Albert Bichot, des bourgognes à la mer

Si la grande maison beaunoise est enracinée dans son vignoble, elle a aussi le goût du voyage et de l’exploration. Certaines de ses meilleurs bouteilles viennent de faire le tour du monde, pour la bonne cause

Les grands crus de Bourgogne ont-ils le pied marin ? Certes, les terroirs bourguignons sont d’origine marine. Le calcaire est une roche sédimentaire de mer peu profonde. On ne peut pas non plus contester le rôle majeur joué par les bateaux pour répandre les bienfaits de la civilisation du vin, en Méditerranée pendant l’Antiquité, dans l’Atlantique plus récemment pour le développement des vins de Bordeaux, de Porto, etc. Rien ne prédisposait pourtant des magnums de clos-vougeot, corton-charlemagne, vosne-romanée Les Malconsorts et d’autres, tous de la maison Albert Bichot à parcourir 70 000 kilomètres dans la cale d’une goélette d’exploration océanographique. Le voyage a mené les flacons de la Terre de feu, jusqu’à Cancun, en remontant l’Amérique du Sud par sa façade pacifique pour redescendre une nouvelle fois, côté Atlantique, jusqu’à l’Antarctique. L’équipage et sa cargaison – les millésimes 2015 à 2018 – ont essuyé une belle tempête dans la mer de Weddell, dans l’océan Austral, avant de remonter les côtes africaines.

Ballotés en permanence, soumis à des variations de thermomètre allant de près de 30° à des températures à peine positives, que venaient faire ces vins dans cette galère ? Embarquées à Lorient, en décembre 2020, les bouteilles sont rentrées à bon port en octobre 2022. L’idée est née en marge de la vente aux enchères des Hospices de Beaune, édition 2017. La fondation Tara, qui organise des expéditions pour étudier les effets de la crise climatique et écologique sur les océans, est désignée pour bénéficier d’une partie de la vente de la pièce de charité. Le marin Romain Troublé (deux participations à la Coupe de l’America et directeur de la fondation) rencontre Albéric Bichot. Le courant passe. Le négociant entretien depuis longtemps un gout prononcé pour les grands espaces. Lycéen en région parisienne, il a fait la connaissance de Nicolas Vanier, futur cinéaste, écrivain et surtout explorateur, avant de partir, à trois reprises, dans les régions sauvages du grand nord canadien ou de la Terre Adélie.

Pour les deux hommes, le destin des terroirs viticoles et celui des océans ne font qu’un face au changement climatique. « Un réchauffement de l’eau, même de 0,1 degré, à un impact énorme sur les micro-organismes qui s’y trouvent et leur capacité à stocker du carbone », averti Romain Troublé. Le 9 janvier dernier, la maison présentait à la dégustation ces bouteilles voyageuses en les comparant comparer avec celles restées dans ses caves. Plutôt de bonnes surprises. Aucun vin oxydé ou déviant mais une évolution raisonnablement accélérée. Mention spéciale pour le chablis grand cru Moutonne et le vosne-romanée Les Malconsorts. En matière de résilience, les grands terroirs semblent, eux aussi, bénéficier de facultés hors du commun.

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