Gérard Bertrand, terroirs mode d’emploi

En deux décennies, le génial Gérard Bertrand s’est mué en un vigneron accompli et passionnant. Cette transformation impressionnante doit tout au travail qu’il a mené pour identifier et faire briller les plus grands terroirs languedociens. C’est une recherche inspirante pour l’ensemble du vignoble méditerranéen


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Le plus grand œuvre du Languedoc reste à édifier dans la tête des amateurs et des professionnels. Il consiste à connaître et à apprécier la diversité impressionnante de terroirs d’une immense région. Le Languedoc viticole représente environ deux cent mille hectares plantés, bien plus que Bordeaux, la vallée du Rhône ou l’Australie tout entière. Cette superficie rassemble des secteurs historiquement très productifs et d’autres beaucoup plus difficiles à mener, des terres arides et d’autres généreuses, du calcaire comme du schiste ou des granits et des sables, des expositions de montagne et d’autres littorales. Si l’écheveau d’appellations d’origine contrôlée et d’indications géographiques protégées est censé identifier cette variété, la jeunesse des appellations, leur hétérogénéité de production et la forte personnalité des leaders qualitatifs rendent pourtant la compréhension de cette grille difficile. Partant de son cru familial de Villemajou, au cœur de l’appellation corbières-boutenac, l’entreprenant Gérard Bertrand a d’abord construit un empire de marques et de vins d’assemblage. Dès le début des années 2000, il a acquis et développé une palette de crus en veillant systématiquement à mettre en valeur leur personnalité. Il possède aujourd’hui plus d’une quinzaine de domaines, tous cultivés en biodynamie et tous racontant à leur façon les spécificités de leur terroir. Nous en avons réuni ici six dont la situation géographique, l’altitude ou l’exposition, la géologie et l’encépagement démontrent à l’envi cette multiplicité de situations.

Château de la Soujeole
Installé dans la méconnue appellation malepère, La Soujeole est pourtant l’un des crus les plus excitants pour comprendre l’énorme potentiel encore à développer des crus languedociens. Il est situé à mi-chemin entre Carcassonne et Limoux, entre Massif central et Pyrénées, entre Atlantique et Méditerranée. Ce carrefour d’influences s’appuie sur des sols argilo-calcaires où les cépages de l’ouest, merlot, malbec et surtout cabernet franc, trouvent une expression à la fois intense et originale. Reprise il y a moins de dix ans, la propriété est encore un work in progress, mais la précision tannique et l’éclat aromatique de ses cabernets francs n’ont pas fini d’impressionner.

Domaine de l’Aigle
La propriété a une longue histoire qui raconte l’évolution des terroirs de Limoux vers les cépages bourguignons. Elle fut développée par Jean-Louis Denois, un talentueux Champenois installé dans la région, avant d’être reprise par la maison bourguignonne Antonin Rodet, qui modernisa l’outil de production, puis enfin relancée par Gérard Bertrand qui a respecté et affiné les fondamentaux du pinot noir et du chardonnay. Proposée à partir de ces deux cépages, la cuvée majeure, Aigle Royal, repose sur un spectaculaire coteau calcaire dominant la vallée avec une altitude respectable (500 à 600 mètres). L’exposition plein sud, mais aussi la fraîcheur venteuse et l’amplitude thermique entre jour et nuit offrent des conditions assez uniques dans la région pour ces deux cépages septentrionaux. De fait, la tension et la minéralité des deux vins se révèlent à chaque nouveau millésime avec une expressivité remarquable.

Château de Villemajou
C’est le berceau familial de Gérard Bertrand et un cru archétypique du massif des Corbières, aujourd’hui distingué par l’appellation boutenac. En contrefort des Pyrénées, dominant le littoral méditerranéen, les Corbières sont un territoire à part, enfermé depuis toujours dans un splendide isolement, où la rondeur des collines ne dissimule pas l’austérité des lieux. Les sols de blocs calcaires et de galets roulés ne conviennent qu’à la vigne, au carignan qui y fut planté en gobelet pour mieux résister aux vents incessants. Les emblématiques vieilles vignes de carignan sont aujourd’hui complétées par des cépages du sud, grenache, syrah et désormais mourvèdre. Ici, la puissance tannique est évidente et naturelle, mais tant pour la parcelle de vieux carignans de la cuvée La Forge que pour le vin portant le nom du château, tout le travail effectué, et en particulier la biodynamie, a affiné le grain de tannin et développé l’intensité aromatique.

Château l’Hospitalet
Ce domaine emblématique du massif littoral de La Clape, au sud de Narbonne, fut la plus spectaculaire acquisition de Gérard Bertrand au début des années 2000. Ce qui frappe dans ce cru historique, ce sont à la fois la géologie, composée exclusivement de calcaires durs et de marnes calcaires qui constituent un socle spécifique pour l’ensemble de l’appellation, et l’ensoleillement, quasi permanent, qui offre une luminosité spectaculaire au site. La conjonction de ces deux caractéristiques, ajoutée à la fraîcheur elle aussi permanente des vents littoraux, apporte aux vins de l’Hospitalet une salinité et une minéralité très identitaires. On les retrouve tant dans les blancs, composés de bourboulenc, à la tension très adaptée à cette quintessence minérale, de grenache blanc et de vermentino, que dans le rouge jouant sur la complémentarité des grenache, syrah et mourvèdre.

Clos d’Ora
Une très large partie de la bordure orientale et méridionale du Massif central est particulièrement adaptée à la production de grands vins. Les sols anciens du vieux massif, bouleversés par l’irruption des Alpes à l’est et des Pyrénées au sud, composent des géologies complexes et idéales dans les piémonts des Causses ou des montagnes cévenoles et ardéchoises. C’est le cas du terroir du Clos d’Ora (calcaire, grès et marnes), repéré dès les années 1990 par Gérard Bertrand, où les vieilles vignes de carignan et de syrah ont été complétées par des grenaches et du mourvèdre. Une magnifique exposition, dominant toute la région à 200 mètres d’altitude, des sols différents adaptés à chaque cépage (tout comme des modes de vinification distincts), donnent assurément au vin produit ici depuis 2011 la dimension d’un grand cru.

Clos du Temple
Terroir des collines du piémont du causse Noir, le domaine du Temple et ses sept parcelles qui composent les huit hectares donnant la cuvée Clos du Temple constituent eux aussi un univers singulier, dans un écosystème riche de garrigues et de forêts provoquant une étonnante harmonie climatique entre brises fraîches et ensoleillement éclatant. Le secteur ne manque pas de sources et cette alimentation hydrique naturelle avait déjà amené les vignerons du village voisin de Cabrières à produire des rosés réputés. Le schiste et le grès se partagent sols et sous-sols et un encépagement adapté à la production d’un rosé aussi ambitieux que complexe s’y est développé. Grenache, cinsault, mourvèdre et viognier se complètent et se répondent avec une amplitude et un éclat aromatique sans équivalent.

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