La mémoire de l’eau au domaine de la Ferrandière

En utilisant les caractéristiques d’un site unique modelé par l’homme au XVIIe siècle, l’entreprenant Jean-Claude Mas affirme une vision originale et ambitieuse de la conduite d’un vignoble. Et réalise des vins brillamment frais et souples


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Dans ce Sud malmené par le réchauffement climatique, l’eau s’est replacée au centre des enjeux. Le débat de l’irrigation par goutte à goutte a vite perdu de son acuité avec les limites administratives apportées à l’utilisation même de ces techniques. Si certaines variétés locales – carignan, grenache en particulier – sont peu gourmandes en eau, c’est oublier un peu vite que le Languedoc est aussi une terre bénie pour des cépages venus d’ailleurs, rhodaniens ou atlantiques, dès lors que ceux-ci peuvent s’appuyer sur une alimentation en eau minimale. Rares sont les vignerons qui abordent le défi frontalement. Jean-Claude Mas, serial vigneron qui en moins de quinze ans a construit à partir du domaine familial de Montagnac un géant viticole de plusieurs centaines d’hectares situés dans toute la région, a vite compris que pour avoir la main verte, l’apport d’eau à la vigne devait être parfaitement maîtrisé. Il en a développé une idée forte, à rebours d’un dogme souvent asséné. Non, la vigne ne doit pas souffrir pour produire du bon vin. Il explique avec conviction : « Je n’ai jamais mangé de bons fruits sur les arbres qui ont trop souffert. Soit la peau est trop épaisse, soit cela manque de maturité. La vigne doit être en pleine santé, en plein équilibre et pour arriver à mener à bien ses petits que sont les fruits. »
Parmi les nombreux domaines où Mas met en place ses convictions et ses méthodes, le domaine de la Ferrandière est certainement le plus original. L’endroit, situé au sud du Minervois, est étonnant. Au XVIIIe siècle, des agronomes vénitiens, spécialistes de la fertilisation des marais, viennent ici assécher le vaste étang de Marseillette et dressent au milieu de ces terres fertiles un écheveau de canaux alimentés par des sources. On y pratique depuis cette date des cultures vivrières, le riz en particulier, mais aussi la vigne.

Vignoble immergé
C’est en goûtant et en achetant les vins de cette propriété vouée aux cépages internationaux que Mas se convainc rapidement de l’acquérir. « Cette terre fertile est un terroir froid, avec de grosses amplitudes entre le jour et la nuit, dans une zone privilégiée, qui est entourée, drainée, où l’eau est essentielle et l’écosystème unique », explique-t-il. « À certains moments, on va inonder la vigne. On est dans un secteur gélif, mais on a cette grande chance en période de gel de printemps au mois d’avril de pouvoir inonder et éviter le gel. C’est ce qui rend cet endroit vraiment unique pour 17 cépages. » Jean-Claude Mas en est convaincu : « Citez-moi les grandes régions de France qui font des très bons vins et qui ne voient pas l’eau. Je n’en connais pas. L’eau est un élément essentiel de la vigne. Une vigne doit être un peu contrainte, on doit l’accompagner. On doit accompagner la nature dans la manière dont on la taille, dans la manière dont on cultive le sol. Dans les terres fertiles, j’arrive à faire de bons vins avec des rendements maîtrisés parce que la taille est essentielle dans la maîtrise des rendements. Ici, c’est pareil. La nature donne beaucoup. Il faut l’accompagner là où on veut la diriger, et alors on a des résultats surprenants. »
Effectivement, les vins produits ici, les blancs comme les rouges, souples, fruités et accessibles, possèdent un équilibre, une fraîcheur et une sapidité qui les caractérisent tous et leur donnent un cachet unique. C’est bien simple, on a toujours envie d’en boire un second verre ! Le marselan, croisement intéressant du grenache et du cabernet-sauvignon, trouve ici un naturel d’expression spécifique. L’association syrah et viognier séduit par sa gourmandise sans façon. En blanc, le viognier précisément possède cette fraîcheur si rarement démontrée dans les terroirs chauds de la région. Pinot gris et riesling s’amusent, dans un registre souple et gourmand, à démontrer une personnalité accessible tandis que le vermentino trouve ici un terroir à sa mesure. L’aventure de la Ferrandière est récente pour Jean-Claude Mas et on ne doute pas qu’elle évoluera encore dans la recherche de fraîcheur et de sapidité d’un producteur qui ne cesse d’innover, mais d’ores et déjà elle ouvre des perspectives excitantes aux vins de cépage.

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