Voyage autour de ma cave par Michel Bettane #24

Le buveur du troisième âge a parfois, lui aussi, connu trois âges de producteurs. C’est mon cas avec une longue fréquentation des vins de la famille Kientzler à Ribeauvillé. Mon père achetait à François, j’ai acheté à André, dit Dédé par tous ses amis, en retraite très active consacrée pour moitié au vélo et, désormais, à Thierry. L’avantage est d’avoir dégusté les vins de ce terroir sur plus de 45 ans et même une fois avec André son fameux 1937. Geisberg planté à 100 % riesling, ce qui est rarissime en Alsace, sur des petites terrasses exposées plein sud, donne en effet à ce cépage son maximum de finesse. Finesse minérale liée au terroir du Muschelkalk, calcaire à fossiles comme à Chablis, et à la présence de la célèbre source Carola dont l’eau circule en sous-sol. Les Kientzler sont passés maîtres dans le respect de l’individualité du cru. Il naît très discret, fluide, peu parfumé et pourrait passer inaperçu, puis avec le temps sa pureté cristalline, son extraordinaire subtilité qui rivalise avec les plus stylés des vins du Rhin, se développent avec assurance.

1996, millésime de vent du nord à l’acidité mordante un peu partout en France aurait pu donner un caractère violent ou déséquilibré à un cépage naturellement acide. Les premières années de vieillissement le faisaient craindre, mais il s’est assagi et, vendangé avec exactitude au meilleur moment pour préserver le côté cristallin qui définit un vrai Geisberg, il développe désormais de puissants arômes de citron et de fleurs blanches un rien amères comme l’acacia ou le tilleul. Sur le risotto que j’avais spécialement concocté pour lui, en associant champignons de Paris, fines herbes et coriandre en grains concassés, avec une pointe de piment doux, le tout braisé dans un fond de vin mi-champagne, mi-vieux quart de chaume, ce que j’attendais s’est produit, une métamorphose de l’arrière bouche qui s’allonge et prend des notes d’eau de rose (merci la coriandre), et un sentiment de sucrosité sans sucre qui adoucit, complète la complexité de ce riz Carnaroli accompagné de sa petite côte d’échine de porc, braisée dans le même fond. Vin de gastronomie, d’amateur de musique de chambre plus que de grand orchestre et supériorité si peu pratiquée de nos jours d’un vin vieilli suffisamment pour exprimer le vrai génie de son origine.

Domaine François Kientzler, riesling, grand cru geisberg 1996

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