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Identifier les meilleurs terroirs languedociens n’est pas si simple. Les meilleurs terroirs de Bourgogne ont été identifiés depuis des siècles et les meilleurs châteaux bordelais sont connus de longue date. Si l’implantation des vignes en Languedoc est probablement la plus ancienne de l’Hexagone, l’histoire viticole qualitative du Languedoc est très récente. C’est dans la région que l’on appelait la Narbonnaise, dès le VIe siècle avant notre ère, que les premières vignes ont été plantées dans ce qui deviendra la France. Une viticulture sur les coteaux s’y est progressivement implantée. Reconnue, elle s’exportait dès la fin du Moyen Âge sans que personne n’ait vraiment identifié les meilleurs terroirs. Puis la révolution industrielle du XIXe siècle et les besoins en vins de la population grandissante des villes et de la troupe a encouragé la production de vins bon marché produits en très grand volume. Les plaines ont été massivement reconverties en vignes. Le ravageur phylloxera, le souhait des consommateurs d’aller vers des vins plus qualitatifs ont plongé la région dans une succession de crises pendant l’essentiel du XXe siècle. L’inventaire des terroirs bourguignons, le plus abouti au monde, a nécessité un millénaire de vendanges pour classifier le potentiel de chaque parcelle de vignes. Bien que la recherche viticole ne fonctionne qu’au rythme d’un essai par an, la géologie moderne permettra au Languedoc d’aller plus vite. Mais ce n’est qu’à partir de la fin des années 1980 qu’une nouvelle génération a cassé les codes et a amorcé ponctuellement le retour à une viticulture de qualité. Réputés aujourd’hui, les vins du vignoble du pic Saint-Loup étaient inconnus des habitants de Montpellier tout proche il y a trente ans. Ceux des terrasses du Larzac ne parlaient qu’à de rares amateurs il y a vingt ans. La compréhension de chaque terroir n’en est qu’à ses débuts et notre identification des meilleurs pourra fortement évoluer dans les prochaines années, d’autant qu’elle est largement une histoire d’hommes et de femmes motivés. Si les appellations terrasses-du-larzac, pic-saint-loup, la-clape et boutenac ont aujourd’hui un temps d’avance, le Languedoc qualitatif ne peut être circonscrit à ces seules zones. Nombre de terroirs y sont très prometteurs, mais manquent parfois de locomotives qui en feraient des références. C’est le cas des appellations faugères ou la-livinière. À Pèzenas, celles qui ont existé sont à l’arrêt ou en phase de reprise. Produisant à son meilleur des rouges bien plus convaincants que par le passé, l’appellation fitou est tirée de l’oubli par au moins trois producteurs. L’AOC saint-chinian, qui manque également cruellement de notoriété, dispose de tout le potentiel pour repasser sous les lumières des projecteurs. Nombre de vignerons qualitatifs y opèrent et les terroirs sont remarquables, y compris les satellites de Saint-Chinian que sont les dénominations Berlou et Roquebrun. Avec ses sols assez disparates, l’appellation grés-de-montpellier pourrait être la plus courue car le domaine le plus mythique du Languedoc, Peyre Rose, devait en faire partie. Mais faute de grès dans les sols de son vignoble, il ne la revendique pas. Et pourtant les grés ne sont pas faits nécessairement de grès, notez le sens de l’accent. En occitan, « grés » désigne des terres de coteaux pauvres et caillouteuses, donc très propices à la culture de la vigne, mais pas forcément constitués de grès. Nous avons récemment effectué une dégustation des vins de l’appellation qui nous a montré une série de rouges aux tannins très fins. Il faut donc les suivre de près. Cabardès nous a récemment épatés par une dégustation de quelques cuvées magnifiques, c’est un terroir à suivre comme celui voisin de Malepère. Et n’oublions pas les rosés de Cabrières que Gérard Bertrand tente de positionner au sommet de la couleur en Languedoc, une place indiscutablement méritée pour cette zone méconnue.
Terrasses du Larzac
690 hectares sur sols de graves et de cailloutis
Ce secteur qui faisait partie des coteaux du Languedoc est devenu une appellation spécifique en 2014. Ne concernant pour l’instant que les vins rouges, l’AOC terrasses-du-larzac est animée par une centaine de metteurs en marché installés sur trente-deux communes. Ce vaste terroir d’altitude situé au nord-ouest de Montpellier, et qui va jusqu’au pas de l’Escalette en allant vers Millau, est installé sur la zone d’effondrement du plateau du Larzac. Il forme un V planté ici et là d’îlots de vignes. L’examen plus approfondi des différents types de sols montre une diversité assez importante, terrasses alluviales, éboulis, colluvions, calcaires jurassiques, grès rouges permiens ou encore basaltes. Ce n’est donc pas le sol qui est le marqueur caractéristique de l’appellation. La proximité du causse du Larzac, dont elle occupe le piémont, et la relative altitude apportent de la fraîcheur aux nuits d’été : les conditions idéales à un mûrissement lent et progressif des raisins. Nombre de cuvées sont d’une grande complexité de texture, de grande garde, avec des dominantes aromatiques différentes comme la garrigue à Jonquières ou le lychee à Puechabon et à Aniane. La fraîcheur des vins permise par l’altitude, culminant à près de 700 mètres, est le fil rouge de tous les vins produits dans cette zone languedocienne qui dispose du plus fort potentiel qualitatif du Languedoc. Cette appellation dynamique compte nombre d’excellents vignerons motivés dont 70 % évoluent en culture bio ou apparentée. La logique sera de segmenter encore cette zone pour mettre en avant les spécificités de chaque secteur comme Aniane, L’Escalette, Jonquières, Saint-Privat, etc., afin de s’approcher de la notion de grand cru telle qu’elle est identifiée en Bourgogne, en Alsace ou en Champagne.
Notre sélection
Mas Jullien
Clos Constantin
Domaine Cassagne et Vitailles
Domaine de l’Accent
Domaine de Montcalmès
Domaine du Pas de L’Escalette
Domaine Le Clos du Serres
Château La Sauvageonne (Gérard Bertrand)
Château des Crès Ricards (Paul Mas)
Les Vignes Oubliées
Mas Cal Demoura
Mas Combarèla
Mas de la Seranne
Mas des Chimères
Mas Lasta
Mas Laval
Pic Saint-Loup
1 350 hectares sur sols calcaires de dolomies et de marnes
Ce terroir qui faisait partie des coteaux du Languedoc est devenu une appellation spécifique en 2017. Elle concerne pour l’instant les vins rouges et rosés et est animée par quatre-vingts metteurs en marché installés sur dix-sept communes. Situés à proximité de Montpellier vers le nord, adossés aux contreforts cévenols, les terroirs de cette appellation sont divers. Certains sont installés sur le piémont des massifs de l’Hortus et du pic Saint-Loup (658 mètres), d’autres sont sur des zones plus plates. Si l’on y regarde de plus près, les sols peuvent être de nature très diverses, calcaires durs, calcaires tendres, dolomies, conglomérats, éboulis calcaires d’origine fluviale, marnes et gravettes du côté de Corconne. Comme en appellation terrasses-du-larzac, le marqueur des pic-saint-loup n’est pas vraiment à chercher dans les sols, mais juste au-dessus, dans le climat de ce secteur. Il est caractérisé par des amplitudes thermiques fortes entre le jour et la nuit en période de véraison. Cette appellation à fort potentiel est facile à reconnaître en dégustation du fait de la fraîcheur caractéristique de ses rouges, même si certaines zones produisent des vins un peu plus chauds. À dominante de syrah, ces vins sont d’une couleur moins intense que celle des vins de l’AOC terrasses-du-larzac et déploient moins de complexité absolue, mais la même élégance et la même sensation de fraîcheur en bouche. Au niveau olfactif, les fruits rouges dominent avec le thym et le romarin. Leur structure est délicate, tendue par une fine acidité et un sens de l’équilibre spécifique. Hélas, seules quelques locomotives tirent l’appellation et nous incitons les autres producteurs à les rejoindre car ce terroir a un potentiel évident. Il aura vocation dans le futur à segmenter ses crus et à mettre en avant les différents terroirs. Nous accordons une mention particulière aux rouges produits sur la zone de la Gravette de Corconne tant ils sont identifiables : un goût minéral très particulier et distinctif nous semble être la définition même d’une appellation spécifique, mais ce n’est pas la seule zone de grand intérêt de ce secteur.
Notre sélection
Clos Marie
Château Lancyre
Château de Lascaux
Clos des Reboussiers
Domaine d’Aigues Belles
Domaine de Mortiès
La Chouette du Chai
Domaine Mirabel
Mas Bruguière
La Clape
800 hectares sur sols de calcaires durs, d’argile et d’éboulis
Ce terroir qui faisait partie des coteaux du Languedoc est devenu une appellation spécifique en 2015. Animée par une trentaine de metteurs en marché installés sur six communes, l’appellation la-clape concerne pour l’instant les vins rouges et blancs à l’exception des rosés et est. Déjà planté de vignes sous Jules César, ce secteur situé entre Narbonne et la mer s’étend sur 17 kilomètres du nord au sud et autant d’est en ouest. Une partie importante du vignoble est installée sur le massif de La Clape, entre la mer et la ville. Les vignerons y cultivent la biodiversité et il faut monter au sommet, au domaine de Pech Redon, pour comprendre la majesté de cette appellation. Bien que l’altitude soit limitée, à peine plus de 200 mètres, le massif culmine sur toute la zone environnante où peu de reliefs se distinguent. De canyons en vallons, la pinède, les vignes et la garrigue regardent souvent la Méditerranée. Les vins rouges sont d’une intensité profonde avec une bonne brillance et font partie des plus identifiables en dégustation. Ils prennent des nuances de fumé-lardé complétées par la note saline apportée par les embruns marins. Au niveau olfactif, les parfums balsamiques dominent avec les senteurs de résine de pin et d’eucalyptus ainsi que des parfums de garrigue. L’acidité est bonne, ce sont des vins qui tiennent dans le temps, il faut attendre trois à cinq ans avant de les boire. Tirée par plusieurs vignerons, c’est l’une des appellations les plus qualitatives du Languedoc. En blanc, le bourboulenc se plaît sur certaines zones et peut donner d’excellents vins. Il est souvent associé à la clairette, au grenache blanc, à la roussanne et au rolle.
Notre sélection
Château Pech-Redon
Château La Négly
Château L’Hospitalet (Gérard Bertrand)
Château Rouquette-sur-Mer
Boutenac
220 hectares sur sols de calcaires,de grès et de molasses
À la différence de l’AOC terrasses-du-larzac, qui est une appellation sous-régionale, Boutenac bénéficie depuis vingt ans (pour ses rouges) d’une appellation communale au sens de l’Inao, tout comme Faugères, La Clape ou La Livinière. Ce niveau d’appellation est possible quand le vignoble est installé sur dix communes au maximum. Jusqu’alors corbières-boutenac, le cru est une AOC à part entière depuis 2024, animée par une quarantaine de metteurs en marché. Le carignan est ici le cépage majoritaire et c’est le secteur du Languedoc qui en donne les meilleurs vins. Ce ne sont pas les rouges les plus aromatiques, mais ils sont plus frais que ceux produits par les traditionnels syrah, grenache et mourvèdre. Cette fraîcheur tonique, graal indispensable pour les rouges ambitieux sous le soleil ardent du Languedoc, est combinée à une couleur profonde et à une complexité aromatique généreuse autour de notes d’épices, de fruits mûrs et de garrigue. Par sa construction autour du carignan, l’appellation boutenac ne ressemble à aucune autre en Languedoc.
Notre sélection
Château Ollieux-Romanis
Château de Caraguilhes
Château de Villemajou (Gérard Bertrand)