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Driving winemaker, c’est le surnom dont a hérité Telmo Rodriguez à force de parcourir en voiture les vignobles d’Espagne depuis trente ans et veiller sur les 355 parcelles et 43 cépages autochtones dont il s’occupe, répartis sur 80 hectares. Coup du sort, c’est pourtant à seulement quinze minutes de marche de chez lui qu’il a trouvé l’endroit idéal pour son grand vin de lieu, Yjar. Sa génération de winemakers est celle qui a voyagé et appris à comprendre sur le terrain ce qui faisait les meilleurs vins du monde, les dégustant avec les personnes souvent extraordinaires qui les élaboraient. Au début des années 1980, Telmo et son père sont persuadés que le vignoble espagnol de l’époque n’est pas encore prêt à accueillir le concept de grand vin. L’heure est plutôt à la production en grande quantité de vins bon marché. « Je n’étais ni au bon endroit, ni au bon moment », explique-t-il. « J’ai pris ma voiture et je suis allé visiter des vignobles en France, pour étudier les vins rouges de Bordeaux, du Rhône et de Bourgogne. » À son retour en Espagne, la Rioja s’est fait une place dans l’univers des grands vins fins. En se promenant dans le nord de la péninsule ibérique, il découvre alors de grands vignobles abandonnés. « Le potentiel de ces terroirs était sans doute meilleur que celui de certains en Rioja. J’ai acheté mon premier petit vignoble en 1994 et j’ai commencé à faire du vin. À l’époque, la mode était d’arracher les vieilles vignes pour planter du cabernet-sauvignon et du merlot. J’étais contre et je voulais produire des vins espagnols de qualité. » Telmo Rodriguez se rend compte de la complexité du vignoble ibérique et de son formidable potentiel, encore largement méconnu. Lui veut faire des grands vins avec les meilleurs raisins donnés par de vieilles vignes. Et s’occuper de petites propriétés à taille humaine, dix à quinze hectares, jamais plus de vingt. « J’ai continué à rouler et j’ai acheté en 1999 des vieilles vignes de garnacha plantées à mille mètres d’altitude dans la Sierra de Gredos. Ensuite, vingt autres hectares à Valdeorras que nous avons commencé à travailler en 2011. »
Villages de Rioja
La famille de Telmo, originaire du Pays basque francophile, avait acheté Remelluri, la plus ancienne propriété de la Rioja issue du monastère de Toloño, après être tombée amoureuse de l’endroit. « Mes parents ont été bien inspirés et ont commencé à y faire du vin. » À partir de 2010, Telmo commence à étudier et à comprendre les grandes caractéristiques de son terroir. « Des historiens sont venus faire des recherches. Les moines avaient quitté la propriété en 1420. Ce territoire important était dirigé par le duc de Hijar. À l’époque, c’était déjà le premier vin moderne d’Espagne et les 94 hectares de l’époque avaient été divisés en 220 parcelles. » Dans ce vaste ensemble, Telmo a distingué 3,8 hectares spectaculaires, situés au centre de la montagne Toloño dans un amphithéâtre naturel au sol de craie. Le joyau de Remelluri. « Yjar est plus qu’une cuvée ou un nom. C’est un vin espagnol avec un lieu, une histoire. Ce n’est même pas un vin de la Rioja, c’est plus ancien. Il a le goût pur qui exprime l’un des terroirs les plus étonnants de ce secteur. » C’est sans doute cette différence qui a séduit la place de Bordeaux et l’a poussée à distribuer ce grand vin parmi ses pairs internationaux, toujours plus nombreux. « La Place travaille avec des vins de classe mondiale. C’est difficile pour un cru espagnol de s’y faire une place avec une bouteille disponible à 300 euros. Il n’y a pas beaucoup d’histoires comme ça, à part Vega Sicilia ou Pingus. »