Au château d’Arsac, l’art et le vin sont une même culture

Dans ce château du Médoc, l’art et le vin sont une même source de joie. C’est l’édifice d’une vie, celle du regretté Philippe Raoux

par Béatrice Brasseur


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Un château au toit de verre, un chai bleu et une quarantaine de sculptures contemporaines monumentales « enracinées » dans les vignes. Arsac, c’est l’histoire d’un vignoble singulier, pionnier à plus d’un titre grâce à son propriétaire, Philippe Raoux, décédé en octobre 2023. Issu d’une illustre famille de négociants pied-noir d’Algérie (les Sénéclauze), il décide à 33 ans, en 1986, de tracer sa propre voie en devenant vigneron et acquiert ce qui fut le plus important domaine du Médoc au début du XXe siècle, dont il ne restait presque rien. Il replante 108 hectares (qui produisent aujourd’hui 600 000 bouteilles dans les trois couleurs) dont la moitié est reclassée en appellation margaux au bout de vingt ans d’arguties juridiques et administratives – du jamais vu, l’autre demeurant en haut-médoc. Le classement de son margaux en cru bourgeois exceptionnel en 2020 est une consécration supplémentaire pour la propriété. Innovateur infatigable, Philippe Raoux demande aux winemakers les plus cotés de la planète de venir créer leur cuvée personnelle (et confidentielle) à Arsac. Il lance aussi à partir de quatre hectares de sauvignon la cuvée Céline, une décennie avant le retour en force des blancs de Bordeaux.

Une œuvre de Nikki de Saint Phalle dans le « jardin des sculptures ».

« Ne fais jamais ce que tu sais faire »
Sa formule provocatrice est celle d’un esprit curieux et entreprenant. L’art rattrape Philippe Raoux. Autant que le vin, c’est une source vive de questionnement et d’émerveillement. Dès l’été 1989, les chais d’Arsac accueillent des œuvres de Robert Indiana, Karel Appel, Vasarely, etc., confiées par la fondation Peter Stuyvesant. Philippe Raoux y voit le moyen de communiquer sur son château renaissant. L’expo s’intitule Aventure dans l’Art. Titre prémonitoire. Les cinq années suivantes, Raoux organise lui-même de nouvelles expos, Viallat, Buraglio, Pagès, Supports/Surfaces, entre autres, mais il se satisfait de moins en moins de voir repartir les œuvres prêtées. L’art a conquis son cœur et va recomposer l’ADN d’Arsac. À partir de 1994, les résultats des efforts faits à la vigne lui permettent de consacrer chaque année un franc par pied et rapidement 100 000 euros à l’acquisition de nouvelles œuvres. Son « jardin des sculptures » compte aujourd’hui une quarantaine d’œuvres (Niki de Saint Phalle, Bernar Venet, Jean-Michel Folon, Mark di Suvero, Jean-Pierre Raynaud, César, Arne Quinze, Jan Fabre, etc.) admirées par quinze mille visiteurs chaque année.

L’œuvre Skywatcher de Rotraut Klein-Moquay.

Les œuvres « parlent » du lieu
Skywatcher de Rotraut Klein-Moquay et L’homme qui mesurait les nuages de Jan Fabre évoquent l’inquiétude de l’humain face aux éléments. Le Pot rouge de Jean-Pierre Raynaud exprime le côté jardinier de la viticulture. L’Arbre du vent, immense sculpture mobile de Susumu Shingu, s’anime au souffle d’éole comme la canopée. Symbolique, La Diagonale de Bernar Venet, une poutre en acier de huit tonnes barrant la façade de la chartreuse du XVIIe, révolutionne l’image et le concept même du « château bordelais », invité à évoluer sans cesse. Dans le chai, une fresque d’après un dessin de Folon représente des oiseaux s’envolant hors d’un verre : une allégorie du raisin qui, transformé en vin, s’en va dans le monde régaler les amateurs. Philippe Raoux vivait en dialogue constant avec l’art. Son regard évoluait et jamais une œuvre ne l’avait déçu. La singularité d’Arsac lui a valu d‘être trois fois lauréat des trophées Best of Wine Tourism. Arsac est une aventure entrepreneuriale, viticole et artistique unique. Elle est aussi pérenne et accessible à tous.

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