Voyage autour de ma cave par Michel Bettane #7

Depuis un séjour lointain à Oxford, je suis devenu un inconditionnel des meilleurs rieslings allemands et je possède plusieurs centaines de flacons issus des meilleurs vignobles et des meilleurs producteurs, ce qui n’est hélas pas fréquent chez nous. Au siècle de nos grands romanciers, le vin dit du Rhin était sans doute le plus réputé et le plus populaire de tous les vins blancs et le fait que la plupart des vignobles bordaient les frontières françaises en rendait le transport facile. Les absurdes conflits germano-français ont créé une barrière infiniment plus stupide et efficace que notre fumeuse ligne Maginot, mais dans l’autre sens.

Le cœur du vignoble rhénan s’appelle la Rheingau avec comme épicentre, au confluent du Rhin et de la Nahe, le beau village de Rüdesheim et ses imposants coteaux. Kiedrich n’est pas loin et possède un vignoble aussi prestigieux dont le lieu-dit le plus connu est le Gräfenberg, la colline des comtes. Remarquable par sa pente, son exposition et la qualité de son terroir de schistes du Taunus, différent des sols plus alluvionnaires des zones les plus proches du fleuve. Il appartient en quasi-totalité à une des propriétés les plus respectées d’Allemagne, la Weingut Robert Weil, acquise par le géant japonais Suntory.

L’instrument de travail a bénéficié des investissements considérables de la firme japonaise et permet au perfectionnisme de Wilhelm Weil, descendant direct du fondateur, lui-même originaire du cœur de terroir de la Moselle, de pratiquer une viticulture et une vinification d’élite. Je sais que le mot choque quelques-uns de nos beaux esprits, mais sans élite il n’y a jamais de progrès et rarement du beau et du grand. La célébrité de la propriété est née de ses vins de vendanges tardives, largement botrytisées, de la famille des auslese, en raison d’un micro-climat très favorable au développement du botrytis. Wilhelm Weil a donc pris son temps avant de mettre au point un grand type de vin sec. Le cahier des charges de ces vins a été mis au point dans les années 1990 par le VDP, très influent regroupement privé de producteurs, pour regagner tous les marchés perdus par une législation antérieure trop difficile à comprendre. Il a fallu sélectionner les terroirs dignes de le produire, définir les conditions de production, donner un nom au produit, en l’occurrence Erstes ou Grosse Gewächs (premier ou grand cru). Les meilleurs d’entre eux reçoivent désormais un accueil enthousiaste des grands amateurs du monde entier et, par comparaison, font apparaître la routine qui banalise trop souvent nos rieslings alsaciens. Ce 2002 en est un excellent exemple. Après 18 ans, sa couleur n’a presque pas varié, d’un jaune tirant encore sur le citron, son impeccable fraîcheur aromatique montre les bienfaits d’un usage intelligent du SO2 qui permet de conserver et même de magnifier l’éclat de naissance d’un vin à l’acidité vivifiante et à la concentration impressionnante en extrait sec. Une touche de sucre résiduel équilibre cette acidité sans préjudice à l’usage gastronomique, comme je me le suis imposé en l’associant à une belle tranche d’Espadon au beurre blanc, légèrement aromatisé au zeste de mandarine. La saveur noble n’aime pas le glaçage et il faudra attendre que la température du vin atteigne et dépasse 10° dans le verre pour que les plus fins arômes de fleur blanche, de fruits blancs et jaunes (abricot, en particulier), relevé d’une pointe d’agrume amer se développent en liberté. À 12°C, on commence à entrevoir une touche plus minérale ou fossile, pouvant rappeler le pétrole, ce qui est la signature du riesling, mais comme une caresse, presque aérienne, et qui allonge et rend plus complexe la fin de bouche. Un triomphe qui a pris du temps pour trouver sa perfection en bouteille et qui l’a trouvée.

Weingut Robert Weil, riesling, kiedrich gräfenberg, erstes gewächs 2002  

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