Le temps des bâtisseurs

Le château de la Chaize, merveilleuse propriété du Beaujolais, fait son retour parmi l’élite des meilleurs vins de la région. Avec Boris Gruy, c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre


Retrouvez cet article dans En Magnum #39. Vous pouvez l’acheter en kiosque, sur notre site ici, ou sur cafeyn.co.


Situé à Odenas, en plein cœur de l’appellation brouilly, le splendide château de la Chaize a changé de mains, après avoir été dans la même famille depuis près de 350 ans. Aux lointains descendants de Jean-François de la Chaize d’Aix, le frère du confesseur du Roi Soleil, qui a donné son nom au fameux cimetière parisien, ont succédé depuis 2017 les Gruy, qui l’ont racheté à la marquise de Roussy de Sales. Ces entrepreneurs lyonnais se sont fait une réputation avec leur groupe familial Maïa, spécialisé dans le BTP, la transition énergétique, les ouvrages d’art et la restauration du patrimoine. À la tête du domaine depuis l’an dernier, Boris Gruy entend bien mettre la propriété sur le devant de la scène beaujolaise. Le jeune homme a un profil atypique pour la région. Pas encore 40 ans (né en 1987), mais déjà une capacité à écouter et à transmettre qui impressionne. S’il avoue avoir toujours eu une sensibilité pour le monde végétal, la découverte des animaux est venue en travaillant. À 20 ans, il part une année dans les Pyrénées travailler dans une ferme, traire des vaches et faire du fromage, avec les horaires exigeants que l’on sait. Puis une autre ferme dans le Tarn-et-Garonne, en maraîchage et arboriculture, avec un peu de vigne et une production de raisin de table. S’ensuit ensuite un voyage initiatique de trois mois pour rallier Istanbul depuis la France, à pied, qui lui permet de réfléchir à ses projets et d’affermir ses convictions. Une expérience au domaine Baud, dans le Jura, et puis un dernier stage chez Pierre-Jean Villa, à Chavanay (dont la fameuse vigne de Fongeant, à l’époque, appartenait à Christophe Gruy, l’oncle de Boris).

Le splendide château de la Chaize à Odenas. Photo Serge Chapuis

Maintenir le lien avec l’histoire
Pour la partie formation, deux BTS (agronomie et viti-œno), puis un DNO à Dijon (diplôme attendu en juin de cette année). Boris s’est entouré des bons conseillers, notamment Pierre-Jean Villa pour la partie technique. Grâce à des moyens peu communs pour le monde viticole, il a mis en œuvre son ambitieux plan de transformation. Cinquante hectares supplémentaires ont été acquis dans les appellations morgon, fleurie et côte-de-brouilly. Les parcelles sont désormais cultivées par les équipes du domaine, première étape indispensable pour harmoniser les bonnes pratiques culturales. La labellisation bio a été initiée dès 2019 et un travail de replantation a été entamé, en tenant compte au mieux des dévers pour dessiner les rangs. L’enherbement a été repensé et systématisé, le travail du sol et la tonte sont désormais effectués par des robots. Comme l’explique Boris, la démarche dépasse le cadre de la vigne : « On a planté des haies, mais aussi des arbres fruitiers. On a installé vingt-cinq ruches sur la propriété. Notre potager d’un demi-hectare fournit les légumes et les herbes aromatiques pour notre table au château, mais nous en donnons aussi beaucoup aux Restos du Cœur. Et on a aussi préservé la roseraie au fond du jardin, avec de nombreuses variétés anciennes. Nicole de Roussy de Sales aimait beaucoup sa roseraie, cela nous permet de préserver un lien avec l’histoire du château ». La gamme a été refondue, des parcellaires et des lieux-dits ont vu le jour, notamment La Chaize, Combiliaty ou Vers les Pins, sans oublier le futur joyau de la famille, Clos de la Chaize, issu de parcelles classées aux Monuments historiques, 92 ares ceints d’un haut mur abrités à l’arrière du château, et dont l’identité ne manquera pas de s’affirmer dans les millésimes à venir. Les soixante-dix poteaux qui sillonnaient la propriété ont été retirés, et tous les câbles électriques enterrés. Dans sa configuration actuelle, le château a été bâti entre 1674 et 1676 et les bonnes fées de l’époque s’étaient penchées sur son berceau, de Jules Hardouin-Mansart pour les plans à André Le Nôtre pour les jardins. Hélas, le manque de moyens, mais aussi de ligne directrice sur le domaine viticole avait au fil des décennies gravement terni ce trésor du patrimoine. La façade jaune s’inspire des châteaux italiens du XVIIe siècle, elle est aujourd’hui lumineuse. Les salons exigeaient bien plus qu’un rafraîchissement et, avec 1 500 mètres carrés au sol sur trois niveaux, les projets ne manquent pas, notamment celui un peu fou consistant à rebâtir une aile entière, détruite à la Révolution. Comme aime à le répéter Christophe Gruy, en grand amoureux de l’histoire de France : « La Chaize est à la France, pas à nous ».

À lire aussi