Albéric Bichot : « Notre richesse, ce sont les gens »

La maison Albert Bichot fêtera ses 200 ans en 2031. Six ans, c’est demain à l’échelle d’une Bourgogne qui va aussi vite que le monde. Sans chercher à le ralentir, mais avec l’ambition de le comprendre, Albéric Bichot incarne une vision familiale pour laquelle la modernité et l’humain sont des chemins d’avenir


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Dans les pas d’un nom bourguignon illustre, Albéric Bichot incarne la sixième génération à la tête de la maison Albert Bichot. Sa lignée a beau être ancrée à Beaune depuis 1831, l’actuel dirigeant refuse les postures figées. « On ne transmet pas un musée, on transmet une entreprise vivante », rappelle-t-il d’emblée. Avec lui, la tradition bourguignonne n’a rien d’un patrimoine poussiéreux, elle devient matière à action, à engagement et à évolution. La maison Bichot a su croître sans se diluer. Propriétaire de six domaines viticoles, aujourd’hui tous en bio, elle propose des vins dans les appellations les plus emblématiques de Bourgogne, mais aussi du Beaujolais, de Chablis à la côte de Nuits. Soit 105 hectares, complétés par environ 400 hectares exploités en négoce. Si la distribution reste largement internationale, avec 80 % de la production exportée, le lien à la terre de Bourgogne, lui, ne s’est jamais distendu. « Notre responsabilité, c’est d’abord vis-à-vis de nos terroirs. »

Aux États-Unis, Bichot a créé sa propre société de distribution il y a plus de dix ans. Une quinzaine de personnes y travaille et distribue aujourd’hui des vins du Languedoc et de la Loire, du champagne et même des vins de la Napa Valley. Dans un marché bousculé, où le vin doit se réinventer sans perdre son âme, Albéric Bichot veut tracer trace une ligne claire. Pas de virage opportuniste, mais des choix cohérents. La construction du nouveau chai, extrêmement vertueux, à quelques kilomètres de Beaune, illustre cette ambition discrète mais tangible. Ses 11 000 m² sont conçus pour conjuguer autonomie énergétique (3 000 m² de panneaux photovoltaïques, récupération des eaux, bilan carbone minime, etc.), flexibilité logistique et qualité œnologique. « On pourra vinifier et embouteiller avec une précision inédite, sans dépendre d’aucun prestataire », explique Albéric Bichot. L’outil, performant, vise aussi à soulager la pénibilité du travail des équipes tout en améliorant sa qualité. « Notre richesse, ce sont les gens. Il faut leur donner les moyens de bien faire leur métier. »

Le style Bichot
On pourrait définir ainsi la vision de la maison : de la modernité, mais avec raison. Pas de vin sans alcool au programme, mais une recherche constante de la durabilité de sa mission. Une refonte complète des étiquettes a été menée, avec l’adoption d’un papier en coton recyclé, apposé avec des colles naturelles. De la fin des caisses bois, sauf demande particulière, à l’allègement du poids des bouteilles, la démarche n’est pas engagée pour séduire une niche. « C’est notre devoir, tout simplement », affirme Albéric Bichot. La même logique prévaut dans le message auprès des jeunes générations. Pas de simplification à outrance, mais une volonté d’explication, de pédagogie. « Il faut parler aux nouvelles générations, oui. Mais avec honnêteté. Un vin accessible et sincère peut faire plus pour la Bourgogne qu’un discours trop léché. »

L’autre grand chantier, c’est celui de l’adaptation au changement climatique. « On en voit déjà les effets : des vendanges précoces, des maturités plus rapides, des équilibres à retravailler », observe-t-il. Pour y répondre, la maison explore la piste des sélections massales, élève différemment ses vins et implémente l’agroforesterie tout en suivant avec attention les travaux de recherche sur les cépages résistants menés par l’interprofession bourguignonne. « On ne veut pas changer notre identité, mais on doit rester capables de faire de grands vins dans trente ans. Ce que nous vivons aujourd’hui, ce n’est pas un aléa. C’est une nouvelle norme. On doit se préparer à des saisons plus sèches, plus chaudes, mais aussi plus imprévisibles. » Dans ce contexte, l’agriculture biologique, longtemps vue comme une contrainte, devient un levier d’anticipation. « C’est une viticulture plus résiliente, plus ancrée dans le vivant. »

Depuis plusieurs années, Albéric Bichot s’implique activement dans le projet Tara, initiative scientifique et environnementale consacrée à l’étude et à la protection des océans créée par Jean-Louis Etienne. Mécène engagé, il a passé plus de quinze jours à bord en Antarctique pour accompagner cette mission visant à mettre en avant les liens entre climat, biodiversité marine et pratiques viticoles durables. Cette approche respectueuse trouve même des applications dans la logistique. Ainsi, pour ses exportations vers les États-Unis, la maison Bichot expérimente désormais le transport maritime à la voile, réduisant drastiquement l’empreinte carbone de ses expéditions transatlantiques. « Ce sont des solutions encore marginales, mais symboliques. Elles montrent que d’autres voies sont possibles. » À l’heure où les figures tutélaires se font rares dans le monde du vin, Albéric Bichot incarne une voie discrète, mais bien définie. Celle d’un vigneron-négociant qui, au lieu de courir après son époque, choisit de l’accompagner.

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