Boutenac, cœur battant des Corbières

Terroir remarquablement homogène au centre du massif des Corbières, dans le Languedoc, Boutenac fête le vingtième anniversaire de son accession au rang de cru. Avec la satisfaction du travail accompli et d’une identité singulière et savoureuse


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Boutenac est une île. Une île de terre, de vignes et de roches, non pas entourée d’eau, mais de l’océan de vignobles et de collines qui composent le panorama des Corbières, ce vaste espace autarcique traversé de-ci de-là par des forteresses hiératiques, plantées comme autant de vaisseaux fantômes rappelant que malgré la douceur ensoleillée du paysage, les malheurs et les tempêtes furent nombreuses. Le cœur de Boutenac, qui obtint il y a vingt ans le statut (unique à ce jour) de cru des Corbières et tout récemment celui d’appellation à part entière, c’est un petit massif planté de chênes verts et de pins, baptisé Pinada. Les vignes s’y déploient au pied et sur la première partie du coteau, tout autour du massif, au nord comme au sud, à l’ouest autant qu’à l’est. Un petit territoire d’à peine 220 hectares en production, mais installé tout de même sur dix communes et réunissant vingt-neuf producteurs. Le carignan domine bien sûr les plantations en rouge, mais il n’est plus seul : syrah, grenache et, dans une moindre mesure, mourvèdre le complètent aujourd’hui. Dans un Languedoc viticole si disparate en sols, expositions et cépages, cette homogénéité est un véritable atout, autant pour l’amateur qui découvrira des vins affichant chacun leur personnalité dans un cadre stylistique coordonné que pour les professionnels qui peuvent trouver ici un caractère singulier et une forte cohérence de qualité et de tarifs.
L’histoire des Corbières a été riche et longue, depuis les premières villas gallo-romaines attribuées aux légionnaires valeureux qui s’installèrent ici jusqu’à la révolte cathare, mais celle plus contemporaine du cru Boutenac éclaire surtout l’incroyable effort des femmes et hommes de la région pour faire revivre une activité viticole qui criait littéralement famine au milieu des années 1970, lorsque les révoltes de viticulteurs atteignirent un point de non-retour dramatique. En un demi-siècle, on a repensé la finalité du travail de la vigne et du vin sans jamais oublier ces racines, à commencer par celles du mythique carignan, cépage emblématique des Corbières dont les énormes pieds centenaires, cultivés en gobelet, impriment toujours la beauté tourmentée des coteaux. Ici en particulier, à Boutenac, les vieux carignans définissent la colonne vertébrale et même l’âme des vins que l’on produit. Il a fallu maîtriser leur vinification, en affinant l’expressivité aromatique, en domptant des tannins vite agressifs. Cela fut fait dès le début des années 1990 grâce à une dynastie d’œnologues, les Dubernet père et fils, qui mirent au point des vinifications carboniques ou semi-carboniques très adaptées, puis mis en lumière par des pionniers comme l’attachant Patrick Reverdy, toujours bon pied bon œil à la tête, avec son fils, du château La Voulte-Gasparets et son éternelle cuvée Romain Pauc. Le tournant du siècle marqua le retour d’une ambition maîtrisée et fidèle à l’ADN du cru, enfin reconnu en 2005. De fortes personnalités rendirent possible cette reconquête. Gérard Bertrand bien sûr, au château de Villemajou, où il fit avec son père Georges ses premières vendanges encore enfant. La famille Fabre, mémoire vivante de son domaine, Fabre-Gasparets, mais aussi de toute l’histoire viticole de la région. Pierre Bories enfin, qui réussit en 2005 à réunir deux propriétés voisines demeurées longtemps farouchement antagonistes, Les Ollieux et Ollieux Romanis, gardant ce dernier nom comme emblème.
La dernière période de cette histoire toujours en construction concerne les quinze dernières années. Elle est celle de l’affirmation. Boutenac sait aujourd’hui ce qu’il veut et ce qu’il produit, des vins de personnalité plus que de caractère, des rouges charnus et savoureux et non plus puissants et austères, mais aussi des rosés expressifs et de très bons blancs. On regrette que le législateur n’ait pas encore jugé bon d’inclure ces derniers dans le périmètre de l’AOC boutenac et les maintiennent en appellation corbières. Là aussi, d’autres femmes et hommes ont apporté leur pierre à un édifice de plus en plus complet. Caraguilhes, magnifique et vaste domaine repris par Pierre Gabison, un homme d’affaires français installé à Hong Kong, trouve désormais sous la conduite d’un directeur ultra compétent, Étienne Besancenot, un niveau à la hauteur de son potentiel. Le prolixe Jean-Pierre Serres a fait de Sainte-Lucie d’Aussou, acquis il y a plus de trente ans, une adresse précieuse. Le talentueux Jean-Claude Mas, véritable explorateur des terroirs languedociens, n’a pas oublié de faire ici une halte bienvenue avec son château Jérémie. On ne les citera pas tous, mais tous pourtant mériteraient de l’être car ce vignoble à taille humaine s’illustre d’abord par ses vignerons et la dégustation présentée ci-dessous montre une homogénéité qualitative retrouvée. L’appellation boutenac a vingt ans, l’équivalent d’un clin d’œil pour ce vignoble millénaire, mais ces deux décennies de construction et de réalisations méritent de réjouir le cœur et le palais de tout amateur de vin.

La dégustation

Château Belle Isle
Depuis 2021, Jean-Luc Ruelle et sa famille s’occupent de ce vignoble qui s’étend sur 75 hectares, dont 48 actuellement exploités (36 hectares en corbières et en boutenac). Les vignes reposent sur des terrasses de galets et de graviers argilo-calcaires.
Corbières-boutenac 2022
Un fruit rouge frais et net, porté par une bouche ronde et franche. L’ensemble est agréable et donnera du plaisir.
88/100 – 18 euros

Domaine La Bouysse
Ce domaine familial en bio valorise les terroirs de grès de Fontfroide et d’argilo-calcaires de Boutenac. Ses vins conjuguent richesse, élégance de structure.
Mazérac 2023
Matière puissante et fraîche, portée par une belle tonicité. Le tannin, extrait avec vigueur,
va continuer à s’affiner en bouteille.
88/100 – 18,60 euros

Château Caraguilhes
Sur le terroir de Boutenac, ce domaine couvre 600 hectares. Son vignoble de près de 110 hectares d’un seul tenant, entouré de garrigues, n’a jamais reçu le moindre traitement chimique depuis les années 1990. L’ensemble est en bio et la partie en appellation boutenac, conduite en biodynamie. Les vins sont aromatiques, complexes et frais, de très bon niveau.
Le Trou de l’Ermite 2023
Un vin délicat, marqué par un fruit noir pur et des épices fines. L’élevage discret laisse place à une belle rondeur tannique, portée par une fraîcheur juste et un bel équilibre.
92/100 – 15 euros
Solus 2023
Un vin complet et harmonieux, au fruit noir précis et à la minéralité de pierre sèche. Les tannins fins et l’élégance de la trame soutiennent une allonge dynamique, marquée en finale par une note de végétal mûr.
93/100 – 24 euros

Les Celliers d’Orfée
Cette cave coopérative regroupe a production des villages de Fontfroide et Lagrasse, au cœur du pays cathare, et propose une belle expression des cépages traditionnels, carignan, grenache, syrah et mourvèdre, issus de terroirs de garrigues calcaires et terrasses caillouteuses. Elle réalise des cuvées de caractère.
B de Boutenac 2021
Un fruit frais et vivace, porté par un boisé un peu appuyé qui s’intègre à un ensemble démonstratif, mais bien maîtrisé.
87/100 – 18,60 euros

Domaine Esperou
Cette petite exploitation de huit hectares située au cœur du terroir de Boutenac, familiale depuis cinq générations, a été reprise depuis peu par les jeunes Cécile et Eddy Bonnafous. Le vignoble compte de vieux carignans qui s’expriment particulièrement sur le terroir argilo-calcaire, pour donner des vins authentiques.
Cuvée Étienne 2022
Un vin tonique, au fruit nerveux et plein de caractère. Les tannins sont plus solides que fin, mais l’ensemble affirme une vraie personnalité.
88/100 – 14,60 euros

Château Fabre-Gasparets
La famille Fabre dirige plusieurs propriétés et ce domaine est son joyau en cru Boutenac. Créé en 1982, et aujourd’hui dirigé par Clémence Fabre, il a bien progressé et propose des vins d’une qualité régulière et homogène.
Corbières-boutenac 2020
Un rouge frais et gourmand, porté par un fruit éclatant et une bouche souple. Les tannins sont fins, la trame vive est prolosngée par une jolie allonge.
90/100 -19,20 euros
La Serre 2020
Concentré et riche, ce vin évoque la confiture de mûre. Sa matière dense et mûre s’étire
en bouche avec une allonge généreuse.
91/100 – 35 euros
Côte Blanche 2020
Issu de sols calcaires et gréseux, ce vin séduit par sa fraîcheur et sa vivacité. La palette de fruits rouges s’exprime avec finesse, portée par une allonge délicate, marquée en finale par
de subtiles notes épicées.
91/100 – 33 euros

Domaine de Fontsainte
Depuis longtemps une référence, Yves puis Bruno Laboucarié ont constitué un vignoble bien tenu, très typique des bons crus du secteur. Le carignan domine l’encépagement (50 %), bien complété par le trio grenache, syrah, mourvèdre. Les vins, très bien vinifiés, affichent une grande originalité quant à la palette aromatique, avec des textures franches et vigoureuses. La cuvée Clos du Centurion témoigne d’un travail attentif à la vigne (parfaite maturité du fruit et des tannins) et au chai, avec des élevages
très maîtrisés.
Clos du Centurion 2022
Entre notes de mûre et fraise, ce vin séduit par son profil gourmand et sa rondeur. Savoureux, un rien entêtant, il reste plaisant et généreux.
91/100 – 17,60 euros
Clos du Centurion 2021
Un nez fruité et délicat (fraise et framboise) porté par une belle finesse. Les tannins serrés apportent une touche tonique à cet ensemble élégant.
92/100 – 17,60 euros

Château Hauterive Le Haut
Depuis quatre siècles, la famille Reulet perpétue une tradition vigneronne exigeante. Fabienne, Jean-Marc et Loïc cultivent leurs vignes selon une viticulture raisonnée depuis 1999. Le domaine s’étend sur 90 hectares de vignes, complétés par des oliviers, des céréales, des bois et des garrigues. Des couverts végétaux hivernaux sont semés entre les rangs pour améliorer la structure des sols et favoriser la biodiversité. Les vins expriment avec fraîcheur et élégance toute la typicité du terroir.
Faïti 2022
Tendre et frais, ce vin séduit par son charme gourmand et ses arômes de fraise fraîche. Savoureux et accessible, c’est un parfait vin
de bistrot.
90/100 – 13 euros

Château Jérémie (Domaines Paul Mas)
Fils de vigneron, pur languedocien et entrepreneur hors norme, Jean-Claude Mas a bâti un patrimoine de plus de 800 hectares de vignes et créé des marques dont la plus fameuse demeure le savoureux Arrogant Frog. Le vignoble de Jérémie s’étend sur 68 hectares au pied de l’Alaric, en appellations languedoc, corbières et boutenac. Son terroir complexe (argilo-calcaires, galets et grès) accueille des vignes plantées à des densités élevées.
Y 2022
Un vin droit et souple, bien exécuté dans son registre, fait aujourd’hui pour donner du plaisir par son registre frais et savoureux.
90/100 – 17 euros

Château La Voulte-Gasparets
Patrick Reverdy et son fils Laurent sont très attachés à leurs vieilles vignes de carignan dont le terroir de Boutenac s’est fait une spécialité. Ils cisèlent ici des vins de grand caractère qui sont devenus des références et mettent en lumière l’expression la plus aboutie de ce cépage. La cuvée Romain Pauc, baptisée ainsi en hommage à l’arrière-arrière-grand-père de Laurent, fait la fierté et la renommée du domaine. Elle marie des carignans et des grenaches quadragénaires à des syrahs et des mourvèdres plus jeunes. Savoureux, originaux, aromatiques, frais et pleins de caractère, tous les vins de la gamme sont très recommandables.
Cuvée Romain Pauc 2022
Des notes épicées avec quelques arômes de réduction ouvrent sur une matière charnue aux tannins fondus. L’allonge généreuse prolonge un style classique, restitué avec justesse.
92/100 – 24 euros

Château Maylandie
Delphine Maymil et son compagnon Éric Virion prennent soin de ce joli domaine d’une vingtaine d’hectares. Les vins sont de qualité régulière, toujours précis, très fruités, frais
et d’une grande élégance.
Villa Ferrae 2022
Dense et charnu, marqué par un boisé présent aux accents de chocolat. La bouche, structurée, s’étire en longueur avec puissance et rondeur.
88/100 – 16 euros
Villa Ferrae 2021
Une belle longueur fraîche, portée par des fruits rouges et noirs. Les tannins, un peu rustiques, sont compensés par un bon équilibre d’ensemble.
89/100 – 17 euros

Château Ollieux-Romanis
Pierre Bories a hissé son domaine familial, vaste ensemble de 150 hectares situés à une dizaine de kilomètres de Narbonne, au sommet de l’appellation corbières et le gère depuis 2001 d’une main de maître, affichant la même détermination et la même exigence dans les vignes qu’au chai. Il réalise des vins de grande élégance et toute la gamme est au diapason.
Atal Sia 2023
Vin ample et gras, aux arômes de fraise et de mûre. La bouche, ronde et généreuse, s’appuie sur des tanins enrobés. L’ensemble est gourmand.
92/100 – 27 euros
Racine 2022
Le fruit s’exprime avec éclat sur des notes de mûre et de ronce. La bouche, à la fois svelte et ronde, offre fraîcheur et tonicité.
92/100 – 13 euros
Souffle de lune 2022
Un élevage maîtrisé met en valeur une matière charnue et élégante. Les tannins fins soutiennent une bouche complète, aux notes mûres de fruits rouges et noirs. L’ensemble brille par son équilibre et sa longueur.
93/100 – 17 euros
Château Saint Estève
Belle propriété qualitativement très régulière, avec une gamme pour tous les budgets, montrant des vins puissants et de caractère.
Ganymède 2019
Un vin charnu et solide, au caractère chaleureux. Idéal pour les viandes en sauce, il séduit
par sa générosité.
88/100 – 32,80 euros

Château Sainte Lucie d’Aussou
Jean-Paul Serres, ancien avocat toulousain a acheté en 1992 ce domaine de 52 hectares en corbières dont les origines remontent au milieu du XIXe siècle. Il y produit des rouges sincères, d’une belle élégance aromatique et de structure qui méritent le détour d’autant
que leurs prix sont tout à fait raisonnables. La régularité est remarquable depuis
de nombreux millésimes.
Canta Per Ieu 2020
Un vin harmonieux et onctueux, aux notes de mûre. La bouche, gourmande et suave, offre un plaisir immédiat et généreux.
92/100 -29 euros
Cos e Arma 2020
Suave et souple, il séduit par sa tendresse fruitée et son allonge crémeuse. Moins profond que la cuvée précédente, mais avec la même accessibilité.
90/100 -16,20 euros
Bella Dama 2019
Une légère réduction au nez, vite dépassée par une bouche veloutée et harmonieuse. Les tannins sont onctueux et l’ensemble très soyeux.
92/100 – 18,90 euros

Terre d’Expression
Plus de 190 vignerons sont regroupés au sein de cette cave presque centenaire. Ensemble, ils cultivent près de 1 500 hectares de vignes répartis sur 33 communes, au cœur du Languedoc. Quelques parcelles bien situées sont cultivées en Boutenac.
L’improbable 2022
Un vin épicé, à la structure charpentée. Une touche végétale s’invite sans nuire à l’équilibre d’ensemble. L’ensemble est agréable et bien construit.
89/100 – 32 euros

Château de Villemajou (Domaines Gérard Bertrand)
S’il a fait de son nom l’une des marques les plus dynamiques du vignoble français, Gérard Bertrand est d’abord un vigneron méticuleux et exigeant, en recherche d’excellence pour ses dix-sept domaines. Cette quête trouve son aboutissement avec Villemajou et son terroir qui mêle galets roulés, argile et grès. Le vignoble s’appuie sur des vignes centenaires de carignan pour signer des vins puissants, mais jamais dénués de fraîcheur et de finesse, avec aujourd’hui un chai magnifique.
Grand vin 2022
Charnu et onctueux, doté de sève et de profondeur. La bouche, intense et longue, déploie une belle intensité dans un registre dense et expressif.
92/100 – 33,50 euros
La Forge 2023
Marquée par un terroir ferrugineux et de très vieilles vignes de carignan, c’est peut-être l’expression la plus parfaite qui nous ait été donnée à déguster dans cette région. Le vin est noble, épicé et profond, doté d’une magnifique finesse tannique, d’une puissance tout
en tension, sans la moindre mollesse ou lourdeur, exprimant une force quasi-tellurique. Une merveille de personnalité, de vigueur et de profondeur.
97/100 – 72 euros

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