Bordeaux et Beyrouth, épaule contre épaule

Les liens entre la France et le Liban sont historiques. Il n’y avait pas de raison que la situation soit différente entre ses vignobles. Comme souvent, Bordeaux montre la voie de la fraternité


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« Avec Bordeaux, par Bordeaux, pour Bordeaux »,
ces mots étaient au centre de la rencontre organisée au mois d’avril au Liban par la commanderie de Bordeaux à Beyrouth. Venus de Paris, Bordeaux, Stockholm, Atlanta, Dallas ou encore Philadelphie pour promouvoir les vins de Gironde et découvrir la culture du pays hôte, vingt-huit membres de commanderies de Bordeaux à travers le monde ont répondu présent.
L’idée de cette réunion a germé en septembre dernier durant le congrès mondial des commanderies. Cet événement, organisé tous les quatre ans par le grand conseil du vin de Bordeaux, réunit environ quatre cents personnes (en tout, il y a quatre mille commandeurs dans le monde). Évidemment, différentes visites de châteaux sont au programme. « Un soir, nous étions au château Siran à Margaux et j’ai aperçu nos amis libanais en grande conversation », raconte Hubert de Boüard, grand maître du grand conseil du vin de Bordeaux. « Ils étaient en train de programmer une visite dans leur pays. Une vraie première. » Maître de la Commanderie à Beyrouth, Étienne Debbané confirme : « Plusieurs commanderies ont exprimé le désir de venir au Liban. Nous leur avons écrit et avons fixé une date. Nous sommes heureux d’avoir pu les accueillir. C’est une grande réussite et une preuve de dynamisme ».

La cérémonie d’intronisation de quatre nouveaux membres à Ixsir.

La Commanderie à Beyrouth
Créée en 2015 à l’initiative d’Étienne Debbané et d’Hubert de Boüard, la commanderie de Bordeaux au Liban regroupe trente-six membres, dont quatre ont été intronisés à cette occasion (Véronique Hraoui, Leyla Nassar, Wajdi Diab et Michel Gédéon) lors d’une cérémonie qui s’est déroulée à Ixsir, le domaine viticole installé sur les hauteurs de Batroun co-fondé par Étienne Debbané. Désormais commandeur, Michel Gédéon a raconté sa rencontre avec le vin : « Je suis né en 1992. Après avoir fini mes études secondaires à Beyrouth, j’ai rejoint l’université américaine de Paris pour suivre des études de commerce. C’est là que j’ai découvert ce qui, depuis, est devenu une passion ». Véronique Hraoui a quant à elle évoqué la joie de rentrer dans un cercle d’amis amoureux des vins de Bordeaux et l’importance de pouvoir bénéficier d’une ouverture vers l’extérieur : « C’est aussi un message d’espoir pour le Liban qui a toujours eu la vocation de s’ouvrir sur le monde. Là, c’est par le biais du vin, avec le plaisir en plus ».

Les vingt-huit membres de commanderies de Bordeaux visitent le site romain de Baalbek, dans la plaine
de la Bekaa, où se trouve le temple de Bacchus.

La culture de l’accueil
Les Libanais sont amateurs de bons vins en général et de bordeaux en particulier. « Quand on parle de vin au Liban, on évoque immédiatement la France. Quand on dit vin français, on cite Bordeaux en premier », explique Étienne Debbané. « Les Libanais ont forgé leur goût pour le vin avec Bordeaux. Ils sont douze millions à vivre en dehors du pays et sont de grands ambassadeurs. Le Liban a aussi une grande histoire viticole. » Ce rassemblement ne pouvait donc passer à côté de la culture locale du vin et du sens de l’accueil, de la convivialité et de la générosité des Libanais, notamment exprimé par ces familles qui ont su rebâtir sur les ruines de maisons détruites pendant la guerre, telle celles de Philippe Jabre (Bois-de-Boulogne) et de Farid Abdelnour, à Bhamdoun. Au programme, route du vin et visite du temple de Bacchus à Baalbeck, caves historiques du château Ksara, détour par l’emblématique château Musar et visite d’Ixsir, domaine construit de toute pièce en 2008 dont le chai enterré a été distingué par la chaîne de télévision CNN comme l’un des bâtiments les plus écologiques au monde. Les membres de la commanderie ont aussi pu marcher sur les traces des Phéniciens et des Ottomans en visitant la ville de Byblos dans le nord et de Saïda, au sud.

Hubert de Boüard, grand maître du grand conseil du vin de Bordeaux et Étienne Debbané, maître de la Commanderie à Beyrouth.

Une question de valeurs
Les Libanais puisent leurs forces dans ce glorieux passé pour construire leur avenir, d’autant plus que cet avenir est principalement porté par les initiatives privées des femmes et des hommes qui ont choisi de rester pour donner une chance aux générations futures. Ainsi d’Étienne Debbané, dont la famille a été chassée de sa maison entre 1975 et 1991 : « Je suis né à Saïda, nos racines sont ici et nous sommes fiers de transmettre ce patrimoine ». Si nul ne songe à nier les difficultés financières et politiques de ce pays en crise, cette situation n’empêche pas les gens de vivre, de construire, de faire du vin. Et de progresser en la matière. « Je suis venu au Liban pour la première fois il y a vingt-cinq ans. Les Libanais n’étaient pas très fiers de leurs vins », se souvient Hubert de Boüard. « Ils ont demandé conseil, mis les moyens et ont appris à connaître leurs terroirs, la climatologie du pays et l’adaptation de cépages. Ils sont désormais fiers de ce qu’ils peuvent offrir au monde. L’amour du vin au Liban s’exprime avec les vins de Bordeaux, mais aussi, petit à petit, avec les vins libanais. »

Le passé et l’avenir
La culture viticole du pays du Cèdre remonterait au VIIe siècle avant notre ère, au temps des Phéniciens, ancêtres des Libanais. Ces derniers étaient présents sur un territoire qui correspond en grande partie au Liban actuel. Des fouilles archéologiques entreprises dans le Sud-Liban sur le site de Tell el-Burak, à environ huit kilomètres de la grande ville côtière de Sidon, ont confirmé cette hypothèse phénicienne. Elles ont même apporté une nouvelle certitude, celle de la fabrication du vin par les Phéniciens eux-mêmes, grâce à la mise au jour d’un pressoir vieux de 2 600 ans (voir l’article « Vins du Liban, gloire et brouillard », En Magnum #21).
L’Empire ottoman a anéanti ce savoir-faire qui fut réintroduit par les Jésuites au XIXe siècle. Dès 1857, les moines installés dans la plaine de la Bekaa cultivent et produisent un vin destiné à leur consommation personnelle. Une grotte naturelle est découverte, puis agrandie pour atteindre une longueur de deux kilomètres. Elle appartient désormais au château Ksara. Aujourd’hui, le Liban compte environ cinquante producteurs de vin. Parmi eux, Kefraya, Ksara, Musar et Ixsir sont les ambassadeurs des vins libanais à travers le monde.

 

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