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Le vignoble bourguignon est fatigué. Ce constat n’est pas nouveau. En 2016, le regretté Louis-Fabrice Latour, lorsqu’il était président du bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB), tirait déjà la sonnette d’alarme en pointant du doigt un âge moyen des vignes proche de 50 ans et un taux de dépérissement important. Dix ans plus tard, Laurent Delaunay, son successeur, dirigeant de la maison de négoce Édouard Delaunay, ne peut que tirer les mêmes conclusions : « Entre 1982 et 2010, nous avons assisté à une progression importante de la production en volume, avec une relative régularité d’une année sur l’autre, exception faite de 2003, année de la première canicule. Depuis 2010, on constate une extrême variabilité des récoltes, dont les écarts ne cessent de se creuser. En moyenne, la production se maintient autour de 1,55 million d’hectolitres et ne progresse plus alors que la surface s’accroît de 1 % par an ».
Autrement dit, le vignoble bourguignon produit de moins en moins, le déficit de récolte conduisant à une flambée des prix. Une tendance lourde qui préoccupe la filière et qui peut s’expliquer par la conjonction de trois phénomènes : un matériel végétal inadapté, de mauvaises pratiques agricoles et le changement climatique. « Certains problèmes ne sont pas propres à la Bourgogne », souligne Frédéric Barnier, le directeur technique et winemaker de la maison Louis Jadot, également président de la commission technique et innovation du BIVB. « Nous devons d’abord faire face au court-noué, une maladie présente depuis cinquante ans transmise par des vers nématodes et qui provoque une dégénérescence des plants. La perte de récolte peut aller jusqu’à 40 %. » Le problème est d’autant plus aigu dans le Chablisien, en Côte-d’Or ou en Saône-et-Loire, où l’extrême morcellement du vignoble rend inutile l’arrachage des parcelles attaquées puisqu’une fois replantées, celles-ci sont à nouveau contaminées par les voisines. « On doit également faire face à la flavescence dorée qui provoque la jaunisse du feuillage et la perte de la totalité de la récolte. »
Un porte-greffe inadapté
La troisième plaie de la Bourgogne est le dépérissement lié à un porte-greffe massivement planté dans les années 1990. « Le 161-49 a longtemps été promu par les instances et les pépiniéristes en raison de ses qualités, à savoir sa capacité à limiter la vigueur de la vigne et à produire des vins fins », explique Frédéric Barnier. « On s’est aperçu il y a vingt-cinq ans qu’il ne poussait plus dans certains endroits. Son dépérissement est même très rapide : 20 % de perte l’année n, 80 % l’année n+1 et la totalité l’année n+2. La vigne est ainsi atteinte de thyllose, qui crée des bouchons dans la circulation de la sève et fait mourir les bois. » Le phénomène a surpris Justine Savoye, responsable du vignoble du domaine Chanson. « Ce porte-greffe est planté sur environ 70 % du vignoble. Des vignes de moins de 30 ans sont tellement atteintes qu’elles devraient être arrachées sans attendre. Le plus étonnant, c’est que cela ne se matérialise pas sur tous les sols. Au domaine Chanson, ce sont surtout sur nos terroirs les plus sableux que le problème est le plus aigu. » Les conséquences de ce dépérissement sont économiquement désastreuses.
« Des vignes de moins de 30 ans sont tellement atteintes qu’elles devraient être arrachées sans attendre. Le plus étonnant, c’est que cela ne se matérialise pas sur tous les sols » Justine Savoye, Domaine Chanson
En 2015, la perte de rendement était évaluée, au niveau national, à 4,6 hectolitres par hectare et par an (Source : Mission FAM-CNIV-BIPE 2015), mais Frédéric Barnier estime qu’en Bourgogne, elle est de l’ordre de 20 %. « La quantité de vin manquant chaque année pour que le prix des vins de Bourgogne retrouve un niveau normal », selon un fin connaisseur du marché. Pour l’heure, les raisons de ce phénomène ne sont pas clairement identifiées. Le réchauffement climatique ? La succession de sécheresses ? Un changement de pratique viticole ? Ou un plant tout simplement pas adapté à la Bourgogne ? Chacun y va de son explication, sans en être pour autant pleinement convaincu. « Ce dépérissement est pris en compte au niveau global dans le cadre du plan national Dépérissement de la vigne », tente de rassurer Laurent Delaunay. Chaque région viticole abonde à ce plan, la Bourgogne versant par exemple 100 000 euros par an. « Il n’existe pas de réel traitement », se désole Justine Savoye. « Nous avons testé l’ajout de potasse. Cela contribue à ralentir le dépérissement, mais cela n’inverse pas la tendance. »
Il semblerait que la seule solution efficace soit l’arrachage et la replantation des parcelles concernées. Mais le coût est énorme. « Le BIVB a estimé à 8 euros par plant le coût du remplacement des 161-49 par d’autres porte-greffes. » Soit 72 000 euros par hectare pour une vigne en appellation plantée à 9 000 pieds. « Et il faut garder en tête qu’il y a au moins quatre ans sans récolte après l’arrachage et qu’une pleine récolte n’arrivera qu’au bout de huit à dix ans », poursuit la technicienne. Un sacrifice financier que ne sont pas prêts à faire de nombreux vignerons. « Le modèle économique de la Bourgogne fonctionne si bien qu’il ne pousse pas au changement », constate ce même connaisseur. « Jusqu’au moment où cette belle mécanique se grippera, faute de raisins à récolter. » Laurent Delaunay regrette qu’on ne replante pas assez, « alors que les conditions de production et les éléments climatiques devraient nous obliger à accélérer ». Frédéric Barnier indique que « le rythme de replantation sur le bassin Bourgogne-Beaujolais-Savoie est d’à peine 1 % par an, alors qu’il devrait être d’au moins 2 % ». Mais pour planter quoi ? En 2021, un communiqué du BIVB signalait la sous-utilisation de la diversité des porte-greffes dans la région, seulement cinq d’entre eux (41B, SO4, 3309C, 161-49C, Fercal) couvrant 95 % du vignoble.
Favoriser la diversité
Certains ont pris conscience du fait qu’il fallait désormais chercher de nouvelles solutions. Thibault Liger-Belair, vigneron à Nuits-Saint-Georges, vient par exemple de planter à titre expérimental le 34 EM, un porte-greffe moins vigoureux et résistant à la sécheresse. « Avec le BIVB, nous avons initié le projet GreffBourgogne pour lequel nous testons une dizaine de porte-greffes sur des plateformes expérimentales », détaille Frédéric Barnier. « Jadot a d’ailleurs mis à disposition du projet une parcelle de 1,5 hectare située à Comblanchien sur laquelle nous réalisons des observations sur six porte-greffes. »
Idem chez Chanson où Justine Savoye a également intégré le programme GreffBourgogne. Elle multiplie sur ses nouvelles plantations les porte-greffes comme le 333 EM, le 1103 Paulsen, le 140 Ruggeri et le 110 Richter. « Heureusement que notre actionnaire, le groupe Bollinger, nous soutient. Cela nous permet d’investir et d’expérimenter. » Quant au BIVB, il a fait du sujet son cheval de bataille et sa priorité en consacrant 17 % de son budget à la partie technique et recherche et développement, soit environ trois millions d’euros par an. « Nous avons également lancé des expérimentations avec deux nouveaux porte-greffes, une première depuis longtemps », rappelle Laurent Delaunay.
La Bourgogne est également partenaire, avec la Champagne, le Beaujolais et le Jura, du projet Qanopée, une serre installée à Oger destinée à faire de la prémultiplication de plants dans un milieu « insect-proof » et bioclimatique afin de fournir un matériel végétal sain aux pépiniéristes. « Nous allons gagner 25 % de sécurité supplémentaire avec ces plants », assure Laurent Delaunay, qui prévient toutefois qu’ils coûteront un peu plus cher, de l’ordre de 2,5 euros l’unité. « Lorsque l’on plante de la vigne, c’est pour quatre-vingts ans. Mettre un euro de plus par plant ne devrait pas être un problème. » D’autres initiatives ont vu le jour comme celle portée conjointement par le Gest Bourgogne (groupement d’étude et de suivi des terroirs), actuellement présidé par Thibault Liger-Belair, et la Sicavac (service interprofessionnel de conseil agronomique, de vinification et d’analyses du Centre). « Nous avons établi un cahier des charges avec nos pépiniéristes partenaires pour qu’ils nous fournissent des plants développés selon nos demandes », explique le vigneron de Nuits-Saint-Georges.
« Lorsque l’on plante de la vigne, c’est pour quatre-vingts ans. Mettre un euro de plus par plant ne devrait pas être un problème » Laurent Delaunay, président du BIVB
Les pépinières Guillaume en font partie. « Nous avons dû adapter notre mode de production, par exemple en palissant nos plants et en supprimant l’usage d’herbicides », précise Vincent Delbos, le directeur technique de Guillaume. « Et depuis l’an dernier, nos plants sont traités à l’eau chaude, ce qui permet d’éradiquer les micro-organismes bactériens à l’origine de la flavescence et du bois noir. » Là encore, des spécificités qui renchérissent les coûts à environ 2,5 euros la pièce. Une paille, au final, au regard des gains que peut procurer une vigne saine et productive.