Charles Perrin, une famille en or

Voilà les Perrin, Ceux de Beaucastel et plus. L’histoire d’une famille très unie qui transforme en or tout ce qu’elle touche. le jour de notre visite, c’est Charles Perrin qui nous a reçu. Écoutons-le

Charles Perrin, vous avez 40 ans, vous êtes l’un des sept cousins Perrin, cette cinquième génération issue de votre père François et de votre oncle Jean-Pierre. C’est qui le patron ?
Il n’y a pas une personne qui dirige. C’est notre particularité, nous sommes une famille. On s’appelle Famille Perrin, autant pour le château de Beaucastel que pour nos autres domaines. C’était déjà comme ça avec la génération d’avant. Chacun d’entre nous s’occupe des sujets liés aux affaires de la famille. On se réunit une fois par mois avec mon père et mon oncle. Chacun présente son bilan, les futurs investissements, etc. Ça peut aller d’une pompe pour la cave à un tracteur pour les vignes jusqu’à un investissement dans le marketing. Chaque sujet est soumis à l’accord des neuf. On débat, on évoque les nouveaux projets, la possibilité d’acheter une parcelle ici ou là, qui s’en occupera, etc. C’est toujours au cours de ces réunions qu’on se répartit les tâches. Tout le monde a un pied dans les vignes et dans la cave et un pied sur les marchés. On échange nos tâches et nos projets. Personne ne vit sur le domaine, à part mon père et mon oncle. Personne n’a un sujet à vie. On change tous les cinq ou six ans et il n’y a pas de spécialisation. On a tous commencé à travailler à la vigne ou dans la cave, y compris ceux qui ont des profils atypiques. C’est un système assez valorisant qui nous permet d’être au courant de ce qui se passe. On travaille en famille, pour le bien de la famille.

Et ça marche ?
On décide ensemble dans la transparence la plus grande. Tout le monde a le même salaire et tout ceci a été mis en place par mon père et mon oncle. Notre génération a instauré quelques règles pour éviter les tensions, notamment en ce qui concerne la transmission. Nous avons tous plusieurs enfants, à notre tour de travailler pour eux. Nous avons décidé qu’aucun conjoint ou conjointe ne pouvait être impliqué dans les affaires de la famille. C’est impossible pour l’un d’entre nous de vendre ses parts à un investisseur étranger à la famille. Il y a une charte, l’idée c’est de construire ensemble, chacun de son côté étant responsable de ses sujets. Ce système est un peu à contre-courant de ce qui se passe dans le monde des propriétés. Aujourd’hui, le consommateur aime voir un homme ou une femme incarner le domaine et les vins.

Est-ce un système durable ?
Je ne sais pas. On essaye de se retrouver par petits groupes pour les questions de vinification et pour les assemblages. Le reste de l’année, il n’y a pas besoin d’avoir plus de monde en cave. Il y a du travail pour une personne, pas pour neuf. Chacun a fait des études très différentes. Les plus anciens de la nouvelle génération, comme Marc et moi, ont été invités à faire autre chose. À la mort de mon grand-père, Beaucastel ne pouvait pas faire vivre plus d’une famille. C’était un problème majeur et, à ce moment-là, mon père et mon oncle ont décidé de créer un négoce, La Vieille Ferme, et d’acheter des propriétés pour faire travailler tout le monde. Quand j’étais plus jeune, je me souviens que mon père me disait : « Charles, vous êtes sept, vous ne pourrez pas tous vivre sur la propriété et être vigneron ici. N’imagine pas que ce domaine sera à toi. ». J’ai vécu à Beaucastel, j’ai baigné dans cet univers et quand je me suis rendu compte que je ne reprendrais pas seul ce domaine, j’ai eu d’autres envies. D’abord, des études dans la finance, puis une école de commerce. J’ai monté une société à Paris et j’ai aussi travaillé dans le conseil. Un peu avant mes 30 ans, en passant le week-end ici, je me suis vraiment rendu compte du joyau au sein duquel j’avais été élevé et je me suis senti bien dans cet endroit. Comme je voulais y revenir, j’ai dû apprendre à travailler à la vigne et en cave. Pour Marc Perrin, c’est un peu la même histoire. Les plus jeunes d’entre nous ont travaillé ici avant nous. Mon jeune frère César, avec qui j’ai dix ans d’écart, a commencé dès sa sortie de l’école.

Aujourd’hui, l’ensemble des activités fait vivre vos sept familles ?
Chacun d’entre nous a une fonction clé dans l’entreprise, selon ses compétences et son expérience. Tout a commencé avec Beaucastel, propriété historique et emblème familial. Mon arrière-arrière-grand-père l’a transmise à sa fille, qui s’est mariée avec un Perrin. Leur fils, Jacques Perrin, en a hérité. Lui l’a léguée à mon père et à mon oncle. Lors du décès de mon grand-père, disparu à 50 ans en 1978, mon père avait 24 ans. Mon oncle et lui n’avaient pas eu le temps de s’organiser. Plutôt que de se disputer autour de la transmission de Beaucastel, ils ont décidé de développer d’autres activités. Lorsqu’il vivait à Marseille, mon grand-père avait acheté une petite marque qui s’appelait La Vieille Ferme. C’était une société de distribution qui livrait du vin en vrac dans les bistrots. Ils ont décidé de la développer et de proposer, au lieu du vrac, des vins en bouteilles dans les trois couleurs. Historiquement, c’est donc la première marque de négoce de la famille. Dans les années 1980, les marques de négoce étaient encore assez marginales. Le principe de La Vieille Ferme a toujours été simple, proposer du vin bien fait à un prix d’entrée de gamme. Aujourd’hui, c’est la première marque de vin français vendue aux États-Unis. La marque, dans les trois couleurs, représente plus de 15 millions de bouteilles.

Et avec l’augmentation des droits de douane ?
C’est très compliqué. Comme les vins de La Vieille Ferme sont plutôt produits sur des terroirs frais, ils sont en-dessous de 14° d’alcool et sont concernés par la taxe “Airbus”. Pour autant, nous continuons de faire quasiment 50 % de nos ventes aux États-Unis, pour l’ensemble de nos domaines et de nos marques. La menace de ces taxes nous avait un peu préparés à la crise de la Covid. Dès le début du mois de janvier 2020, nous nous étions mis dans une situation de sécurité, c’est-à-dire moins d’achats et moins d’investissements. Au fil des années, nous avons eu la possibilité d’acheter des propriétés dans la vallée du Rhône. Sous le nom Famille Perrin, nous sommes aujourd’hui les premiers propriétaires de vignes dans la région, plutôt dans les appellations du Rhône méridional. L’ensemble représente à peu près 300 hectares, en propriété pour une grande partie avec un peu d’approvisionnement pour nos côtes-du-rhône quand la demande augmente pour notre négoce. Pour résumer, nous sommes à 80 % autonomes pour nos vins Famille Perrin. Selon le millésime, cela représente un à deux millions de bouteilles. Lors d’une bonne année, château-de-beaucastel est tiré à 150 000 bouteilles. On sort 30 000 bouteilles pour le blanc et 100 000 bouteilles pour la cuvée Coudoulet de Beaucastel. ll y a quinze ans, nous nous sommes associés avec Nicolas Jaboulet dans le Rhône-nord. Nous n’étions pas des spécialistes de ce vignoble, alors on a décidé de créer avec lui le domaine des Alexandrins. C’est une propriété de vingt hectares où l’on fait, en propre, du crozes-hermitage et du saint-joseph. Il y a une petite activité de négoce pour faire des vins en côte-rôtie et en hermitage, seulement quelques barriques par an.

Qui s’occupe du commerce ?
Personne n’est responsable d’une seule entité. On se partage les pays et les zones de distribution, chacun en prend la responsabilité et on change régulièrement entre nous. C’est un système qui nous permet de voir beaucoup de choses différentes. Nous n’avons jamais mis tous nos vins sous la même marque. On aurait pu être tentés de tout mettre sous pavillon Beaucastel. Notre force, c’est de pouvoir vendre les vins de La Vieille Ferme, dont nous sommes très fiers, sans jamais toucher à l’image du château de Beaucastel. Nos domaines sont séparés, chacun a son histoire.

Et il y a aussi la grande histoire Miraval.
On s’est associé en 2012 avec le couple Angelina Jolie-Brad Pitt. L’histoire est folle. Nous avons un domaine en Californie. Notre importateur américain connaît bien Brad Pitt. À cette époque, l’acteur avait des problèmes avec sa propriété en Provence et cherchait un consultant pour l’aider. Il nous a approchés. Dès le départ, la famille a décidé de ne pas participer à ce projet de consulting. C’était un débat assez houleux entre nous. Mais comme l’endroit est absolument sensationnel, nous en sommes tombés amoureux et nous avons proposé à Brad Pitt de s’associer. Évidemment, la propriété comme le foncier viticole lui appartiennent. Nous avons simplement créé une société d’exploitation à parts égales. Il met à disposition ses infrastructures et nous nous occupons de la viticulture et des vins. En août 2012, une semaine avant les vendanges, le cuvier était en mauvais état. On a apporté notre matériel et nos équipes et la famille se sont impliquées dans les vinifications. Petit à petit, nous avons créé Miraval. Au moment de la sortie du rosé, on a communiqué sur notre association. La presse a un peu déformé l’histoire en annonçant que Brad Pitt se mettait à faire du vin alors que ça faisait six ans qu’il était là. Le lancement du vin a été incroyable, peut-être l’un des plus importants au monde avec plus de trois cents articles de presse sur le sujet en deux jours. La demande a été phénoménale, allant jusqu’à créer un engouement pour les vins rosés clairs aux États-Unis. Avec d’autres, comme Minuty ou Château d’Esclans, Miraval a fait exploser la consommation de rosé dans le monde. Le buzz était dur à maîtriser. Dans notre pays, le concept “star et vin” est forcément synonyme de mauvaise qualité et de coup marketing. C’est une attitude très française, il y a beaucoup de jalousie. La marque s’est vite exportée aux États-Unis. La présence de Brad Pitt a rendu les Américains curieux des vins et de ce qui se passait ici.

Vous dites que c’était difficile à gérer ?
Nous n’avons jamais communiqué sur le couple Jolie-Pitt. En quelque sorte, il fallait que ce soit le secret le plus mal gardé au monde parce que chaque interview sur le vin devenait un entretien sur eux. La presse people s’est emparé du sujet et c’est devenu une espèce de folie qui, à un moment donné, nous a fait peur et nous a poussés à beaucoup de vigilance dans notre communication. On s’est vraiment concentrés sur le vin et Brad Pitt a fait très peu d’interview sur le sujet. On a décidé de proposer Miraval par l’intermédiaire de nos réseaux de vente, avec les agents commerciaux qui s’occupaient de Beaucastel. Le succès a été incroyable. Ce type de rosé appartient à un segment très premium, plus proche de celui du champagne et pas forcément idéal pour les réseaux de vente des vins de Beaucastel. Il a fallu apprendre ce nouveau métier. Il y a eu aussi un peu de frustration. Nous avons mis plus de trente ans pour construire une réputation forte pour notre cuvée Hommage à Jacques Perrin. En seulement trois jours, celle de Miraval était faite. Et très forte.

Et maintenant ?
Aujourd’hui, on s’occupe de la propriété et nous y avons beaucoup de projets. Comme c’est un super terroir pour les blancs, nous avions mis entre parenthèse la production de vins rouges. Les vignes plantées en bas de la vallée mouraient d’avoir trop d’eau. Depuis, tout est mis en place pour assurer un bon drainage des sols. Pour ce travail de reconstruction, il y a trente personnes qui travaillent à temps plein. Brad Pitt ne fait pas les choses à moitié. C’est un passionné d’art qui fait tout son possible pour embellir le lieu. Ce qu’il gagne avec le vin, il le réinvestit dans le domaine. Avec lui et Lydia et Claude Bourguignon, nous avons beaucoup travaillé à l’identification des sols. On replante beaucoup. Comme c’est un terroir très froid, on a planté du pinot noir pour nos rouges. Il faut encore un peu de temps. On a aussi planté des syrahs en terrasses. Pour nos rosés, on cherche à travailler aussi sur des vins parcellaires comme la cuvée Muse, vieillie plus longtemps à la fois en demi-muids et en cuve béton ovoïdale.

Vous êtes également en Champagne ?
Oui. Depuis peu, on sort un champagne Miraval avec le domaine Pierre Péters sur lequel nous intervenons à 100 %. Là-aussi, nous avons monté une société et construit un local dédié. C’est un champagne rosé. Nous y travaillons depuis trois ou quatre ans avec Rodolphe Péters. L’assemblage est composé de chardonnays de réserve associés avec du pinot noir de l’année, pour la couleur. Le problème avec les champagnes rosés, c’est l’oxydation précoce. En vieillissant, le pinot s’oxyde parfois très rapidement. C’est une toute petite production, seulement 5 000 bouteilles.

Pourquoi faire un champagne rosé ?
Il y a dix ans, sur l’ensemble de nos domaines, nous produisions environ 80 % de rouge, 15 % de blanc et seulement 5 % de rosé. Aujourd’hui, la part de rosé est montée à 50 %. La couleur est devenue une tendance mondiale. Pourtant, il faut comprendre qu’on ne travaille pas de la même façon. Il faut anticiper, la viticulture est différente. Nous avons des équipes spécialisées dans le rosé dès la vigne et des spécialistes de la couleur dans nos caves. Si l’on compare aux vins rouges, dans sa technique et dans son élaboration, le rosé ressemble à de la pâtisserie. Beaucoup de gens pensent qu’un cuisinier sait forcément faire un bon gâteau, mais ce n’est pas toujours le cas. Ce sont deux métiers différents. Là où il y a de l’improvisation et du génie dans la cuisine, il y a de la précision et de la technique dans la pâtisserie. Pour le rosé, c’est la même chose. Miraval essaye de devenir une marque experte en la matière, présente dans plusieurs terroirs et appellations. C’est l’idée avec ce champagne.
Photo : Mathieu Garçon

Article paru dans En Magnum #022, disponible ici.

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