Hulot, avait en 2004 réuni autour de la table André et ses fils Jacques et François pour un huis-clos vigneron où se sont échangés, avec beaucoup de saveur et quelques épices, les souvenirs, les passions et les engagements d’un trio hors norme. Nous publions ici cette conversation animée, qui nous fait revenir André dans toute sa force de vie.

À ses enfants et à toute sa famille, aux équipes des vignobles André Lurton, l’équipe de Bettane+Desseauve tout entière présente ses sincères condoléances.

À lire aussi