Hathyr et Monica, une histoire de cœur

Preuve que l’entêtement de civilisation propre à nos chers vignerons n’est pas l’apanage des Français, c’est une Colombienne qui crée avec succès cette nouvelle marque en Champagne. Hathyr, un drôle de nom pour un grand vin. Par Marie-Charlotte Wambergue photos Mathieu garçon

Cet article est paru dans En Magnum #30. Vous pouvez l’acheter sur notre site ici. Ou sur cafeyn.co.

Monica Marini et sa famille décident de s’installer en France alors qu’elle n’a que 18 ans tout juste. Ils arrivent de Colombie, Monica ne parle pas un mot de français et s’inscrit en langues à la Sorbonne, avant de s’orienter vers le droit. L’oncle par alliance qui les accueille dirige une belle société française et aime, à ses moments libres, découvrir les savoir-faire hexagonaux. Il sera le guide de Monica et l’initiera à la gastronomie et aux vins, ses univers favoris. Pour elle qui vient d’un pays dont ce n’est absolument pas la culture, la rencontre est foudroyante.

La passion est née. Elle lâche le droit et s’inscrit aux cours d’œnologie et de viticulture à Avize. Mais alors qu’ils réfléchissent à un projet en Champagne, son oncle décède. Qu’à cela ne tienne, mue par sa passion, elle se lance seule, et décide de créer sa propre marque avec ses tous petits moyens. Mais comment faire quand on est colombienne et sans moyens financiers ? Elle arpente les grands vignobles champenois que sont la côte des Blancs et la montagne de Reims. Inaccessibles. Ses pas la mènent alors vers la vallée de la Marne.

À Charly-sur-Marne, plus précisément. L’entrée ou la sortie de l’appellation, c’est selon. Un endroit où l’on ne vient pas pour faire de l’œnotourisme. Cest bien dommage, la campagne et les terroirs sont beaux. Le paysage propose de multiples orientations et altitudes et des morcellements en cirque. Essentiellement plantés en meunier, qui a aujourd’hui gagné ses lettres de noblesse, ses sols sont bien plus variés que ceux des vignobles classiques autour de Reims. Autrefois, le cœur du Bassin parisien, ce terroir a bénéficié d’une déposition marine très importante dont les couches successives et la micro-géologie font la différence dans les assemblages.

Monica a tapé dans le mille, en témoignent les grandes maisons de champagne qui recherchent aujourd’hui cette typicité. Sa rencontre avec la troisième génération d’une famille de vignerons implantés depuis les années 1940 dans cette partie de l’Aisne sera décisive. Lise, Aline et Claire accueillent avec intérêt Monica et acceptent qu’elle participe activement à toute la vie de leur vignoble. Monica est conquise par leur ouverture d’esprit et elles, par son âme de vigneronne. Hathyr voit le jour en 2014. Pourquoi ce nom ? En règle générale, les champagnes portent un nom de famille. Monica a préféré un choix plus personnel. Elle a toujours été attirée par la mythologie, égyptienne et grecque. Athyr y représente la déesse de l’amour et de la fête, donc tout ce qui inspire ce breuvage finement pétillant.

Quant au H supplémentaire, il indique le mois de septembre dans le calendrier égyptien. Un mois essentiel dans la vie du vigneron que ce temps des vendanges. Cette signature devient une réalité. Et elle ne s’accompagne pas des reproches que l’on entend parfois à propos des marques d’acheteur. Monica a une philosophie, partagée par ses partenaires. Elle produit des vins de qualité destinés à la gastronomie. Le vignoble est certifié Haute valeur environnementale et Viticulture durable en Champagne depuis 2016. Des 52 hectares, dont plus de la moitié à Charly, elle sélectionne les raisins qu’elle veut pour elle. Le vignoble est majoritairement planté en meunier, puis en chardonnay, qui révèlent une grande richesse et assurent ainsi la membrane de transparence et de pureté de ses vins. Le reste en pinot noir.

Philippe Jamesse, fameux sommelier et incontestable spécialiste du champagne, est le consultant de Monica. Il est aussi son compagnon.

Les cuvées sont pressurées par secteurs, un travail artisanal. Monica a la chance de pouvoir choisir ses vins, ses assemblages, ses dosages, ses millésimes. Et teste le passage en fûts de chêne de ses chardonnays. Elle peut aussi travailler sur des bases qui ont au moins quatre ans. Ses quatre cuvées, brut sans année, blanc de blancs, rosé et millésimé, présentent un vrai style gustatif. L’homme qui partage son quotidien y est peut-être aussi pour quelque chose – bien qu’il soit arrivé au cours de l’aventure – puisqu’il s’appelle Philippe Jamesse, fameux sommelier des Crayères, créateur de verres et auteur dont la réputation n’est plus à faire. L’avenir d’Hathyr ? Continuer à avancer prudemment. Viser les beaux endroits de la gastronomie, il est déjà sur les tables d’Anne-Sophie Pic. Développer l’étranger en dehors du Japon, qui l’a déjà adopté. Et toujours porter haut l’appellation, c’est bien engagé.

 

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