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« Exprimer le terroir », c’est l’expression utilisée par Valentine Tardieu-Vitali, la directrice générale et l’œnologue du château La Verrerie, pour expliquer la démarche recherchée avec la cuvée Grand Deffand, le grand vin de cette propriété du Luberon, cheffe de file de son appellation. Acquis par la famille Descours en 1981, par ailleurs aujourd’hui propriétaire de plusieurs maisons champenoises (Piper-Heidsieck, Charles Heidsieck, Rare), d’un domaine parmi les plus réputés de Toscane (Biondi Santi) et présent dans l’artisanat d’excellence (J.M. Weston), ce domaine est devenu l’un des plus passionnants à suivre pour les observateurs de la vallée du Rhône, notamment pour sa réflexion menée sur l’identification des terroirs du secteur mais aussi pour la mise en place d’une viticulture de précision exigeante et pragmatique, biologique pour une partie de la gamme (Hautes Collines) ou biodynamique (Grand Deffand).
Avec des vins reconnus des consommateurs, le château La Verrerie s’est imposé dans le paysage des meilleurs domaines de France en moins d’un demi-siècle. Un exploit au regard de la situation du Luberon dans les années 1980 et qui s’explique par une volonté de créer un vin issu d’une vision de terroir, peu répandue à l’époque dans le secteur. « Le grand-père de Christopher Descours (le propriétaire du domaine et l’actuel président de la holding EPI, ndlr) avait des idéaux en matière de vins rhodaniens et un goût prononcé pour la syrah du nord de la vallée », précise Valentine Tardieu-Vitali. Plantée massivement au début des années 2000 dans la partie méridionale, principalement pour améliorer des assemblages parfois fébriles en structure, la syrah inspire bien très tôt la famille Descours dans sa quête du vin de lieu.
Un an après la reconnaissance de l’appellation luberon par l’Inao (1988), La Verrerie lance le premier millésime de sa cuvée Grand Deffand, « nommée ainsi en raison du lieu-dit sur lequel se trouve cette vigne de syrah », précise Valentine Tardieu-Vitali. « Un terroir atypique pour le cépage puisqu’il s’agit de la parcelle la plus en altitude du domaine, un coteau plein sud avec un sol très caillouteux et drainant. Ce n’est pas une vigne très généreuse, mais elle donne des raisins avec beaucoup de personnalité. » Vinifiée séparément pour cette raison, elle est complétée par des raisins de vieux grenaches plantés dans les années 1950 (15 % de l’assemblage). En plus de cette cuvée majoritairement dominée par la syrah, le domaine propose un autre rouge dans cette collection Grand Deffand, dominé cette fois par le grenache et complété d’un peu de syrah. Deux expressions différentes du même lieu qui traduisent le potentiel de ce vignoble morcelé, fait de petites parcelles et de micro-terroirs spécifiques. À partir de ces mêmes parcelles, la propriété élabore depuis 2015 une version rosée de son Grand Deffand. Un rosé de saignée « élaboré quand le millésime le permet » et dont l’ambition a été réaffirmée avec l’arrivée de Valentine Tardieu-Vitali en 2017 : « Plus de temps de contact des pellicules avec le jus a renforcé le caractère aromatique de ce rosé. Mais l’idée est d’avoir en tête le profil gustatif que l’on souhaite au moment de la saignée, qui ne représente pas plus de 2 à 3 % du volume total. La difficulté, c’est de ne pas aller trop loin pour éviter d’avoir de l’astringence. Il faut trouver un équilibre ». Depuis 2020, la collection Grand Deffand compte aussi un vin blanc, assemblage de grenache blanc et de roussanne né à l’initiative de Valentine Tardieu-Vitali qui croit dans les prédispositions des terroirs du Luberon, « capables de donner des vins blancs avec beaucoup de fraîcheur et d’équilibre ». Réussites égales, ces quatre vins (deux rouges, un rosé de saignée et un blanc) sont délibérément destinés à la gastronomie, réservés ainsi au circuit traditionnel, avec une petite partie à l’export, principalement en Suisse et en Allemagne, ou vendus sur place, à la boutique du domaine.
Si le Luberon semble parfois chercher son chemin entre vins de plaisir et vins de terroirs, Valentine Tardieu-Vitali constate que « ce n’est pas incompatible, même si La Verrerie s’est toujours appuyé sur une approche parcellaire pour proposer des grands vins ». Mais pour la directrice, cette logique ne doit pas prendre le dessus sur les émotions. « Il faut que le vin soit singulier. » On se fera une idée de cette exigence en découvrant notre compte-rendu de dégustation de ces quatre vins identitaires.
La dégustation
Grand Deffand rosé 2023, luberon
« Lorsque l’on fait un rosé de saignée, la difficulté est de ne pas avoir d’astringence tout en obtenant un vin avec de la mâche », explique Valentine Tardieu-Vitali.
Dans cet assemblage à parts égales de syrah et grenache, on retrouve ce qui fait le charme et l’identité de ce vin unique dans le paysage des rosés. Notes de fraise écrasée et d’épices douces, touches végétales très nobles (menthe fraîche), bouche fraîche avec du gras et de l’ampleur, finale saline, intense et de grande longueur. Élégant, déjà délicieux et splendide après deux ou trois ans de garde.
4 000 bouteilles, 26 euros.
94/100
Grand Deffand blanc 2023, luberon
Assemblage de grenache blanc (majoritaire) issu d’une parcelle située au milieu des bois, plantée au début des années 1990, et de roussanne plantée sur des sols calcaires, un terroir original pour le cépage. Premier nez délicat entre notes florales (fleur d’acacia, chèvrefeuille) et de fruits blancs charnus, grande fraîcheur et intensité des saveurs, bouche texturée, grasse et ronde avec beaucoup d’équilibre et de naturel. Droit
et vif en finale, avec une persistance contenue qui lui donne de l’élégance.
8 000 bouteilles, 34 euros.
93/100
Grand Deffand – Syrah 2023, luberon
« Le choix des dates de vendanges est primordial pour atteindre la maturité optimale des cépages rouges », rappelle Valentine Tardieu-Vitali.
Cet assemblage de syrah (majoritaire) complété par un peu de grenache est un vin complet, singulier par ses notes de garrigues, de laurier, d’olive écrasée et de fruits noirs mûrs sans excès. Les 40 % de vendanges entières aide à structurer la bouche sans alourdir la structure tannique, ce qui donne un vin à la bouche puissante mais équilibrée, profonde et soyeuse, nuancée et savoureuse. Finale longue et sapide.
5 000 bouteilles, 38 euros.
95/100
Grand Deffand – Grenache 2021, luberon
Les grenaches, majoritaires dans cet assemblage qui compte aussi un peu de syrah, sont issus d’une parcelle de deux hectares dans le secteur de Lauris, plantés sur le plateau
le plus chaud du domaine, mais dont les sols restent frais. « Millésime pour les experts de la vigne tant les conditions météorologiques ont été exigeantes », indique Valentine Tardieu-Vitali, ce 2021 affiche un profil charmeur, avec des notes de fruits rouges frais, de rose fanée et d’orange sanguine. De la fraîcheur et de la buvabilité.
3 600 bouteilles, 38 euros.
93/100