Le champagne en couleur

Parmi les nombreux savoir-faire du vignoble champenois, le rosé a longtemps conservé une part de mystère que notre dégustateur se propose de révéler. Entre méthodes d’élaboration variées et diversité des styles, c’est tout un univers qui reste à explorer

Si le champagne a bâti son prestige et sa réputation sur l’art de l’assemblage, le paroxysme de cet exercice tient sans doute dans la réalisation d’un grand rosé. Il s’en vendait à peine 800 000 bouteilles en 1989. Aujourd’hui, la catégorie représente 10 à 12 % des quelques 300 millions de cols qui sortent des caves. Et elle est plutôt bien valorisée et donc choyée par tous les acteurs de la Champagne, puisqu’à niveau égal dans leur gamme, le rosé est toujours mieux positionné que le blanc. Il existe classiquement deux techniques pour l’élaborer. La plus commune consiste à ajouter une petite proportion de vin rouge à un assemblage de vins blancs, pratique interdite pour les vins rosés tranquilles et même les crémants rosés, mais parfaitement légale en Champagne. L’autre, plus rare, notamment chez les grandes maisons, car plus aléatoire pour obtenir l’intensité colorante souhaitée, consiste à pratiquer une saignée sur une cuve de moûts rouges en cours de macération. La maison Laurent-Perrier a fait de ces rosés de saignée l’une de ses grandes spécificités. Tout comme Nicolas Feuillatte qui la pratique pour sa cuvée de prestige Palmes d’Or Rosé Intense. Guillaume Roffiaen, le chef de cave de la maison, précise : « Rosé Intense s’appuie une macération de vins issus pour moitié du secteur de Bouzy, qui apporte un côté poivré et du secteur des Riceys, qui donne des notes de fraise écrasée ». Une troisième voie existe, empruntée par certains producteurs à l’image de la maison Louis Roederer pour sa cuvée Cristal rosé, qui consiste à cofermenter des raisins blancs et des raisins rouges. « La méthode a été mise au point par Jean-Claude Rouzaud dès les années 1970, pour la première édition de Cristal rosé », explique Jean-Baptiste Lécaillon, le chef de cave de Roederer. « Nous avons été plus loin en introduisant une macération préfermentaire à zéro degré qui permet de renforcer le caractère fruité, mais aussi, de mon point de vue, de mieux fixer la couleur et de marier les arômes. »

Multiples visages
Nombre de paramètres expliquent la palette chromatique des champagnes rosés, des teintes fuchsia jusqu’aux robes d’un rose fané en passant par les reflets cuivrés orangés qui apparaissent en même temps que se complexifient parfums, saveurs et textures. Le premier est le choix des cépages. Pour la majorité d’entre eux, les grands champagnes rosés sont exclusivement élaborés à partir de chardonnay et de pinot noir, dans des proportions parfois diamétralement opposées. Par exemple, la cuvée Dom Ruinart Rosé est composée à 85 % chardonnay tandis que chez Philipponnat, Clos des Goisses Juste Rosé s’appuie sur 85 % de pinot noir. Le premier affiche la texture d’un blanc quand le second affirme une vinosité prononcée. Les raisins de ces cuvées d’exception sont souvent issus des mêmes secteurs, soit principalement la montagne de Reims et la haute vallée de la Marne, avec quelques vignobles de l’Aube. Le réchauffement climatique permet aux crus situés sur la face nord de la montagne de Reims, comme Mailly, Verzy ou Verzenay, d’être de plus en plus recherchés. Les crus réputés pour leur production de vin rouge, comme Bouzy ou Aÿ, situés sur la face sud de la Montagne, sont pour leur part toujours des piliers dans l’élaboration des champagnes rosés, même si le réchauffement climatique permet désormais de récolter des raisins de pinot noir bien mûrs dans de nombreux secteurs. Si les maisons ayant recours à un vin rouge pour créer leur rosé s’approvisionnent historiquement auprès des vignerons locaux ou des coopératives, elles veillent aussi de plus en plus à le produire en interne, telle Veuve Clicquot qui a inauguré cette année sa nouvelle cuverie dédiée aux vins rouges sur son site de la Comète. Tant pour les vinifications que la conservation des vins de réserve, inox et bois restent classiquement les matières privilégiées pour élaborer des champagnes rosés. Certains chefs de cave expérimentent cependant des techniques dites de solera ou de réserve perpétuelle, l’expérience la plus aboutie étant celle de Palmer & Co, qui intègre à son Rosé Solera un vin rouge issu d’une cuve de réserve perpétuelle initiée il y a cinquante ans. Fruités et frais, expressions plus confiturées, notes épicées pour les uns, florales chez les autres, touches de gibier, de cuir ou de sous-bois, la diversité des profils aromatiques et gustatifs des champagnes rosés permet d’envisager des usages gastronomiques très diversifiés. Au cocktail ou sur l’ensemble d’un repas, desserts (aux fruits) inclus, le champagne rosé ne manque pas de ressources.

La sélection

Alfred Gratien,
Cuvée Paradis  – Rosé 2008
Une cuvée confidentielle par les volumes tirés, mais pas si rare puisque depuis 1988 et le premier millésime de la cuvée Paradis en version rosée, les chefs de cave de la maison, Nicolas Jaeger et avant lui son père Jean-Pierre, ont sélectionné onze millésimes. Dernier en date, ce 2008 à la robe cuivrée saumonée attire l’œil. On aime ses parfums délicats de gelée de framboise et de rose fanée. L’acidité et la verticalité du millésime 2008 se retrouve en bouche, avec une élégance caressante, avant une finale flamboyante et large.
120 euros

Vincent Couche,
Millésime rosé 2009
C’est un vin rosé porté par ses bulles plus qu’un champagne rosé à proprement parler, conformément au choix du vigneron. Les parfums sont très mûrs (figue, gelée de framboise) et les raisins de l’Aube apportent une assise tannique un peu déroutante. Sa puissance interpelle au niveau de ses usages et des accords, mais ce champagne dense appelle des viandes et même des gibiers.
83 euros

Billecart-Salmon,
Élisabeth Salmon 2013
L’une des maisons les plus reconnues pour la qualité de ses rosés se doit de proposer une cuvée de prestige de haut vol dans la catégorie. C’est le cas avec ce millésime 2013 où l’entame de bouche en puissance offre une sensation compacte qui va se délier avec un peu plus de temps en bouteille, les parfums de cuir et d’épices se mêlent aux petits fruits des bois et aux fleurs, avant une finale épurée qui file droit.
190 euros

Charles Heidsieck,
Rosé Millésimé 2018
Le nez puissant est bien en place, avec des notes de fraise légèrement confiturée, associée à des notes épicées (coco, vanille). Particulièrement agréable, moins épicé que d’autres millésimes et plus fruité, on retrouve dans ce 2018 le style soyeux de la cuvée conféré par la patine en cave, dans les crayères de la maison. On peut envisager un dessert aux fruits peu sucré.
163 euros

Bollinger,
La Grande Année – Rosé 2015
Le millésime était attendu pour cette maison spécialiste du pinot noir. En 2015, la vigne de la Côte aux Enfants, sur le terroir d’Aÿ, a permis l’élaboration d’un vin de belle matière, structuré et dense, qui sculpte les belles épaules de cette cuvée. La vinification en petits fûts apporte une patine et une micro-oxygénation à la base de blanc et lui procure une belle assise en bouche. Un vin de volailles rôties qui supportera des sauces aux saveurs de sous-bois.
290 euros

Dom Pérignon,
Rosé Vintage 2009
Un millésime qui fera date dans l’histoire glorieuse de cette cuvée. Par sa robe d’un rose brillant soulignée par des reflets orangés, par son nez bien ouvert, profond, intense, porté par un fruité très mûr (cerise, framboise, figue) et quelques touches plus florales, ce dom-pérignon rosé à la bouche ample et ronde offre une puissance et un éclat parfaitement équilibrés, où gourmandise et finesse se font la courte échelle.
430 euros

Krug,
Rosé 29e édition
Obtenu à partir d’un assemblage sophistiqué, comme souvent chez Krug, avec des vins rouges issus des récoltes 2016 et 2017, avant un long séjour sous verre en cave. Prometteur par son potentiel, il offre une puissance certaine en bouche, sur fond de fruits rouges frais, de senteurs de sous-bois, agrémentés de quelques touches plus épicées qui relèvent la finale avec persistance.
350 euros

Gosset,
Celebris – Rosé 2008
Chez Gosset, on aime prendre son temps et Odilon de Varine, le directeur de la maison, pense déjà au futur prometteur de cette cuvée dans la vinothèque de la maison. Il s’agit d’un somptueux rosé de gastronomie, racé, profond, avec une magnifique structure tannique patinée par les années et les parfums de fruits secs. Toutes les promesses du grandiose millésime 2008 sont tenues, depuis un certain temps déjà et pour longtemps encore.
250 euros

Henriot,
Rosé Millésimé 2015
Les millésimes de champagne rosé sont rares chez Henriot et il faut donc apprécier ce 2015 offrant vinosité contenue et puissance maîtrisée. Porté par des senteurs de fruits noirs et rouges ainsi que quelques touches d’agrumes (orange sanguine), il se déploie avec grâce et élégance jusqu’à une finale plus épicée, presque corsée, où la signature des pinots noirs du sud de la montagne de Reims se ressent.
82,50 euros

Laurent-Perrier,
Alexandra 2012
La grande cuvée de rosé de la maison reste confidentielle, mais chaque édition ravit toujours autant le palais et les sens. Selon une technique qui distingue Laurent-Perrier des autres grandes maisons, les chefs de cave Michel Fauconnet et aujourd’hui Olivier Vigneron, pratiquent une macération conjointe de pinots noir et de chardonnays tous issus de grands crus. Cette technique particulière, ainsi que le long vieillissement en cave, explique les reflets cuivrés presque orangés de la robe, les senteurs de fraise des bois et de sous-bois et cette bouche au toucher crémeux conclue par une persistance sur l’orange amère et le zeste d’orange.
390 euros

Mailly Grand Cru,
L’Intemporelle – Rosé 2019
Le terroir de Mailly offre une interprétation plus florale et délicate du pinot noir que les grands crus orientés au sud de la montagne de Reims. Cela se retrouve dans cette cuvée obtenue à partir de la même cuvée en blanc, teintée de 2 à 3 % de vin rouge du terroir de Mailly, cet assemblage 60 % pinot noir et 40 % chardonnay goûte sur la finesse, la fraîcheur et la délicatesse. Un rosé de fraîcheur plus que de puissance.
99 euros

Moët & Chandon,
Grand Vintage – Rosé 2016
Un nez assez concentré sur les fruits rouges (fraise, cerise, framboise), gourmand et sans exubérance. La bouche offre une entame assez compacte et affiche progressivement finesse et élégance. Le dosage en extra brut est ici intelligent car il permet au vin de s’exprimer sans l’alourdir. Savoureux par sa persistance sur une ultime touche gourmande de framboise, c’est un vin qui se destine plus à la table qu’à l’apéritif.
65 euros

Nicolas Feuilatte,
Palmes d’Or – Rosé Intense 2008
Après la splendeur du millésime 2006 dans cette couleur, 2008 paraît encore jeune malgré ses presque vingt ans. Il évoluera pourtant sur les mêmes notes de pivoine et de clou de girofle. Aujourd’hui, les parfums sont plus orthodoxes, avec des notes de groseille mûre et de sous bois. La bouche affiche un bel élan frais, avant un retour du fruit rouge en finale. Onctuosité et gourmandise sont des qualificatifs qui le caractérisent bien.
162 euros

Palmer & Co,
Rosé Solera
Un rosé unique dans toute la Champagne, puisqu’il est obtenu à partir de la cuvée Réserve en blanc, teintée avec un vin rouge élevé selon la méthode de solera, un procédé qui a débuté voici maintenant cinquante ans. L’origine ricetonne de ce rouge marque dans sa palette aromatique de fleurs et d’épices, mais cela fait toute l’originalité et la vinosité de ce rosé qui apprécie des fromages crémeux comme un chaource ou même une andouillette de Troyes grillée.
49,50 euros

Philipponnat,
Clos des Goisses – Juste Rosé 2015
Le pinot noir entre dans cette cuvée pour plus de 85 % de l’assemblage. Sa bouche exprime toute la puissance et la verticalité du clos des Goisses, ce terroir spectaculaire qui surplombe la Marne à Mareuil-sur-Aÿ. La vinification sous bois et l’élaboration du rouge par une technique de saignée renforcent la profondeur du vin, sur de puissantes senteurs de fleurs intense, d’épices poivrées et de cuir noble. Ce rosé de saveurs et de texture appelle des plats pleins de goût, comme un pigeon servi rosé.
460 euros

Pol Roger,
Rosé Vintage 2019
Un nez et une bouche portés par le vin rouge de l’assemblage, les notes florales et fruits noirs du pinot noir. C’est un rosé de structure plus que de fruit, à la vinosité prononcée et un champagne de table plus que de frivolité. Il lui faut des viandes rouges, de l’agneau, des ris de veau, voire pourquoi pas un filet de bœuf Wellington. Entre puissance et rondeur en bouche, ce 2019 encore jeune déploie avec l’aération un fruité gourmand et frais, sur les saveurs de framboise. Pur régal.
115 euros

Rare Champagne,
Rosé Millésime 2014
L’une des grandes cuvées de rosé les plus récentes de la Champagne, puisqu’elle ne fut lancée qu’avec le millésime 2007, pour quatre éditions seulement à ce jour. Les parfums intenses de fleurs épicées et de fruits rouges et noirs laissent progressivement la place au musc et à la cerise kirschée. La bouche est tout aussi flamboyante, rayonnante, presque fougueuse. Ce grand rosé doit être accompagné des préparations les plus fines, mais les viandes aux jus corsés et les champignons nobles ne lui feront pas peur.
410 euros

Ruinart,
Dom Ruinart – Rosé 2009
Peut-être le plus « blanc » de tous les grands rosés de Champagne, puisque la proportion de chardonnay grimpe ici à 85 %, pour seulement 15 % de pinot noir, en tenant compte du vin rouge ajouté à la base de vin blanc. Pourtant, après une entame particulièrement soyeuse, la bouche ne manque pas de vinosité, impression décuplée par les parfums savoureux de fruits rouges et noirs, relayés par des notes épicées qui vont s’accroître avec le temps.
265 euros

Louis Roederer,
Cristal – Rosé 2015
Encore très jeune, mais porteur d’une belle évolution à prévoir en bouteille avant de renaître dans la collection Vinothèque, ce 2015 offre un fruité rouge frais (fraise, groseille) sans aucune note d’évolution malgré ses dix ans de vieillissement en bouteille. En bouche, on aime sa vivacité tonique, son intensité, sa profondeur et ce sentiment d’énergie qui se dégage de sa finale portée par la fine salinité très pure de la craie du sous-sol champenois.
600 euros

Taittinger,
Comtes de Champagne – Rosé 2012
Cette cuvée d’une finesse légendaire laisserait croire à une part de chardonnay plus importante (30 % actuellement). L’origine en grand cru de tous les raisins entrant dans l’assemblage explique la grande pureté de bouche, qui conclut par une élégante note crayeuse faisant ressortir les délicats parfums de petits fruits des bois. Ici le dosage vient juste arrondir le volume patiné de la texture, avec subtilité et harmonie.
310 euros

Veuve Clicquot,
La Grande Dame – Rosé 2015
Depuis son lancement à la fin de l’année dernière, ses puissants parfums de fruits frais et mûrs se sont bien affirmés et ses senteurs plus épicées se déploient avec l’aération. Il s’agit en fait de la cuvée La Grande Dame en blanc complétée de quelques gouttes d’un vin rouge issu du clos Colin, à Bouzy. Ce grand rosé est parti pour une belle carrière en cave. Ses senteurs poivrées en finale supportent viandes rouges et petits gibiers associés à des jus corsés.
250 euros

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