La famille Cavallotto et sa colline

À Barolo depuis près d’un siècle, agrippés au sommet de Bricco Boschis, les Cavallotto font peu de bruit. Alfio, la quatrième génération innove sans céder aux modes


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Octobre 2023, période de vinification. Nous avons rendez-vous à la tenuta Bricco Boschis. Alfio Cavallotto revient d’un rendez-vous à Alba. Il cavale partout mais son calme frappe : il a la sérénité de celui qui a toujours été là. Sa famille est installée dans le village de Castiglione Falletto depuis 1928. Son arrière-grand-père Giacomo a acheté cette ferme entourée par quelques vignes de nebbiolo cinq ans avant la création de l’appellation barolo, quand le prestige était encore loin. Son fils Giuseppe a commencé à produire du vin sous le nom de la famille, avec des premières étiquettes en 1948. Les Cavallotto ont toujours innové. Ils n’ont pas attendu la création des cuvées Riserva pour en faire. Dès 1967, Olivio et Gildo, les deux fils de Giuseppe, sont les premiers à mettre le nom de leur lieu-dit, Bricco Boschis, sur l’étiquette de leur riserva, quarante-deux ans avant que l’administration ne valide les menzioni geografiche aggiuntive (mentions géographiques supplémentaires, ndlr). Alfio, francophone, relie les fils des générations : « Mon père, Olivio, a constaté dès le début des années 1970 que les pesticides devenaient de plus en plus puissants et que les insectes s’adaptaient vite. Il a voulu revenir à des méthodes culturales plus respectueuses de la nature et a commencé à enherber les vignes dès 1974. Il avait vu ça dans le Haut-Adige, avec les pommiers. C’était révolutionnaire, mais aucun agronome ne voulait le faire. Il a travaillé avec le professeur Lorenzo Cortino, le directeur de l’Institut de viticulture expérimentale à Asti. Et à partir de 1976, ils ont essayé une viticulture sans produits chimiques ».

Alfio Cavallotto.

Alfio travaille avec ses deux aînés, Laura et Giuseppe, œnologue comme lui, et poursuit ce travail d’innovation : « Nous essayons de réduire au minimum l’usage du cuivre et de le rendre plus efficace. On a même réussi à totalement s’en passer en 2013. Nous luttons beaucoup contre le mildiou avec les huiles essentielles. C’est complexe et cher, mais la sauge et le lierre sont efficaces. On utilise aussi des algues pour renforcer la vigne. On aimerait plus utiliser les drones, pour réduire l’usage des tracteurs, mais ça pose encore des problèmes réglementaires ».

Innover sans se renier
Les Cavallotto sont aussi conservateurs quand il le faut. Ils ont résisté à toutes les modes, en particulier celle de la barrique dans les années 1990, alors que le Piémont utilise traditionnellement le foudre en bois de Slovénie. C’est l’époque où leur père, réfractaire au goût vanillé, a passé la main à ses fils. « Le célèbre Bartolo Mascarello était très remonté contre cette mode. Moi, je ne la comprenais pas, mais je ne voulais pas non plus rentrer dans le conflit. » L’exploitation cultive vingt-cinq hectares avec des cépages comme la freisa, le dolcetto, la barbera, le langhe nebbiolo. Elle produit aussi un blanc de pinot noir et évidemment des barolos. La grande cuvée, Vigna San Giuseppe, du nom de la partie centrale de Bricco Boschis, n’est produite que dans les meilleurs millésimes. Si les quantités allouées au marché français sont faibles (les vins sont distribués en France par Bere Bene et le domaine participe tous les ans au Grand Tasting Paris, ndlr), les Cavallotto n’ont pas trop cédé aux sirènes de l’Amérique et sont bien distribués dans toute l’Europe. Leur clientèle apprécie le classicisme discret de leurs barolos intemporels. Celui qui innove sans crier et sans mouvement brusque, comme Alfio contemple calmement ses collines baignées de soleil couchant.

La colline de Bricco Boschis
Ce cirque que la cuverie des Cavallotto surplombe – a une histoire ancienne. Elle appartenait à la famille Falletti, marquis de Barolo du temps du royaume de Savoie. En 1807, Carlo Tancredi Falletti di Barolo épouse Juliette Colbert, une Française très pieuse. Son régisseur, Giacomo Boschis, qui a donné son nom au lieu, a hérité d’elle une partie des vignes et les a mises en valeur. La zone est à la frontière des deux grands socles géologiques de l’appellation, avec des sols plus argilo-calcaires à l’est, qui donnent des vins plus structurés, et un peu plus sableux à l’ouest, qui donnent des vins plus hédonistes.

Photos de l’auteur.

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