Patrimonio, les possibilités d’une île

Ce terroir était un monde de promesses. Porté par une génération ambitieuse, il commence à toutes les tenir, surtout pour ses blancs prodigieux


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Disons-le franchement, l’appellation contrôlée la plus connue de Corse nous a trop souvent globalement déçus dans les quinze dernières années. Certes, les producteurs vedettes se montraient à la hauteur de leur réputation, même en boudant systématiquement les dégustations comparatives – encore plus celles faites à l’aveugle. Sur l’île, les susceptibilités individuelles sont encore plus exacerbées que sur le continent. Trop de vins médiocres ou mal vinifiés s’opposaient aux progrès constants et spectaculaires des autres secteurs de l’île. Il faut dire que l’appellation est née fort ambiguë. Géographiquement, le somptueux amphithéâtre regardant la mer et nommé à juste titre la « Conque d’Or » est né de sédiments complexes sur un socle schisteux très anciens. Le calcaire ou le granit peuvent y recouvrir la roche-mère, tout comme l’inverse. On y a ajouté en 1968, lors de la parution du décret d’appellation, pour faire plaisir aux vignerons influents de l’après-guerre, les terres plus plates (et d’ailleurs remarquables) purement schisteuses qui vont en direction du désert des Agriates. Les vins ont naturellement des caractères différents selon la nature des sols. L’ensemble dépasse un peu 400 hectares avec un potentiel de 14 à 15 000 hectolitres en production. On a également inventé une fausse tradition d’encépagement pour les vins rouges et rosés (presque 80 % de la production), en tirant fierté de la couleur plus intense et de la vinosité du cépage nielluccio, qui s’oppose à la tradition sudiste du sciaccarello et à ses vins plus délicats et parfumés, mais moins intenses. Le climat et les sols du secteur s’adaptent mieux à la vigueur de ce cépage frère du sangiovese toscan, qui assure un rendement plus régulier au viticulteur. Le décret d’appellation le rend majoritaire par obligation, jusqu’à 75 % pour les rosés et plus encore pour les rouges. Cet encépagement était infiniment plus complexe au XIXe siècle. Si l’on a conservé et recommence à planter de nombreux cépages rouges ou blancs, impossible de les vendre autrement qu’en IGP ou en vin de France – un comble pour un vrai Corse – puisque les appellations d’origine continuent à les bouder. Le sciaccarello affine considérablement le nielluccio, spécialement sur les terroirs schisteux. On pourrait en dire de même des cinsaults pour les rosés. Les bons vignerons locaux commencent à faire fi de cette ségrégation et on les encourage volontiers à continuer. En blanc, en revanche, rien à dire, le vermentino semble toujours idéal, même si le bianco gentile, dans quelques micro secteurs, apporte un caractère différent, moins original mais très savoureux, si l’on sait le récolter à point et le vinifier sans altération.

Savoir attendre
Depuis trois ans, le niveau global des vins est en grand progrès et nous avons été impressionnés par notre dégustation de mai 2023. On doit certainement ce progrès à un changement de génération de producteurs et plus encore à une révolution agronomique liée au classement de tout le secteur comme « Grand site de France ». Une consécration évidemment bien méritée et qui a interdit automatiquement l’usage de tout désherbant de synthèse, et donc du glyphosate en viticulture. On retravaille les sols et on essaie de recréer un environnement vert et plus écologique, ce qui a immédiatement donné de meilleurs raisins. Quelques grands vignobles historiques ont révolutionné leurs pratiques et de nombreux jeunes viticulteurs, plus idéalistes, suivent le même courant, quand ils ne l’ont pas devancé. Voici en résumé notre sentiment global : les rouges préservent mieux les notes fruitées de leurs cépages et sont moins marqués par des notes animales, encore hélas trop appréciées par le consommateur local. Leur tannin est plus élégant et c’est mieux ainsi. Les rosés, bus trop tôt dans leur première année alors qu’ils seraient meilleurs l’année suivante, ont une vinosité remarquable qui les rend souvent plus mémorables que leurs cousins provençaux du Var. Mais pour nous, les blancs restent les grandes expressions du secteur, avec leurs notes magnifiques d’agrumes, leur fraîcheur, leur corps et leur capacité (hélas si rarement vérifiée) de vieillir dix ans ou plus en bouteille pour prendre de somptueux arômes terpéniques capables de rivaliser avec ceux des plus grands rieslings. Aux amateurs intelligents donc d’en tenir compte et de les attendre cinq ans ou plus. Espérons pour terminer que l’appellation ouvrira ses portes au riche patrimoine historique de cépages italiens ou méditerranéens qui faisaient la gloire des vins de l’île depuis l’Antiquité.

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