Voyage autour de ma cave par Michel Bettane #16

Je poursuis mes rendez-vous avec les rieslings d’Alsace qui sont, avec ceux du Rhin et de la Moselle, les blancs les plus chers à mon cœur, mais qui sont beaucoup moins connus et considérés par beaucoup de mes convives. Ce qui me permet de les laisser vieillir. Une des joies du confinement me sera celle de me permettre de les boire à maturité. Andrée Trapet est la femme de Jean -Louis, un des plus célèbres producteurs de Gevrey-Chambertin. Elle en partage les grandes et rares qualités humaines de générosité, d’ouverture, d’amour du travail bien fait, et bien fait en personne, de gentillesse et simplicité. Elle a hérité de sa famille originaire de Beblenheim un joli patrimoine de vignes, agrandi par l’acquisition de belles parcelles sur Riquewihr et ces 40 ares du grand cru Schlossberg. Le magnifique coteau granitique de ce grand lieu-dit de 80 ha, le premier à être classé grand cru en 1975, avec ses terrasses rendues nécessaires par la pente et son important dénivelé (250/ 350 mètres) se partage entre les communes de Kaysersberg et de Kientzheim. Il est depuis longtemps réputé pour la finesse d’expression de ses rieslings, qui puisent sa délicieuse minéralité dans un riche patrimoine d’oligo-éléments.

2009 fut un millésime chaud, propice à la concentration des raisins et, en principe, peu adapté aux sols granitiques qui conservent la chaleur et craignent la sécheresse. C’était aussi une période où les vins à forte présence de sucre résiduel plaisaient à l’étranger et moins en France. Nous ne savions pas, nous ne savons toujours pas, avec quoi les boire et nous ne parvenons pas à savoir sans indication précise sur l’étiquette s’ils sont secs et faits pour les poissons nobles, avec moins de 5 grammes de sucre ou plus tendres (5 à 10 grammes) ou, même, demi-sec. Ce 2009 n’a pas échappé à la tendance, le vieillissement permet de le comprendre avec plus de précision et de mieux savoir le consommer. Son nez magique évoque la pierre, les fruits jaunes qu’on aime distiller localement, comme la mirabelle. Aucune trace d’oxydation lactique, façon bourgogne moderne, ou de réduction simplificatrice, mais un éclat et une générosité remarquables. La matière est somptueuse, texture riche et fortes sensations tactiles, évidemment le sucre est présent, d’autant que l’acidité n’est pas très élevée. Pas question de poissons au beurre ou à la crème, de crustacés et, même, de volaille. À table, on ne voit qu’une belle tarte aux mirabelles ou aux coings pour l’accompagner. C’est oublier qu’on peut boire aussi ce type de grand blanc en dehors des repas, comme on le fait encore aujourd’hui couramment en Europe Centrale, pour le simple plaisir ou pour accompagner vers 18 heures des biscuits, des confitures ou des tartelettes aux pommes, aux poires, aux fruits jaunes. Vin de convivialité. Je suis persuadé que depuis ce millésime qui fut un des premiers vinifiés par Andrée, des vins plus secs et sans doute plus conformes à l’esprit de ce grand terroir ont retrouvé leur place en gastronomie classique.

Domaine Trapet, riesling, schlossberg grand cru 2009

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