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Je me souviens. Automne 2005. La famille Tarlant s’affaire. Treize générations au compteur. Micheline accueille les clients, sourire majeur. Qui court à la cuisine, répond au téléphone. Jean-Mary, en costume clair, s’apprête à filer, mallette à la main, à la consultative du comité interprofessionnel du vin de Champagne pour décider du sort régional du millésime 2004, pléthorique. Mélanie prépare les commandes, douzième génération. Son frère Benoît est aux manettes, du raisin à la bouteille. Le nez dans la vigne, en permanence, à surveiller la croissance, les signes de faiblesse éventuels, les dégâts laissés par la grêle, à préserver les nids des linottes. « C’est la vigne qui nous donne la richesse et la réflexion pour élaborer nos vins. On cherche l’équilibre sur les sept cépages pour retrouver l’expression d’une vigne. Si on ne le fait pas, personne ne le fera à notre place », explique-t-il. Il tient cette recherche d’expression en partie de ses tours du monde et ses voyages sous l’égide de l’OIV (Organisation internationale de la vigne et du vin), au sein de laquelle il a fait son Master, très formateur : « Un accélérateur de compréhension ». Dans la cave, une batterie de cuves et de fûts. On fait le choix des cuvées, avec l’ensemble des générations. Georges, 96 ans et son fils, 76 ans, participent aux dégustations.
Une génération s’est éteinte. L’église du charmant village d’Œuilly, surplombant la Marne, est toujours là, témoin solide du temps qui passe. Derrière la maison, deux énormes pressoirs ont poussé les murs. La cuverie s’est agrandie, méconnaissable. Benoît Tarlant pondère : « On s’est développés de manière vigneronne, on reste dans un modèle où l’on gère tout du début à la fin, du pied de vigne à l’expédition des bouteilles. On s’est un peu agrandis, mais on reste minuscules avec pas plus de 120 000 bouteilles produites par an. On a une existence, des valeurs qui sont défendues et plus reconnues qu’il y a trente ans. Le bio est un élément, le savoir-faire vigneron en est un autre. »
L’émotion et la vibration
Élaborer des vins bien faits, qui surtout savent donner une émotion et parler de la terre. Les sols se déclinent : sparnacien, sables mêlés de cailloux, veine de craie qui ondule en suivant la Marne. Ces variations impressionnantes se voient au vin clair. « La région se segmente de plus en plus », fait remarquer Benoît. D’un côté, les grosses maisons qui produisent du volume, servies par de plus en plus de viticulteurs qui préfèrent, au fond, vendre leur raisin plutôt que de faire un « champagne » basique qu’ils épuisent en s’épuisant de salon en salon. Et cette nouvelle génération, grandissante, de petits vignerons à l’identité forte, proches de leur terroir et de la plante. Hier, on célébrait au champagne, on faisait « péter les bouchons ». Aujourd’hui, les jeunes amateurs s’asseyent à table et dégustent dans des verres adéquats les parcellaires de chez Tarlant (il y en a huit), les comparant à ceux d’Egly, de Chartogne ou d’Anselme Selosse.
Les Tarlant en 2025, c’est dix-sept hectares pour dix-sept âmes travailleuses. Et vingt-quatre passages cette année pour protéger les vignes. Pas facile d’être en bio. La conversion date d’il y a dix ans. « Nous ne faisons pas partie des pionniers, mais nous y sommes venus par conviction, avec toutes les contraintes techniques et administratives que cela suppose. On assume, paperasserie comprise. Sans compter l’aspect économique. En 2021, on a perdu 70 % de notre récolte. On prend des risques plus forts. Mais on a toujours la chance d’avoir des vins de réserve. Sur dix ans, ça s’équilibre. Impossible de mettre des désherbants ou des engrais minéraux. Nous travaillons les sols et usons des couverts végétaux. Inévitablement, les rendements sont plus faibles. En 2024, c’était vraiment dur. Nous avons réalisé deux fois moins de rendements que l’année précédente. C’est un engagement, une connexion moins technologique, fortement liée à l’origine. Nous ne faisons pas du champagne, nous faisons de grands vins de Champagne, liés au terroir. Ce n’est pas la même chose. » Des vins effervescents non seulement « bien faits », mais qui font aussi vibrer, comme la cuvée Zéro, brut nature qui reflète la pureté du terroir, ou la cuvée Louis, témoin de la succession des générations.