Le Japon sur Seine (la suite)

On ne compte plus le nombre de chefs japonais venus s’installer en France. Par amour de notre gastronomie, mais aussi pour se former. Cela donne des merveilles et trois restaurants. Deux sont à retrouver dans le numéro 33 de En Magnum, un autre ici

Meursault (Côte d’Or)
La Cueillette – Château de Cîteaux
Après le château de Courban où il a obtenu sa première étoile en 2018, le chef Takashi Kinoshita s’installe au château de Cîteaux, sis juste au-dessus des premières caves cisterciennes du clos éponyme datant du XIe siècle. Les portes de sa nouvelle table gastronomique, La Cueillette, ouvrent ce 23 septembre

Son premier maître, Minoru Adachi, au Restaurant Bizen (du nom de la porcelaine cuite à la flamme) à Tokyo, spécialiste de la cuisine française, avait été formé en France auprès des maisons Vergé et Troisgros. « Tu veux aller en France ? » demande-t-il au jeune Takashi qui lui dit oui, sans trop réfléchir. C’est lui aussi qui fait déguster au jeune Takashi son premier vin. Un château-yquem 1979. Il s’en souvient plus de vingt-cinq ans après. « Au Japon, dans les grands restaurants de cuisine française, on commence au service, même si on a été formé comme cuisinier, pour voir les postes d’un restaurant. Le premier jour de service, le chef me demande mon année de naissance. Je dis 1979. Le chef me répond que la salle a ouvert ce millésime pour un client et qu’il en reste. Je n’y connaissais rien à l’époque, mais je me suis dit qu’il était pas mal alors j’ai fait des recherches. Tous les quinze jours, ce client revenait au restaurant. Il commandait toujours des grands crus qu’il nous faisait goûter. Principalement des bourgognes du domaine de la Romanée-Conti, mais aussi quelques bordeaux (Lafite, Latour). La seconde fois, c’était une bouteille de La Tâche. Je ne me souviens plus du millésime, mais encore du parfum dans le restaurant lorsque le sommelier a ouvert la bouteille et a servi le premier verre ».

« Tu veux aller en France ? »
Deux ans et demi plus tard, en 2002, Adachi lui repose la question. Même réponse. L’aîné conclut : « Le mois prochain, tu es en France ».  D’abord à Dijon au Pré aux Clers chez Jean-Pierre Billoux, au départ juste pour un stage… Il y reste sept ans, durant lesquels il apprend les bases. « La première chose que j’ai faite en arrivant, c’est d’aller voir le vignoble de La Tâche à Vosne-Romanée ». Puis, après un bref passage en Belgique par un château privé et un autre par les cuisines de L’Elysée, il accepte un poste de second auprès du regretté Robert Bardot, au Moulin à huile à Vaison-la-Romaine. « Son troisième maître ». Il restera avec lui jusqu’à la fin (en août 2014) et auprès duquel Takashi prépare le concours de MOF jusqu’en demi-finale. Il le repasse en 2022 et atteint la finale.

La grande cuisine française
Bref, trois maîtres garants de la  tradition de la grande cuisine française et un mot d’ordre : « le produit, le produit, le produit ». Auprès d’eux, Takashi a appris la modernité et le sens du sur mesure. Rares sont les chefs qui ont l’humilité nécessaire pour se mettre au service d’un vin. Une anecdote : lors d’un menu tout fromage pour la maison de Champagne Leclerc-Brillant, le chef Kinoshita a d’abord associé à chaque champagne des fromages bruts, avant d’en proposer des versions cuisinées dont est sorti un de ses plats signatures : le brillat-savarin crémeux surmonté de tataki de gamberro rosso et caviar osciètre. Le plat pourrait bien se retrouver parmi les amuse-bouche à la Cueillette. Pour le reste, une nouvelle page va s’écrire.
Gageons qu’elle sera inspirée de l’esprit cistercien du lieu afin que le chef retrouve rapidement son étoile. Des règles cisterciennes, que le docteur Jean Garnier, précurseur de la médecine anti-âge et propriétaire des lieux, a grandement adoucies et se résument en 5 « B » : bien-être, bien manger, bien boire, bien vivre et bourgogne.

À lire aussi