Tout recommence toujours

Cet article est paru dans En Magnum #30. Vous pouvez l’acheter sur notre site ici. Ou sur cafeyn.co.

Je suis consterné par la désinformation sur le vin dans nos médias, alors qu’il faudrait se réjouir de l’augmentation des reportages le concernant. Il faut soutenir la place médiatique, écrasée par l’inique loi Evin, d’un produit phare de notre culture collective, capital pour la préservation des paysages ruraux et de leur attraction pour un large public planétaire. Sans parler des emplois et d’une présence habitée de zones qui deviendraient sans lui des landes ou des coteaux désertiques. Le sujet semblant secondaire et plus ludique que sérieux, les enquêtes sont souvent bâclées. Ou à charge, ce qui est plus grave, inspirées par l’idéologie au lieu de l’exactitude des faits.
Je passe sur le catastrophisme qui attire les badauds concernant les caprices de la météo et les malheurs de la production. Je n’oublie pas la mauvaise foi de pseudos-défenseurs de l’environnement qui rejettent sur l’agriculture, et sur la viticulture, la pollution de nos sols, de nos eaux, de nos habitations, quand elles jouxtent les vignes. C’est ce qui fait leur principal attrait commercial. Ils feraient mieux de s’occuper des vraies causes, qui relèvent de la démographie et de la distorsion entre notre pouvoir d’achat et le coût d’une production plus propre de notre alimentation. Mais en ce moment, la mode est à l’angoisse du réchauffement climatique. Faut-il changer l’origine des raisins ? Et nos anciens codes de culture et de consommation pour éviter à terme la disparition d’un produit que collectivement nous chérissons ? Celui-là même que l’étranger admire chez nous ? Le coq gaulois en danger ou en berne, voilà de la bonne dramaturgie avec des intervenants incompétents.
J’ai eu la chance récemment d’assister à un remarquable colloque scientifique, avec les meilleurs ampélographes lié à l’inscription des climats bourguignons au patrimoine mondial. Le sujet concernait nos cépages. Ce que nous pouvons savoir désormais grâce au déchiffrage rendu possible de l’ADN du végétal. Ce patrimoine concerne l’ensemble des vignobles de la planète plantés de ces mêmes cépages. On en sait plus (mais pas tout) sur la domestication de Vitis vinifera, sur leurs voyages et les relations génétiques complexes qui les ont fait se croiser, s’affiner, supporter d’innombrables changements climatiques et maladies de toutes sortes. Les hasards, les vents, les pluies, l’histoire ont joué leur rôle. On ne peut qu’admirer la résilience incroyable de ces cépages, à condition que l’homme permette à la vigne de développer son potentiel. On l’a vue cette année se replier sur elle-même, puis se refaire une brillante santé.
Oui, 2022 sera un des plus grands millésimes des cinquante dernières années, alors qu’on l’annonçait à grands renforts de pleurs télévisés ou radiophoniques comme perdu d’avance. On n’a pas vraiment besoin de créer des variétés hybrides. On n’a pas non plus à se montrer chauvin, à se méfier de petits cépages modestes et oubliés ou des cépages mieux reconnus et plantés dans d’autres régions. Il n’y a pas de plus édifiant exemple que le trousseau jurassien dont les Francs-Comtois se targuaient d’être les seuls producteurs au monde. Des milliers d’hectares espagnols ou portugais le mettent en valeur.
Pour ce qui est des vendanges et de la difficulté de trouver des vendangeurs, il y a un remède radical. La mécanisation de la vendange. Pour 90 % de notre production, les machines sont de plus en plus performantes et rendent ringarde l’opposition à leur usage. La haute couture manuelle restera l’apanage des vins coûteux, issus des meilleurs terroirs. La tragédie qui peut survenir concerne la main d’œuvre relevant du travail des sols et de la vigne. Des milliers d’emplois bien payés qui permettent aux régions de vivre et à ceux qui y vivent de ne pas avoir le stress des villes, ne trouvent plus preneurs. On refuse d’avoir un peu froid ou un peu chaud, de travailler à des heures ou des jours qui ne sont pas ceux des emplois urbains. Qui nous donnera à manger et à boire dans l’avenir ? Voilà la vraie inquiétude.
Je vois l’installation de jeunes vignerons venus de la ville, qui espèrent trouver dans les champs plus d’espace de liberté et de créativité. Et pour leurs enfants, un meilleur air, une meilleure concentration dans leurs études. Nous avons tous besoin d’eux. Acceptons de récompenser leurs efforts en payant le fruit de leur travail. Boire du vin à moins de cinq euros la bouteille est un mauvais geste envers notre propre avenir.

Photo : Mathieu Garçon

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