Trapet, l’histoire a une suite

Jean-Louis est une figure de Gevrey-Chambertin. Avec Andrée, sa femme, il a fait revivre un domaine à Riquewihr, en Alsace. Pierre et Louis, leurs fils, les rejoignent. Ils ont leur projet à eux


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Dans cette famille, on se parle. Cela peut passer pour une évidence dans cette Bourgogne marquée par l’image du domaine familial. Pourtant, ils les entendent les histoires d’achats de domaines, d’achats de terres, de successions compliquées. Le succès arrogant de la Côte-d’Or déstabilise les familles. L’histoire de celle des Trapet est bien documentée. Cultivée même, depuis un bon siècle et demi. Il fallait voir Jean-Louis, lors du Grand Tasting Paris en novembre 2022, lire avec délectation, avec son phrasé clair et lent, le journal du grand-père minutieusement photocopié. Il était soigneux le grand-père Louis, il écrivait d’une écriture appliquée.
Si vous lancez Jean-Louis, il peut vous parler longuement de la lignée Trapet à Gevrey. Louis Ier, le fondateur, puis Arthur, puis Louis II, puis Jean, toujours vaillant, à partir de 1950, puis Jean-Louis lui-même, à partir de 1986. Il a eu les mains libres dans les années 1990, en a profité pour prendre son tour d’innovations. L’arrêt des désherbants d’abord, puis le grand saut dans la biodynamie. Timidement en 1995, complètement en 1997. En 2003, la canicule et les faibles récoltes permettent d’expérimenter la vendange entière. C’est devenu une habitude. C’est aussi l’année où le couple Trapet reprend le domaine familial d’Andrée, née Grayer, en Alsace. À l’époque, moins de deux hectares de vignes et le seul grand cru Sonnenglanz. Une vie entre les deux régions, la semaine à Gevrey, le week-end à Riquewihr. Le domaine s’étend rapidement avec l’arrivée des grands crus Sporen, Schlossberg et Schoenenbourg en 2006. Il fait aujourd’hui dix-sept hectares et a même rajouté le Mambourg à son arc.

Deux cultures, une famille
Cette dualité (ou complémentarité) bourguignonne et alsacienne, c’est l’héritage de Pierre et Louis, les deux fils Trapet. Héritage au sens propre, les terres vont leur revenir. Et au figuré, ce qu’une famille transmet à la nouvelle génération. Pierre est né en juin 1992. Louis en septembre 1994. Le premier a fait des études de commerce, la Burgundy School of Business à Dijon. Le second un BTS viti-oeno à Beaune, suivi d’un diplôme à Changins, l’école suisse de viticulture et d’œnologie. Pierre est venu travailler avec ses parents en premier, en 2017. Ils lui ont confié les clefs de l’Alsace. En 2018 et 2019, les deux frères ont fait leurs premières expériences ensemble, histoire d’éprouver leur relation, de construire des ambitions communes, d’innover à leur tour. Comme avec ces vignes en échalas ou ces plantations de semis pour faire un couvert végétal.

Nouveau terrain de jeu
L’idée est de tout faire en commun, avec quand même chacun son jardin. Pierre plutôt en Alsace, plutôt orienté blanc. Louis plutôt en Bourgogne, plutôt orienté rouge. Avant, il y avait deux semaines de différence entre les vendanges des deux régions. Elles sont désormais quasiment synchronisées. Pierre insiste sur l’importance de ces deux origines. « J’ai commencé à marcher en Alsace, pas en Bourgogne. » Il insiste aussi sur le rôle des femmes de la famille. « J’habite chez ma grand-mère maternelle qui a perdu la vue quand je suis arrivé. Elle a un tempérament très fort et un lien fondamental avec la nature. En côte de Nuits, la nature est civilisée. En Alsace, elle est plus sauvage, avec les Vosges, la forêt. On a été nourris de ces deux cultures, l’une catholique, l’autre protestante, l’une française, l’autre avec des influences germaniques. Les deux ont du sens. »
Grâce à la femme de Louis, Justine Bonnetain, fille de viticulteur en côte de Beaune, les deux frères ont repris presque deux hectares du domaine Eric Bonnetain quand celui-ci a arrêté. Plein de petites parcelles sur plusieurs appellations pour faire leur truc à eux, de A à Z. Domaine Pierre et Louis Trapet, simplement. Ils vont commercialiser leurs 7 000 premières bouteilles en 2023. Avec de jolies étiquettes faites par Louise Pianetti-Voarick, avec des cercles de couleurs qui s’interpénètrent. Neuf vins sur une aussi petite surface, avec notamment de l’aligoté vinifié de trois façons différentes : classique, macéré, passerillé. Ils ont une parcelle plantée en 1934 dans le climat Sous Châtelet à Auxey-Duresses, bien connu des amateurs du cépage. Lalou Bize-Leroy y a les siens. Ils ont présenté les vins à Paris, en famille, à la fin de l’année 2022.
Louis prenait beaucoup de plaisir à en donner le détail géographique exact : « Le paysage est totalement différent de Gevrey ». En blanc, un saint-romain issu de deux parcelles, Le Jarron et La Périère. Un auxey-duresses, deux parcelles aussi, dans Les Fosses et Les Hautés. Pour le meursault, les vignes sont dans Les Vireuils. Les élevages se font surtout en œuf béton. « Mon beau-père m’avait dit pas plus d’une pièce neuve dans le meursault. » En rouge, l’auxey-duresses et l’auxey-duresses premier cru naissent de l’assemblage des parcelles Les Ecussaux et Les Grands-Champs. Il y a aussi un pommard Les Vaumuriens.
Pour les blancs, Pierre est déjà bien à son affaire avec des 2020 à la salinité traçante finale. Louis s’est un peu fait surprendre par la maturité des rouges. Les deux têtes bien faites ne sont jamais à court d’idées. « En 2020, on a relevé nos piquets de palissage. L’ombre portée protège le rang d’à côté. On gagne un demi-degré d’alcool avec ça. » Pierre a aussi parlé de leur tracteur électrique. « On est les premiers à l’avoir. On est souvent les premiers à faire quelque chose. » Ces deux-là n’ont pas fini de nous surprendre, d’innover, d’écrire le chapitre d’après du roman de la famille.

Photo : Leif Carlsson

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