Le cabernet franc fait la tendance

Le cabernet franc, le cépage père de tous les cépages, devient peu à peu le chouchou des meilleurs vignerons du monde. Revue de détail

On commence à mieux s’intéresser à l’origine et à la lente évolution de tous nos grands cépages. En Europe de l’Ouest, ils sont certainement nés de métissages et de mutations entre un très vieux matériel végétal venu de l’Est (Asie Mineure et Mésopotamie), les fameux membres de la famille Vitis vinifera pontica, et les lambrusques ou vignes sauvages, soit autochtones, soit redevenues sauvages après la destruction des vignobles plantés par les Romains à la suite des invasions barbares. Un des métissages les plus intéressants sur le plan qualitatif est probablement né entre la Navarre et le Pays basque, on ne sait pas exactement trop quand.

À l’origine des Carmenets
Ce qui est sûr, c’est qu’il est à l’origine de la passionnante famille des Carmenets qui a essaimé en France, transportée par les hommes par mer ou sur les fleuves et rivières, remontant dans le Bordelais, puis dans la Loire, et passant les frontières vers l’Italie du nord, le Hongrie, l’Europe centrale. Nos grands voyageurs, voulant retrouver du vin de qualité dans les nouveaux mondes, l’ont naturellement plantée en Amérique du Nord et du Sud, en Afrique du Sud, en Australie et partout où c’était possible.

Le plus ancien membre connu de cette famille (on ne lui connaît pas de parents précis) est le cabernet franc, franc voulant certainement dire vrai ou authentique, parce qu’on savait observer à défaut d’avoir déchiffré l’ADN de la vigne, par opposition avec ses nombreuses progénitures. Car il en a eu, ce sacré gaillard, par métissage avec d’autres lambrusques locales, donnant après union avec le basque fer servadou, le gros cabernet, puis la carmenère, avec le sauvignon, cette fois-ci en Bordelais, le cabernet-sauvignon (mais oui), avec l’obscure magdeleine noire des Charentes, le merlot noir, et avec la folle-blanche, le rare merlot blanc. Bref Dieu le père par rapport à Dieu les enfants, pour la plus grande gloire du classement de 1855.

Un statut d’ancêtre est des privilèges
Son statut d’ancêtre lui donne quelques privilèges, mais aussi un caractère pas toujours commode. Sa saveur forte, étonnante, épicée, presque poivrée à maturité, riche en pyrazine, qui donne des notes de poivron vert en sous-maturité, est sans doute celle qui se rapproche le plus des baies de raisin des lambrusques, mais aussi celle qui offre la plus grande complexité de saveur possible si les levures font bien leur travail. Il est aussi plutôt robuste, peu sensible aux maladies cryptogamiques qui ravagent ses descendants plus faibles, le mildiou et l’oïdium. Il a aussi parfaitement supporté le greffage sur bois américain après le phylloxera, ce qui est loin d’être le cas de ses enfants. En revanche, il n’aime pas tous les types de sol et tous les climats.

Il lui faut de l’eau et surtout pas de stress hydrique, et donc si on le plante sur des sables, l’été ne doit pas être trop sec. Il préfère logiquement les sols calcaires ou argilo-calcaires où ses peaux réagissent au moindre changement de composition du sol et du sous-sol, ce qui est un signe de noblesse puisque sans cette plasticité la notion de cru exprimant un terroir n’existerait pas. Voilà pourquoi, malgré ses éminentes qualités et son statut ancestral, il est bien moins planté dans notre pays et dans le monde que ses enfants merlot et cabernet-sauvignon, entre 35 et 40 000 hectares dans notre pays contre 120 000 ha pour le premier et 55 000 ha pour le second. C’est pareil à l’étranger, même s’il est en progression en Hongrie et si les meilleurs vignerons de la Napa, de la Sonoma et du Washington State commencent à en faire un cépage culte.

Des expressions les plus complètes
Dans notre pays, ses deux contrées d’élection sont la Touraine, qui lui apporte finesse et fraîcheur, avec un corps qui prend de plus en plus d’ampleur avec le réchauffement climatique et une meilleure viticulture, et la rive droite de la Garonne où il prend le nom local de “bouchet”. C’est dans ce secteur, associé au merlot, qu’il obtient ses expressions les plus complètes, parfois vraiment extraordinaires, s’il trouve des vignerons idéalistes.

Car cette qualité, née d’une maturité optimale du raisin, ne s’obtient qu’avec des rendements beaucoup plus faibles, trente hectolitres à l’hectare ou moins, ce qui explique que le merlot est encore trop souvent trop présent dans les assemblages. En Europe, récemment, la Toscane, le Frioul et quelques rares cuvées d’Europe centrale comme le fameux Kopar hongrois d’Attila Gere à Villany, se rapprochent en corps des meilleurs saint-émilion sans égaler encore leur raffinement de texture. Mais c’est aux Etat-Unis qu’on commence vraiment à rivaliser avec nos grandes expressions, particulièrement dans l’Etat de Washington, au nord de l’Orégon.

Lire l’article en entier dans En Magnum #10.

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